Tranches de vie, Norberto Canepa, agriculteur du plateau central

Mise en ligne: 22 octobre 2013

« Il y a deux ans, on dormait sur l’herbe, dehors, avec la peur
des attaques. Ensuite on a pu dormir à la maison,
mais habillés, toujours prêts à s’enfuir. Maintenant, je peux
enfin dormir mon pantalon accroché à un clou », par Fernando Pacheco

C’est ce qu’affirme, une lueur d’espoir au
fond de ses yeux tristes, Norberto
Canepa, 40 ans, la plupart passés au
kimbo (village) de Compão, municipalité de
Longojo, province de Huambo. Son village, il ne
l’a quitté qu’à 18 ans quand il a fait quelques
mois de contrato (euphémisme pour désigner le
travail forcé) dans une plantation de café du
Nord, dans la province de Uige, peu avant l’indépendance,
dans le but de se faire quelques sous
pour payer l’impôt, le rendement de son champ
étant insuffisant.

 » C’était une vie de contratado, mais Norberto
Canepa ne cache pas que face à la tragédie
actuelle, cette vie là, en fin de compte, n’était pas
si mauvaise. Malgré l’exploitation du tchindele
(le blanc), on était tranquille, « on était sûr de se
réveiller vivant au moment d’aller dormir ».
L’indépendance est alors arrivée, « on était satisfait
car nous pensions retrouver la liberté et la
dignité », mais la guerre a tout gâché.

 » Norberto Canepa a aussi quitté son village pour
faire son service militaire, dans les forces armées
du MPLA, les FAPLA. Comme soldat, il a parcouru
presque toute l’Angola, il a approché et assumé
le sentiment d’angolanité. Mais l’armée ce n’était
pas bon non plus et, lors des combats auxquels il
a participé, il ne pouvait s’empêcher de penser
qu’en face pouvait se trouver son frère aîné,
Emílio, qui en 1975 avait adhéré à l’UNITA et
jamais plus n’avait donné des nouvelles.

La question ethnique en Angola est assez singulière.
On ne peut nier son existence ni l’escamoter,
comme a prétendu le faire le MPLA. Si elle
influence de façon marquante le conflit angolais,
il est par contre erroné de prétendre qu’elle soit
déterminante, comme le disent certains acteurs
et observateurs. Le principal théâtre de la guerre
civile angolaise a été la région du Plateau Central.
Les combats les plus longs et les plus violents
de la bataille post-électorale, en se sont
déroulés à Huambo et à Kuito, en plein coeur du
territoire habité par les peuples umbundu (pluriel
d’umbundu), habituellement identifiés avec
l’UNITA. Mais dans ces batailles, des deux côtés
se trouvait une majorité de combattants de la
même communauté ethnique, ce qui, en soi,
suffit à dénoncer la thèse du conflit ethnique. Ce
qui est sûr, toutefois, c’est que la plupart des
dirigeants de l’UNITA sont umbundu. De là peutêtre,
cette connotation « umbundu—UNITA » qui
a revêtu des aspects dramatiques pendant la
bataille de Luanda de la Toussaint 1992, quand
des milliers d’Ovimbundus ont été tués pour le
simple fait de leur appartenance ethnique. Faits
qui ont trouvé leur réplique quelques mois plus
tard à Huambo quand ce sont « ceux du Nord »
qui ont été massacrés.

Mais la singularité de la question ethnique en
Angola se manifeste par d’autres détails curieux
comme, par exemple, celui observé en 1992,
quand beaucoup d’Ovimbundus ont fui la province
de Bengo, au Nord de Luanda, après son
occupation par l’UNITA pour aller vivre dans un
quartier de la capitale, Kikolo, connu pour être
habité en majorité par des éléments de la diaspora
umbundu connotés avec l’UNITA.

