A Sarajevo, un général serbe à côté des Bosniaques, par Ricardo Alexandre
L’inégalité sociale ne peut être combattue tant que nous regardons l’autre de manière... inégalitaire, tant que nos stéréotypes nous font voir l’autre comme inférieur, comme moins capable, moins beau, moins intelligent. Dans des situations extrêmes, comme la guerre, l’autre n’a plus droit à la vie. Les conflits entre les peuples, les ethnies et les religions durent au-delà de la fin des guerres. Et c’est ainsi que l’on perpétue l’inégalité.
Il a vingt ans, lorsque les Serbes de Bosnie ont entrepris le siège de Sarajevo, un général serbe aurait pu choisir la facilité, c’est à dire être du côté des plus forts qui, en plus, par la religion et la consanguinité, étaient les siens.
Jovan Divjak n’a pas réfléchi en ces termes et a décidé de rester avec les citoyens de Sarajevo. « Je suis né dans un hôpital de Belgrade, mais cela ne fait pas de moi un citoyen de Belgrade. J’aurais pu naître à Lisbonne que je serais encore citoyen de Sarajevo. J’ai vécu à Sarajevo pendant 40 ans, mes enfants sont nés ici, j’ai fait ici toute ma carrière dans l’armée. Pour beaucoup, c’était bizarre que quelqu’un qui est né en Serbie et a grandi en Voïvodine, ait décidé de rester à Sarajevo avec les musulmans. Mais j’insiste sur ce point : je suis citoyen bosniaque de Sarajevo et du monde, au-delà du fait d’être né serbe, croate ou musulman ».
Et il n’a pas changé de camp en prenant les fonctions de commandant adjoint de la Défense territoriale de la Bosnie-Herzégovine : « Ce sont les autres, ceux qui ont tiré sur moi, qui ont changé ».
Après la guerre, l’aile dure du parti au pouvoir à Sarajevo a réussi à envoyer le général Divjak à la retraite. L’armée nationale bosniaque a maintenant exclusivement des généraux musulmans. Divjak était devenu gênant pour le nouveau pouvoir. Il passait sa vie à sauver des civils serbes à Sarajevo, en particulier des mains d’un musicien qui devint le seigneur de la guerre de Bosnie, Caco, responsable de plusieurs massacres contre des civils non musulmans.
Au siège d’Education Builds Bosnie-Herzégovine, qui a distribué plus de 20 mille bourses d’études et promeut l’égalité sociale, Divjak s’explique : « L’éducation est la base du développement. En Bosnie il y a 35 mille enfants sans parents. Pendant la guerre, 20 mille enfants ont été tués. Chiffres dramatiques dans un pays où 40% de la population est au chômage et 60% vive en dessous du seuil de pauvreté.Tous les enfants de la région, ici, en Croatie ou en Serbie, ont souffert des traumatismes de la guerre. Beaucoup ont souffert de dommages psychologiques irréparables et vont avoir besoin d’être accompagnés pour toujours ».