Une personne sur sept dans le monde est migrante, par Tito Dupret
Les réfugiés sont-ils en passe de devenir une minorité civile au sein de nos sociétés ? Et afin de leur offrir l’égalité des chances, pourraient-ils à terme bénéficier de certains « accommodements raisonnables » ? Le fameux visa humanitaire n’est-il pas un effort en ce sens : une tentative d’accommoder la demande de visa à cette forme de déplacement qu’est la migration non-volontaire ?
Médecins du monde milite pour le visa humanitaire : « Depuis l’an 2000, plus de 32 mille personnes ont déjà péri en Méditerranée en tentant de rejoindre l’Europe. Elle est aujourd’hui la destination la plus dangereuse du monde pour les réfugiés et les migrants. (…) Délivrer des visas humanitaires et permettre aux réfugiés d’arriver par avion, c’est avant tout leur permettre d’arriver en vie. (…) C’est aussi permettre au plus vulnérables de se mettre à l’abri et stopper cette discrimination insupportable qui veut que seuls les plus nantis aient les moyens de se mettre à l’abri et en sécurité ».
La formule est donc pertinente si l’on considère le nombre de personnes concernées et de causes qui poussent à chercher refuge hors de son pays natal. Le climat, les conflits, la famille, la famine, l’opinion, l’oppression, la pauvreté, la religion, la santé. Mais il n’y a rien de raisonnable dans de telles situations, toutes de crise. Et puis nos sociétés sont-elles accommodantes envers les réfugiés ?
Aux « Assises citoyennes sur les migrations », on ne parle d’ailleurs pas de crise migratoire mais de « justice migratoire » et de crise européenne. La crise est autant là-bas, aux points de départs qui poussent à partir, qu’ici, aux lieux de destination qui évitent d’accueillir. Rassemblons d’autres chiffres bien qu’ils voilent la gravité de chaque cas particulier.
Le Centre national de coopération au développement rappelle que les migrations sont un phénomène intemporel comptant aujourd’hui un milliard d’individus. Une personne sur sept dans le monde est migrante. Un quart sont des migrants internationaux, soit 3% de la population mondiale. Autre info : la moitié sont des femmes et des enfants.
Tous ne sont pas des réfugiés, mais ils forment une minorité de plus en plus visible, victime d’injustice et d’inégalité des chances. D’où la nécessité d’une justice migratoire. Il s’agit de reconnaître aux migrants des droits leur permettant de quitter leur pays sans avoir à devenir clandestins. Actuellement, un migrant perd tout à tenter de régulariser une situation forcément illégale.
Quelle égalité de chances donner à une personne clandestine ? La réponse est dans la question. Dès le départ le réfugié est condamné ; par l’administration, par les préjugés, par la xénophobie et le racisme en route et à l’arrivée, par la pauvreté et la précarité, par l’inaccès à l’information et à la langue, au logement et au travail. Le réfugié a quitté une impasse pour une autre s’il n’est pas décédé en chemin.
Les photos du maire de Grande-Synthe, dans le nord de la France, montrant des enfants dans le dénuement d’une forêt de sa commune en sont une nouvelle illustration frappante. Aucun toit sinon la frondaison humide des arbres et du carton au sol se diluant dans la boue. Tel est notre portrait désormais : la lente et institutionnelle déliquescence morale et légale de la générosité, de l’hospitalité, de la solidarité.
Quid de la Déclaration universelle des droits de l’homme ? Pour justifier le concept de justice migratoire, le CNCD se réfère à l’article 13, paragraphe 2 : « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » Mais il faut comprendre « toute personne ayant les moyens de subvenir à ses besoins ».
Car nous serions désormais « trop nombreux » sur Terre, « trop différents » pour vivre ensemble et surtout « nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde ». Ici explose la tonitruante question des moyens financiers. Peu importe le complet désespoir des personnes contraintes de migrer. Peu importe que leur nombre soit en réalité très réduit en Belgique.
Nous sommes advenus au comble d’un monde absolu et omnipotent : celui où l’argent n’est pas un moyen mais le but. Où il nous asservit au lieu de nous servir. Où il nous soumet à la peur du lendemain au lieu de nous en libérer. Où il nous assène de la naissance à par-delà la mort que chacun, nous avons besoin de posséder en propre chaque chose : logements, déplacements, statuts, reconnaissances et jamais assez de privilèges.
Autant de points qui nous permettent de nous différencier les uns des autres car nous ne sommes résolument pas comme les autres. Nous n’acceptons pas d’être l’égal d’autrui. Nous sommes, d’une manière ou d’une autre mieux, meilleur, plus valable et cela doit se sentir, se vivre et se voir.
N’est-ce-pas ainsi que la générosité, l’hospitalité et la solidarité se délitent ? Par l’exacerbation jusqu’à la gloire des différences ? À quels moments de nos vies ces qualités fondamentales-là sont-elles partagées, transmises et valorisées ? On les rêve toutes, c’est évident, c’est naturel, c’est humain. On y croit tous depuis le fond des temps. Mais on n’est pas pratiquant.
« L’ami de mon ami est mon ami, dit-on. Celui-ci devint le mien. Il vivait au Mali depuis plus de cinq ans. (…) Des gens de presque toutes les nationalités africaines se retrouvaient chez lui. (…) Non seulement il vous recevait, mais il entreprenait toutes les démarches nécessaires pour vous trouver un logement puis pour vous aider à poursuivre votre voyage » [1].
À ce propos, le fait pour un citoyen belge d’offrir un hébergement à un clandestin ne constitue pas une infraction, sauf si cet hébergement relève de la traite des êtres humains. Il existe par ailleurs le moyen d’interpeller sa commune via www.communehospitaliere.be pour faire voter une motion améliorant l’information et l’accueil des migrants.
Ce serait comme un premier accommodement communal raisonnable pour donner aux personnes migrantes une chance d’être reçues comme l’égal de citoyens et non comme des clandestins.
[1] Emmanuel Mbolela, Réfugié – Une odyssée africaine, Editions Libertalia, 2017, p. 65.