 » Une fois terminé son service militaire en 1992,
Canepa, démobilisé, est rentré chez lui, rejoindre
sa famille et reprendre son travail d’agriculteur.
Il avait confiance dans la paix, mais la guerre est
revenue. Il ne s’est pas enfui, comme d’autres,
quand l’UNITA a occupé Huambo. Et il fut malmené,
accusé d’avoir été un collaborateur du
MPLA. Echappant plusieurs fois à la mort, il a eu
plus de chance que d’autres.

 » Des gens de l’église l’ont aidé et l’ont protégé.
Se déplacer, voyager n’étaient pas permis, on
pouvait seulement travailler et danser dans les
meetings. Après est venue la libération. Mais les
soldats des Forces armées angolaises, l’armée
unifiée constituée en 1992, avant les élections,
dans laquelle continuent à appartenir quelques
milliers de soldats de l’UNITA (y compris des
généraux), même depuis la reprise de la guerre
civile, selon lui, « ne se sont pas comportés
comme nous des anciennes Forces armées, qui
respections le peuple. Ils sont arrivés et ont tout
volé, ils n’ont pas laissé une seule poule, et en
plus ils ont accusé ceux qui étaient restés d’avoir
collaboré avec l’UNITA ».

 » Maintenant, pour toute la population de
Compão, la vie est difficile. Il n’y a plus ni riches
ni pauvres puisque plus personne n’a rien. Beaucoup
ont la nostalgie du temps des colons, malgré
le contrato. D’autres regrettent le temps du
parti unique, au moins il y avait quelque chose à
acheter, il y avait un peu de semences et d’engrais,
même si on n’en trouvait que dans les
associations paysannes. Maintenant il n’y a plus
rien, le peuple vit mal et survit grâce à la nourriture
de la Croix Rouge, quand il y en a, sans elle
tous mourraient de faim.

 » Le kimbo de Compão est distant des champs de
trois ou quatre kilomètres. Héritage de l’époque
coloniale, « quand on
a été obligé de changer
le village de site
sur ordre de l’administration
qui cherchait
un plus grand
contrôle de la population
par rapport
aux mouvements de
libération ». Maintenant
la « frontière
 » avec les territoires
de l’UNITA
passe entre le village
et les champs. C’est ainsi que nous n’avons
plus de terre à travailler. Les gens doivent se
tourner vers le commerce. Même les femmes ont
déjà appris à faire du commerce, chose qui avant
était du seul ressort de l’homme. C’est la débrouille,
essayer de trouver des produits manufacturés
provenant de Benguela ou de Luanda
(importés ou produits dans le pays) pour les
échanger avec ceux du côté de l’UNITA. Eux
peuvent cultiver, dans leur zone c’est calme, il
n’y a pas de voleurs, il y a des bœufs pour tirer
les charrues et comme ça ils ont du maïs et des
haricots pour troquer. Mais leur vie n’est pas rose
non plus. Ils n’ont pas de sel, pas d’huile, pas de
vêtements, rien. Certains enfants ne savent pas
ce qu’est le savon et n’ont jamais vu une voiture.

 » Là non plus les gens n’ont pas la liberté de
circuler, ils peuvent seulement venir au marché
faire du troc, ils ne peuvent aller à la ville, à
Luanda ou à Benguela, comme nous, et c’est
seulement les femmes qui peuvent circuler, les
hommes non. Mon grand-père dit qu’on est revenu
en 1910, avant l’arrivée du chemin de fer ».

