Ce qui paraît à présent indispensable jadis fut vu comme inopportun, par Luís Jerónimo
La capacité d’innover est un des traits primordiaux de la nature humaine et elle est fondée sur son impulsion à la création, sur le besoin de résolution de problèmes et de contourner les obstacles qui caractérise l’être humain. Il est impossible de séparer l’innovation de l’histoire de l’humanité depuis son origine, l’innovation a accompagné et marqué de manière décisive l’évolution de l’homme dans sa vie sociale.
Malgré ce rôle déterminant, ce n’est que récemment que le concept à été formalisé et étudié de manière systématique. Les premières études sur la question sont apparues dans les années soixante. Si dans un premier temps la recherche était presque exclusivement tournée sur des questions d’ordre scientifique, ces dernières années l’accent s’est déplacé vers le rôle de l’innovation dans l’économie et son impact social. La nature pluridisciplinaire de ces études rend évident le caractère transversal de la question de l’innovation.
Pour bien cerner la nature de l’innovation, il faut voir sa relation avec la notion d’invention. D’après Jan Fagerberg, dans son article Innovation - A Guide to the literature, « l’invention est la première occurrence d’un produit ou d’un processus, tandis que l’innovation est la première tentative de le mettre en pratique ». Ainsi, invention et innovation sont des moments différents du processus de création. Comme signale Fagerberg aussi, si l’invention peut avoir lieu n’importe où, le plus souvent au sein des universités, l’innovation se fait davantage dans les entreprises et a lieu à travers le jeu des combinaisons de différents ressources, connaissances, capacités et compétences. Plus que d’un acte isolé, l’innovation est le résultat d’un processus. De ce fait, ce qui souvent est pris comme une innovation, c’est en fait le fruit de l’interaction d’une série d’innovations.
Joseph Shumpeter, figure de proue des études sur l’innovation et son impact dans l’économie, la définit simplement comme des nouvelles combinaisons des ressources existantes. Shumpeter attribue à l’innovation une fonction d’entreprise et à l’innovateur la conduction du processus que chacun mène contre l’inertie et la résistance au changement.
Schumpeter distingue cinq types d’innovations : des nouveaux produits, des nouvelles méthodes de production, des nouvelles sources de approvisionnement, l’exploration de nouveaux marchés, des nouvelles formes d’organisation des entreprises. Une autre distinction importante est faite par rapport au caractère de l’innovation. L’innovation peut assumer une nature plus radicale ou disruptive, par exemple en introduisant un produit entièrement nouveau, se rangeant ainsi plus près de l’invention. Par ailleurs, l’innovation peut être marginale ou viser l’optimisation des méthodes de production ou d’organisation.
Dans tous les cas, l’innovation ne se produit pas de manière linéaire. Il s’agit d’un phénomène complexe et les étapes de recherche, développement, production et marketing, traditionnellement faisant partie des processus d’innovation, ne suivent pas une séquence parfaitement délimitée.
C’est un processus de plus en plus ouvert où l’importance accordée à l’expérience des clients et usagers est grandissante et ne se limite pas uniquement à celle des scientifiques et des spécialistes. Ce n’est pas un phénomène exclusif des laboratoires, il entre en jeu davantage dans le marché, auprès des gens.
L’innovation a joué un rôle fondamental dans les processus de croissance économique et de concentration industrielle ou par secteur d’activité. Elle est de plus en plus utilisée comme indicateur et comme explication des différences de développement entre des entreprises, des pays et des régions. Ce qui explique le récent angle de vue des politiques économiques dans la promotion de l’innovation, étant donné que celle-ci est une clé de voute de la croissance et joue un rôle crucial dans la réponse et le dépassement des situations de crise. Il importe maintenant d’explorer le caractère inclusif que cette croissance économique doit assumer, ainsi que de bien comprendre le rôle de l’innovation pas uniquement dans la sphère économique mais aussi sociale.
La compréhension du concept d’innovation a toujours été trop axée sur les questions scientifiques et technologiques. On ne peut pas nier l’impact de la valorisation de l’innovation dans ces domaines, ce qui s’est reflété dans le développement de nouvelles technologies, de nouveaux produits et services clés dans le développement économique. Mais l’innovation a aussi lieu dans le domaine social. Beaucoup de ce qui apparaît aujourd’hui comme indispensable pour le fonctionnement des sociétés fut, lors de sa création, vu comme inopportun ou impossible à réaliser. Parfois, même méprisé et ridiculisé. Ce fut le cas, par exemple, de la création des systèmes de santé ou de l’enseignement préscolaire. Ce qui avant a été considéré comme utopique est aujourd’hui acquis, étant donné son importance dans l’amélioration de la qualité de vie des gens. Ces quelques exemples montrent que l’innovation sociale a toujours existé, même sans qu’on l’appelle de cette façon. La conceptualisation présente est venue non seulement reconnaitre l’importance vitale de l’innovation dans les questions sociales mais aussi assumer le besoin d’intégrer ce concept à l’intérieur des processus de résolution de ces questions sociales dans ces différents aspects.
Mais qu’est que l’innovation sociale ? Geoff Mulgan, dans son texte Social Innovation : What it is, why it matters and how it can be accelerated, la définit comme étant des activités et des services innovants motivés par l’objectif de répondre à un besoin social, développés et diffusés principalement par des organisations dont leurs objectifs principaux sont de type social. En un mot, aujourd’hui comme toujours, l’innovation sociale a lieu lorsque l’on trouve une réponse à une nécessité sociale non satisfaite.
Ce concept - l’innovation sociale - suppose, à ce stade, une plus grande importance et pertinence devant l’échec des mécanismes traditionnels de résolution des problèmes socioéconomiques du monde d’aujourd’hui, devant l’urgence de trouver de nouvelles et de meilleures réponses aux défis des sociétés contemporaines : l’augmentation de l’espérance de vie et le conséquent vieillissement progressif des sociétés qui obligent à trouver de nouveaux modes de travail et de sécurité sociale, ainsi que différents modèles de planification architecturale et urbaine. La diversité croissante à l’intérieur des pays qui rend impérative la nécessité de trouver de nouvelles solutions à l’ordre des villes qui favorisent une intégration efficace. Le changement climatique exige des modèles à rechercher pour un développement plus durable.
L’innovation démontre la capacité de l’homme à surmonter les obstacles et à dépasser les limites. Elle est ce processus de recombinaison et la possibilité d’utilisation des moyens mis en œuvre pour résoudre les problèmes. La mondialisation a rendu ce processus viable à l’échelle mondiale. L’avenir de l’innovation est de promouvoir les possibilités de collaboration et d’apprentissage mutuel, impliquant des pays à différents stades de développement, et de promouvoir des modèles de croissance plus égalitaires, en se mettant au service de la durabilité et de la justice entre les générations.