Des élites d’États, de multinationales, de banques et de fonds se rient des frontières et recourent à la menace au pire, par Tito Dupret
« C’est le pot de terre contre le pot de fer ». « La vérité fait ce qu’elle peut, le mensonge fait ce qu’il veut ». « David contre Goliath ». « La loi du plus fort »... « C’est l’idéaliste et l’altruiste contre le cynique et l’égoïste » Ces formules usées résument les nombreux combats de Fian, de Sos-faim, de l’Africa Europe faith and justice network et du Centre national de coopération au développement. Ces ONG se rencontrent ce matin de novembre à la Maison de la paix à Ixelles pour raconter leurs dernières actions et mettre en cohérence leurs efforts sur plusieurs questions.
Notamment celle du « land grabbing », une expression anglaise plus agressive mais aussi plus juste que son équivalent en français, un obscur « accaparement des terres ». Parler de « saisie des terres » serait plus clair. Car si la Terre est une pomme de discorde, les vers qui la rongent et s’en nourrissent (de la terre comme de la discorde), sont bel et bien enfouis en elle ; souterrains et pullulants. Qui sont ces vers invisibles ? Des « élites » d’États, de multinationales, de banques et de fonds qui se rient des frontières et recourent au chantage à l’emploi au mieux, à la corruption, à l’intimidation, à la menace au pire.
Ne restent pour s’en défendre que les communautés là-bas et nous ici.
Ces communautés sont les ennemis locaux n°1. Illustration. Au Kivu en RD Congo, le sale boulot de les éliminer est opportunément laissé à des « milices rebelles » qui brûlent les villages, mutilent, violent et violentent systématiquement, engagent des mineurs de six ans et forment des enfants-soldats de douze. Ceux-ci surveillent ceux-là qui creusent de petites galeries pour du coltan exporté en contrebande et traité en tantale, métal stratégique, au profit de sociétés commerciales internationales… et des consommateurs du monde ; amis globaux n°1.
Une solution à taille humaine ? Par exemple, « conserver ses appareils électroniques jusqu’à la fin de leur vie ou se séparer des gsm, tablettes et autres PC qui dorment dans les tiroirs ou à la cave pour les recycler. En Belgique, 2,5 millions de gsm sont inutilisés ».
Ennemis locaux là-bas. Nouvelle illustration. Depuis 2011, le groupe Bolloré-Socfin, « a acquis plus de 18 mille hectares dans la Région de Malen, au sud de la Sierra Leone, pour une plantation industrielle de palmiers à huile. Dès le début, les communautés ont dénoncé la conclusion de ces accords. Plusieurs membres se sont rassemblés au sein de l’organisation Maloa pour défendre et revendiquer leurs droits. Ils doivent cependant faire face à une répression et un harcèlement judiciaire ».
Florence Kroff de Fian espère que les dernières élections au profit de l’opposition et la récente visite du nouveau président sierra-léonais en Belgique aura mobilisé le cabinet des Affaires étrangères qui ne peut plus ignorer qu’il y a un gros problème avec le groupe agro-industriel Socfin. Outre les conditions de travail sur place, sous prétexte de créer « mille emplois fixes et deux mille saisonniers », les immenses plantations « privent trente mille personnes d’accéder à la terre » [1].
Une solution à taille humaine ? Acheter une action Socfin et poser, lors des assemblées d’actionnaires, les questions auxquelles l’agro-industriel ne répond pas. Créé à l’ère coloniale, en 1909, un interlocuteur du groupe a récemment poussé la morgue jusqu’à qualifier les ONG de « colonialistes » parce qu’elles imposent leur vision du monde aux communautés locales. La mauvaise foi est une arme des plus sûres : le temps que les désaccords perdurent, l’exploitation des terres continue et s’étend, les bénéfices s’accumulent et s’envolent.
Ennemis locaux ici. Pléthore. Le nombre de cas documentés, étudiés, répertoriés sous les vocables de land-grabbing, green-washing, déforestation est vertigineux. Autour des ONG déjà citées, il y a kyrielle : Les brigades d’actions paysannes, le Comité pour l’abolition des dettes illégitimes, Eclosio, Entraide et fraternité, Fairtrade, Grain, Hands on the land, Oxfam, la plateforme Ry-ponet, Quinoa, ReAct, le réseau Occupons le terrain... La thématique est urgente et vivante. Voyez ce suivi en ligne.
Pour nous libérer, nous désintoxiquer du coltan, de l’huile de palme, du pétrole, du plastique, du sucre… rien de neuf depuis les philosophes de la Grèce antique : répondre à nos humbles besoins et non à nos orgueilleuses envies et pulsions. Ne pas attendre nos gouvernements ; partis pris et « grappilleurs » [2]. Ne pas s’en remettre à nos supermarchés ; partis pris aussi. Pris par qui, par quoi ? Par le lucre, l’argent ? L’argent de qui ? Des amis globaux n°1.
Quel est le prix de notre libération ici et là-bas ? Vivre local, à pied, à vélo avec un potager au mépris des voitures et du pillage des terres ? C’est excessif, c’est provocateur, c’est exclu ? Alors pour le plaisir de l’exercice spirituel, suggérons à notre intime réflexion, un deuxième paragraphe à l’article 28 de la déclaration universelle des droits humains :
« Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver plein effet ».
Pour ce faire, toute personne a accès à une surface de terre nominale afin de pouvoir la cultiver, l’habiter et subvenir à ses besoins.
[1] Extrait d’un rapport de Fian en cours de publication : « A compter de 2017, Socfin prétendait employer un total de 3.583 personnes dans le Royaume, y compris 1.178 employés permanents et 2.042 journaliers, 250 employés temporaires et 113 sous traitants. A peu près un tiers de la totalité des travailleurs sont des femmes, alors que Socfin prétend que la majorité sont des locaux. En 2015, il y avait 1.266 femmes et 2.692 hommes employés. Alors que ces statistiques sont contestées par les membres des communautés locales où les emplois locaux ont été créés, celles-ci ont pu démontrer qu’ils étaient sous payés, dangereux, qu’il y avait un manque de transparence et que la gestion était autoritaire. En 2015, Malen rassemblait une population de 49.263 personnes. Aujourd’hui, on estime que 34.983 membres de cette population sont directement concernés par les activités de Socfin. Des projections faites par Socfin en 2010 sur la base du recensement national de 2004, prédisaient que environ 28.135 personnes des 61 villages de Malen seraient concernés par le projet. Grâce au nouveau recensement de 2015, on a pu revoir le nombre de personnes concernées à 34.983 habitants dans la zone de plantation ».
[2] Une citation de Wim Moesen : « Sommes-nous une société de grappilleurs qui veulent maintenir le clientélisme ? Ou sommes-nous une société dirigée par des hommes et des femmes d’État qui servent l’intérêt général ? La réponse est clairement la première », répète sans cesse le professeur de finances publiques de Louvain.