X, comme Xénophobie / 2

Mise en ligne: 15 mars 2013

L’exacerbation des différences, par Bruno Peixe Dias

L’étymologie du mot « xénophobie » vient des deux mots grecs xenos « étrange » ou « étranger », et phobos « peur ». Le mot « xénophobie » désignerait donc le sentiment de crainte envers ceux qui sont étranges ou étrangers à nos yeux, ce qui correspond à peu près à la signification actuelle du mot. En effet, de nos jours, ce mot se réfère au sentiment d’hostilité de la part d’un groupe particulier, envers ceux qui sont caractérisés par ce groupe comme « l’autre », l’étrange ou l’étranger. Ce sentiment d’hostilité se traduit par des actes violents de rejet ou, plus communément, dans des discours qui infériorisent l’autre, souvent pour justifier son statut subalterne dans la société et une politique de minorisation à son égard. Cela aboutit à une absence de droits et un traitement différencié pour les membres du groupe cible de la xénophobie.

En ce sens, l’attitude xénophobe est étroitement liée au racisme, qui désigne également un sentiment d’hostilité et de rejet d’un groupe vis-à-vis d’un autre. Dans ce cas, on parle de racisme quand la différence de traitement par rapport à un groupe particulier trouve sa justification dans un ensemble de caractéristiques physiques visibles ou des propriétés génétiques prétendument intrinsèques au groupe cible.

L’idéologie raciste attribue à ces caractéristiques ou propriétés une signification imaginaire qui va au-delà de ce qui est objectivement observable, donnant à ces groupes une série de propriétés cognitives et éthiques, habituellement inférieures, et justifiant par là la subordination d’un groupe à un autre. Un exemple possible de processus de « racialisation » est celui par lequel on assigne aux individus porteurs d’un trait particulier phénotypique (un exemple flagrant, mais pas unique, est celui de la couleur de la peau) un ensemble d’attributs d’ordre social : des capacités d’apprentissage et de travail, des niveaux différents d’agressivité, etc.

La division de l’humanité en races est une construction imaginaire dont la force persistante est due à sa capacité de se faire passer pour quelque chose de naturel, c’est-à-dire, à faire en sorte que ce qui est un produit de l’histoire et de la culture - l’attribution d’un sens à une différence visible ou imaginaire et la dévalorisation conséquente des individus qui l’ont en eux - soit considéré comme un fait de la nature, quelque chose d’inscrit dans notre constitution biologique.

De la même manière, la xénophobie résulte de la construction d’une différence et de l’exacerbation des termes de cette différence, dans ce cas, des nationalités. Bien qu’il existe d’autres moyens de différenciation, le principe de la nationalité est, dans le monde contemporain, le plus efficace pour identifier « l’autre » comme un étranger.

La création d’États-nations modernes s’est accompagnée d’efforts de construction d’une identité nationale, soutenue par une tentative d’homogénéité linguistique et culturelle de l’ensemble de la population sous l’administration d’un État. La souveraineté moderne est donc basée sur le contrôle de l’Etat sur un territoire donné, et sur une population qui veut être unie par une identité nationale. Cette identité nationale, qui est aussi une construction historique, à la suite des efforts entrepris par l’État moderne, se présente le plus souvent sous une forme « naturalisée », comme si elle n’était pas contingente et historique, mais qu’elle trouvait son origine dans un temps mythique et immémorial de la fondation de la nation.

L’oubli de la nature contingente de cette identité nationale et le caractère « naturel » avec lequel elle nous est présentée a pour conséquence son essentialisation et l’exacerbation de tout ce qui soi-disant la sépare des autres nationalités. Ainsi, la fixation d’un individu à un territoire et un Etat le conduit à exacerber les liens qui l’unissent aux autres individus partageant cette même identité, et à renforcer les différences avec les détenteurs d’autres nationalités. Lorsque ce sentiment de différence se combine avec le fait de considérer l’étranger comme quelqu’un d’indésirable, ou même comme étant culturellement ou racialement inférieur, on en arrive à la xénophobie. Cette dernière ne résulte pas de la simple présence de l’étranger. Bien que ce soit son point de départ, cette division entre « nous » et « les autres » se joint à une considération hiérarchique à propos de la « valeur » associée à chaque nationalité, et donc à son caractère plus ou moins désirable.

Le caractère différencié dans la relation avec « celui d’une autre nationalité » est clairement visible de nos jours, notamment dans les discours qui accompagnent les phénomènes de déplacements massifs de populations. Les politiciens et les médias se réfèrent souvent à l’immigration comme étant un « problème » ou une « menace » digne d’attention et d’intervention, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une immigration en provenance de pays plus pauvres.

Il est important de noter que la xénophobie et le racisme, outre le fait qu’il s’agit de phénomènes historiques et culturels, ont une dimension collective et structurelle, c’est-à-dire qu’ils se rapportent aux relations de pouvoir entre les groupes, généralement étendues dans le temps. Le caractère persistant du racisme et de la xénophobie est lié à ladite « naturalisation », ce qui nous sépare de l’« autre » national ou « racial », et à la manière dont cette différence est associée à une hiérarchie qui soutient à son tour une division inégale des richesses et du pouvoir dans une société.

Les exemples historiques abondent : la manière par laquelle des populations entières ont été faites prisonnières, transformées en propriété privée et forcées à travailler, c’est-à-dire, le phénomène de l’esclavage, ne peut être comprise sans cette infériorité raciale à laquelle ces populations ont été soumises. Le génocide des Juifs et Tsiganes par le régime nazi doit être compris à la lumière des notions de hiérarchie raciale faisant partie de l’appareil idéologique du Troisième Reich. A une autre échelle et avec des effets très différents, de nos jours, nous avons tendance à considérer comme étant « normale » la situation dans laquelle vivent de nombreux immigrés, privés de leurs droits qui sont accordés aux ressortissants nationaux (par exemple, le droit de vote), et qui font souvent l’objet d’inégalités de traitement (par exemple : un salaire inférieur pour le même travail).

L’attribution du caractère raciste ou xénophobe de comportements discriminatoires individuels, qui est déterminée par les tribunaux, court le risque de passer à côté de la dimension structurelle du racisme, et de penser que ce phénomène n’est présent que chez les individus dysfonctionnels ou les groupes marginaux. La possibilité d’une lutte efficace contre ces phénomènes passe donc par la reconnaissance de leurs racines historiques et de leur nature structurelle.