Le système de troc entre les zones gouvernementales
et de l’UNITA se généralise et les marchés
surgissent le long de la ligne de démarcation.
Cela a pris du temps, les autorités locales, des
deux côtés, y étant opposées. Les négociations et
les accords conclus au sommet ne se reflétent pas
sur le plan local. Les marchands ambulants sont
surtout des individus rapatriés du Zaïre, qui ont
la vocation du commerce et ont gagné de l’expérience
pendant la guerre. Bien qu’il y en ait
disséminés dans tout le plateau central, les principaux
marchés sont ceux du km 25 (près de
Caála) et de Vila Nova. Dans ce dernier on peut
même acheter des véhicules. Des autos volées à
Luanda, Benguela ou Lubango et qui sont ensuite
vendues en dollars aux dirigeants de l’UNITA
ou à qui peut payer. Mais la vie de candongueiro
(marchand ambulant) n’est pas facile. Ils sont
parfois importunés par des responsables locaux
de l’UNITA qui les accusent d’espionnage au profit
du gouvernement. Du côté du gouvernement
la méfiance règne également. Des deux côtés les
marchands sont extorqués, en argent ou en marchandises,
pour payer aux policiers ou aux militaires
une sorte de taxe de circulation. Pour cette
raison, et parce qu’il s’agit d’une activité à haut
risque, les marchandises arrivent au consommateur
à des prix très élevés.

Dans certains endroits, dont Bailundo l’actuel
quartier général de Jonas Savimbi, on utilise la
monnaie nationale, le Kwanza, mais en d’autres
les chefs locaux du Galo negro (le coq noir est le
symbole de l’UNITA) interdisent la circulation des
billets à l’effigie des présidents angolais, issus
du MPLA, Agostinho Neto et Eduardo dos Santos.

Cela peut aussi être par décision de chefferies
locales que le troc ne s’organise pas en d’autres
régions du pays comme par exemple à Malanje.
Certains expliquent les difficultés constatées dans
cette province par le désir qu’a l’UNITA de punir
les gens de Malanje suite à leur défaite électorale
mais aussi et surtout au rôle qu’ils ont joué à
l’époque de la guerre des villes, tout de suite
après les élections (les premières escarmouches
eurent lieu à Malanje déjà avant les élections, à
l’initiative de marginaux qui, après l’expulsion
de l’UNITA de la ville, en ont pratiquement assumé
le contrôle, et qui ont finalement été abattus par
les forces gouvernementales). Ce qui est sûr,
c’est qu’à Malanje oser une incursion en territoire
contrôlé par L’UNITA pour aller chercher du
manioc, est qualifié par la population locale de « 
vida-coragem » (trompe-la-mort) rares étant les
fois où ils ne sont pas détroussés (par l’une ou
l’autre partie) ou ils n’actionnent pas une mine
antipersonnel. Mais, au fond, ce qui est important,
c’est de démontrer qu’il est possible de
trouver des accords locaux qui permettent le
contact entre les populations, la réunion des
familles et la réactivation de l’activité économique.

 » Les jeunes ont pratiquement tous quitté
Compão, à la recherche d’un petit boulot ou pour
fuir le recrutement forcé pour l’armée. Quand a
commencé le casernement des troupes de l’UNITA
beaucoup ont été enlevés, principalement dans
les villages aux alentours. Il ne reste que les
vieux, les femmes et les enfants. C’est pour cela
que la vie est difficile. Alors tout le monde boit
beaucoup, pour oublier, et à midi presque tous
dans le village sont déjà saouls. Il y a beaucoup
de boissons parce que les gens utilisent le maïs de
la Croix Rouge pour faire du katchipembe, un
alcool distillé très apprécié. Certains gagnent
ainsi un peu de sous. D’autres en gagnent en
récoltant du bois de chauffe ou en faisant du
charbon de bois. Cultiver n’est pas possible, il
n’y a pas de terres, pas d’engrais, pas de bœufs
pour tirer la charrue. La guerre a tout pris.

Le problème des terres pourrait se transformer à
court terme en une source de conflits. On entend
couramment dire qu’il n’y a pas de conflit autour
de la terre en Angola puisqu’elle existe en grande
quantité. Rien n’est plus faux. Il y a les conflits
existant dans la périphérie des centres urbains où
il y a une grande concentration de réfugiés qui
cherchent dans l’activité agricole une solution
pour leur survie. Ces litiges autour de l’usage et
de la propriété de la terre peuvent revêtir différents
aspects et mettre en scène des acteurs les
plus divers, depuis ceux qui opposent résidents
et réfugiés à ceux dans lesquels éleveurs et agriculteurs
éprouvent des difficultés à gérer un
territoire commun. Il faut aussi s’attendre à ce
qu’éclate rapidement des différends inextricables.
C’est que les diverses instances du pouvoir
— locales, provinciales, centrales— procèdent
depuis un certain temps à des distributions de
terres appartenant à d’anciennes propriétés agricoles
de Portugais qui abandonnèrent le pays en
1975. A l’époque, avec toute la valeur culturelle
et symbolique qu’elle signifie, les paysans angolais
crurent que la terre, dont ils avaient été
spoliés, leur était définitivement rendue. La nouvelle
politique du gouvernement, cependant, privatise
ces fazendas dans leur dimension originale
— ce qui est en soi déjà absurde— au profit
d’entrepreneurs angolais qui dans la plupart des
cas —sinon dans tous— sont des agriculteurs du
dimanche, sans capitaux et sans compétences
techniques. Ils sont liés à cette nomenklatura qui
cherche à s’enrichir facilement en négociant
ensuite la terre avec des Portugais ou des Sudafricains
ou d’autres encore, appâtés par
l’aubaine. Bien que le gouvernement prétend
consulter les autorités traditionnelles —ce qui ne
garantit pas le consentement de la collectivité—
un tel processus est généralement pervers. Alors,
quand sera rétablie la liberté de circulation et que
les nouveaux « propriétaires » chercheront à
prendre possession de « leurs biens », il est logique
de penser qu’ils se heurteront aux paysans
qui, de fait, occupent actuellement ces terres.

Cette question prend une gravité particulière
dans le cas des zones agro-pastorales où, à la
différence du plateau central, se pratique la transhumance.
Les concepts de territoire et d’espace
y présentent des particularités qui concernent
non seulement la gestion des ressources naturelles
par les communautés, mais aussi l’espace
social dans ses aspects politique, social, productif,
commercial et y compris des représentations
symboliques. Il ne faut donc pas s’étonner si les
populations agro-pastorales des provinces de
Huila et Kunene, qui se sont toujours opposées
au système de « ranching » dans leurs terres
jusqu’à l’indépendance, se manifestent de façon
véhémente contre l’éventualité d’un retour des
fermes symboliquement identifiées par le fil de
fer barbelé clôturant les prairies. Leur message
est clair : « tous les commerçants sont les bienvenus
dans notre territoire et peuvent élever leur
bétail du moment qu’ils respectent notre système
de production », ce qui signifie aussi le respect
des espaces de transhumance.

L’autre question particulière
relative
aux terres est de
savoir ce qui va se
passer dans les
zones sous contrôle
de l’UNITA,
principalement
dans les plantations
de café, où,
depuis la signature
du protocole de Lusaka, les conflits se multiplient,
quoiqu’ils n’atteignent pas des proportions
aussi alarmantes que dans les régions diamantifères
et d’élevage de bétail. Etant donné le
fait accompli de la distribution officiel de la
plupart des propriétés du côté gouvernemental, il
est logique de s’interroger sur ce qui se passe
dans les zones sur lesquelles l’UNITA exerce encore
son administration politico-militaire. Les
plantations sont-elles aussi « occupées » par ses
généraux et ses dirigeants ? Et qu’arrivera-t-il si
ces mêmes propriétés se trouvent déjà distribuées
par le gouvernement ? Pour ces raisons,
les plus avertis suggèrent que le problème de la
terre soit dûment mis en équation sur base d’une
négociation avec les principaux partis et la société
civile.

 » Norberto Canepa revient de l’ojango [1] où a été
discuté la question de la succession de l’ossoma [2]
Kafundanga. Le problème est compliqué. Selon
la tradition, l’héritier devait être Quindita, mais
il se trouve « de l’autre côté » et on raconte qu’il
a déjà été nommé l’ossoma de ceux qui sont là
avec lui. Alors, il s’agit de choisir quelqu’un
d’autre pour devenir le soba définitif, ou provisoire
jusqu’à ce que le véritable héritier de la
lignée revienne. Certains sont d’accord, d’autres
non. Le mieux finalement serait de voter, après
tout on est en démocratie, et on a entendu dire
qu’à Kamacupa, où les gens ont pourtant la
réputation d’être arriérés et réfractaires au progrès,
il y a un village où le soba est élu entre deux
candidats choisis par le conseil des anciens.
Mais, si ça tombe, voter va nous porter malheur.
N’est ce pas après avoir voté, en 1992, que la
guerre est revenue alors que nous pensions tenir
la paix ?

La connaissance du fonctionnement du pouvoir
dans les communautés est fort nébuleuse, que ce
soit par des observateurs extérieurs ou par d’autres
acteurs comme l’Etat ou même l’UNITA qui pourtant
durant la guerre civile a évolué plus près des
organisations communautaires. Jusqu’à il y a
peu, le pouvoir local, au niveau de la communauté
— significativement qualifié encore
aujourd’hui de « traditionnel »— était ignoré par
le gouvernement. Récemment, un peu à l’image
de ce qui se passe avec la réhabilitation de
l’ordre juridique d’avant l’indépendance, les
autorités traditionnelles ont été reconnues, bénéficiant
même d’un salaire et d’un uniforme. La
figure du regedor, responsable local de l’époque
portugaise, est réhabilitée, comme interlocuteur
entre l’administration de l’Etat et la communauté.
Bien qu’en de nombreux cas le choix des
sobas continue à s’effectuer par le système de la
succession et de la lignée parentale, les influences
des pouvoirs politiques sont évidentes et
expliquent que ceux qui sont connotés avec l’une
ou l’autre des parties souffrent des représailles
du camp adverse. Cependant, nombreux sont
ceux qui, intelligemment, parviennent à résister
aux jeux politiciens et traversent indemnes des
époques agitées. Mais tout cela fait que, actuellement,
le pouvoir des chefs traditionnels s’est
vu substantiellement réduit à celui de gérer des
conflits, la plupart du temps de deuxième ordre,
les plus importants (assassinats ou autres du
genre) étant amenés à la police ou aux autorités
de l’Etat (ou de l’UNITA dans les zones qu’elle
contrôle). Il n’est pas rare non plus que la figure
des leaders traditionnels soit mal vue à cause des
rôles peu sympathiques qu’on leur a fait jouer
depuis l’accusation de personnes ayant collaboré
avec l’une ou l’autre des parties, jusqu’au recrutement
de jeunes adolescents pour l’une des
armées.

Malgré tout, le pouvoir traditionnel contribue
dans certains cas à maintenir une cohésion du
tissu social dans le monde rural au contraire de ce
qui se passe dans les villes, principalement à
Luanda, où, dans les quartiers populaires, presque
toujours très peuplés, il n’existe pratiquement
pas d’autre pouvoir institué qui ne soit
économique, magico-religieux ou provenant du
trafic d’influences.

 » Norberto Canepa voudrait voyager. Il voudrait
aller à Benguela, où il a entendu parler d’un
parent qui y vivait bien, qui a réussi à s’appuyer
sur un projet d’une ONG. On raconte que maintenant
on ne peut plus compter sur l’Etat, qui n’est
plus comme avant. Maintenant c’est la débrouille.
A moins d’avoir la chance d’ « entrer dans un
projet » d’une ONG. Alors ça vaut la peine de se
renseigner, et pour cela d’aller jusqu’à Dombe
Grande, le pays de Chiuyauya, un des sorciers les
plus fameux d’Angola, que même les ministres
vont consulter quand ils craignent d’être écartés.
Peut-être même que le vieux sorcier pourra aider
à résoudre le problème des ravines de Compão,
en éliminant le serpent qui les trace et ramener
ainsi un peu de tranquillité à la population, qui a
déjà tout tenté pour les empêcher mais n’y a pas
réussi. Mais Canepa sait que cela est un rêve, il
ne peut voyager, il ne peut passer le poste de
contrôle de Londuimbale encore occupé par
l’UNITA.

Le sentiment généralisé de la population est que
le problème fondamental de la paix et de la
reprise économique est la libre circulation des
personnes et des marchandises. Si cela arrivait, il
n’y aurait plus tant besoin d’aides extérieures. Et
là il faut questionner le programme de réhabilitation
communautaire, approuvé à Bruxelles en
septembre 1995.

Une année s’est passée sans qu’il y ait eu une
seule action concrète. Le gouvernement et l’UNITA
ont fait pression sur la communauté internationale,
en quête de signaux pour le financement de
projets qui puissent favoriser l’avancement du
processus de paix. L’UNITA est d’abord préoccupée
par le futur de ses soldats qui vont passer à la
vie civile. Mais les donateurs conditionnent leur
aide au programme de réhabilitation à l’obtention
d’une situation qui garantisse sans équivoque
une paix durable. Le débat se déroule autour
du concept et de la signification de la réhabilitation.
Alors que certains donateurs et opérateurs
du terrain défendent que l’essentiel est de récupérer
les infrastructures (les routes, les ponts, les
postes de santé, les écoles, les entrepôts…),
d’autres estiment que la question fondamentale
réside dans la réhabilitation des institutions et
des services, ce qui passe obligatoirement par la
valorisation des ressources humaines, dans une
perspective à long terme. Et qu’en pensent les
paysans ? Ecoutons les collègues de Canepa : « 
Ce dont nous avons besoin c’est de la paix. Et de
pouvoir circuler, voyager. Nous voulons la liberté
pour pouvoir réunir nos familles, reconstruire
nos maisons et, surtout, nous voulons pouvoir
commercer librement. Nous avons besoins
de commerçants, mais beaucoup d’entre nous
peuvent aussi être commerçants. Nous pouvons
même nous associer. Pouvoir vendre ce que nous
produisons et acheter ce dont nous avons besoin.
Nous voulons des crédits. Avec tout cela, nous
n’aurons plus besoin de la charité des ONG, nous
pourrons marcher avec nos propres jambes. Et
nous voulons aussi nos écoles. Nous les construirons,
que l’Etat et les ONG paient les professeurs.
Nous ne voulons pas que nos enfants soient
comme nous. Si ceux qui dirigent n’avaient pas
étudié, ils ne seraient pas là où ils sont ». Au
fond, le message est clair : que les politiciens
s’entendent entre eux et nous laissent organiser
notre vie comme nous l’entendons.

Mais il y a de l’espoir. « Il y a deux ans, on
dormait sur l’herbe, dehors, avec la peur des
attaques. Ensuite on a pu dormir à la maison,
mais habillés, toujours prêts à s’enfuir. Maintenant
nous dormons avec le pantalon pendu à un
clou. Ce que nous voulons vraiment est de pouvoir
cultiver à nouveau nos terres ». A la question
sur ce qui pourrait arriver en cas de retour à
la guerre, les anciens donnent une réponse
unanime et dramatique : « Nous nous suiciderions
tous ». Mais la recette pour le futur est
claire : oublier le passé et travailler tous pour que
notre pays soit mieux et plus développé.

[1L’ojango est une institution traditionnelle d’éducation globale des jeunes (transmission de l’histoire de la communauté et des
valeurs culturelles) ainsi que de résolution des conflits.

[2Ossoma signifie chef, mais est aussi utilisé comme synonyme de « autorité traditionnelle ». Il est parfois remplacé par le vulgarisme soba.