ONG cherche artiste pour échanges et partenariats (et plus si affinité)

Mise en ligne: 6 août 2012

Le théâtre-action et l’éducation au développement sillonnent toute la francophonie, chacun dans son propre réseau. Quoi de moins étrange qu’une telle rencontre se produise ?, par Paul Biot et Carmelina Carracillo

Depuis quelques années, des ONG utilisent des pratiques artistiques pour « éduquer au développement » : comparer les cultures différentes, lier la réalité quotidienne des gens du Nord avec celle des habitants du Sud, faire prendre conscience au public du Nord de ses valeurs et des lacunes de sa culture. En choisissant la courroie artistique, l’intention des ONG reste de développer auprès des publics une meilleure compréhension des problèmes et des attitudes visant une réduction des inégalités, mais l’ONG fait l’hypothèse que l’art, puisqu’il s’adresse à un autre registre de la connaissance, est un meilleur outil de sensibilisation. Ainsi, l’ONG peut utiliser le théâtre pour informer sur des éléments contextuels d’un pays ou pour faire prendre conscience de problèmes internationaux. Le théâtre représente pour l’ONG une porte de sortie à son problème d’inaccessibilité du message. Une information rationnelle et complexe peut, par sa théâtralisation, être rendue plus attrayante, plus accessible.

Théâtre-action très concerné

Par ailleurs, la démarche théâtrale du théâtre-action se rapproche des préoccupations de l’éducation au développement sur deux aspects au moins : l’intérêt du théâtre-action pour des événements ayant marqué l’évolution récente de pays ou de continents du Sud, pour des situations altérant leurs développements politique et économique, pour le rôle joué par le Nord. Très tôt, des spectacles ont abordé ces questions : dès 1974, sur les processus monopolistiques en cours en Amérique du Sud, le commerce imposé et les interrogations des « assistants techniques » [1] ; ou encore sur les logiques politico-économiques à l’œuvre ayant abouti au coup d’État au Chili [2]. Un second aspect relève davantage des effets du processus de création qui part des préoccupations des participants aux ateliers : d’une part, l’intérêt pour les situations vécues au Sud fait partie d’une sensibilité générale, d’un sentiment grandissant d’appartenance à une planète unique. Il était inévitable que cet intérêt trouve écho dans les productions. D’autre part, le mode de création collective et progressive entraîne —ou forme— à l’analyse des faits, des situations, des mécanismes ( dans le but de construire un spectacle ) ; ce processus conduit à établir des correspondances entre ce que vivent les gens ici et ce que d’autres vivent ailleurs. Des femmes de la paysannerie wallonne étaient, par exemple, bien placées pour comprendre à demi-mot les situations imagées par leurs consœurs intouchables du Tamil Nadu et créer ensemble un spectacle où chacune se faisait l’écho de l’autre [3]. Par ailleurs, pour les tenants du théâtre-forum représenté en Belgique par plusieurs compagnies de théâtre-action [4], l’adéquation de cette pratique théâtrale au théâtre pour le développement [5] a provoqué échanges et partenariats. De même, la demande d’ONG à des compagnies en vue de réaliser des spectacles soutenant leur action a créé des liens jusqu’en Afrique même [6]. Enfin, la participation aux temps forts et au festival de théâtre-action des troupes africaines 77. [7] choisies pour leur rôle sociopolitique dans leur pays, entraînait les compagnies d’ici —et leur public— à s’engager dans une réflexion sur le sens d’un certain travail théâtral vers un autre dialogue Sud - Nord.

Rendez-vous souhaité

Le comédien animateur et l’éducateur au développement poursuivent la même finalité : que les individus et les groupes maîtrisent leurs réalités quotidiennes afin de poser des actes en toute connaissance de cause(s). Si l’éducateur au développement s’attache plutôt aux liens internationaux, le comédien- animateur part des comportements quotidiens. Tous deux participent de la logique de ce qu’on appelle l’éducation permanente, donc de la culture. Tant dans l’éducation au développement que dans le théâtre-action, on cherche à produire un savoir autre que le savoir dominant, à le transmettre et à le faire reconnaître et légitimer, à la différence près que le théâtre-action vise une production artistique et l’éducation au développement pas nécessairement, voire pas du tout. Comme la plupart des organisations du monde associatif, le théâtre-action et l’éducation au développement éprouvent de plus en plus de difficultés à résister à la logique néo-libérale marchande qui affecte, malgré eux, leurs produits et leurs pratiques (il faut rester dans le coup). De son côté, l’éducation au développement (marginale de la coopération au développement) cherche de nouvelles alliances pour mener à bien ses projets dans une perspective de changement social au Nord comme au Sud, le théâtre-action (marginal du théâtre) quant à lui, s’ouvre à d’autres partenariats lui permettant de réaliser son objectif de conscientisation auprès de ses publics divers par le biais de la réalisation de pièces de théâtre. Pour ce faire, l’un et l’autre sillonnent toute la francophonie, chacun dans son propre réseau. Quoi donc de moins étrange, qu’une telle rencontre se produise ? La thématique internationale représentera le point de rencontre décisif. Pour l’éducation au développement, il s’agit d’une autre façon d’envisager la coopération Nord - Sud (le travail au Nord). Pour le théâtre-action, c’est entrer en amont dans la recherche des causes de dysfonctionnement de la société. Pour chacun, ce partenariat ouvre la possibilité d’exploiter des pistes vierges, d’envisager des visibilités nouvelles, même si chacun garde sa spécificité : sa méthode d’approche du public, son expérience particulière, sa crédibilité dans son propre réseau.

Risques prévisibles

Ces nouvelles alliances ne sont pas cependant sans présenter certains risques. On peut se demander par exemple au vu de certaines expériences de partenariat entre ONG et artistes si l’éducation au développement n’a pas tendance à faire une confiance aveugle à l’artiste, quitte parfois à ne pas expliciter suffisamment le message à transmettre, comme si l’art comportait en soi la faculté de passer automatiquement auprès des gens, comme si le message revêtait soudain moins d’importance. Dans un partenariat, le risque d’échouer par manque de connaissance mutuelle est le plus fréquent. Cela semble aller de soi, pourtant la plupart des échecs de partenariat ont pour origine une approche insuffisamment stratégique. Car, s’il est vrai que les désaccords portent le plus souvent sur des modalités pratiques, l’analyse montre que celles-ci sont le résultat de logiques politiques, institutionnelles ou culturelles et que ces dernières n’ont pas été suffisamment clarifiées. On oublie trop souvent que le rôle pris par le partenaire n’est pas uniquement celui ( en fin de compte assez simple ) d’une tâche à accomplir, mais aussi d’un questionnement en amont de l’action : qu’est-ce-qu’on-va- faire-ensemble-et-pourquoi ? Autrement dit, quelle place ce partenariat prend-il dans la stratégie politique d’une association ? Ce n’est qu’à ce prix que les attentes de chacun se clarifieront réellement et que les positions de chacun se définiront avec précision. Or, cette mise en lumière exige de chaque partenaire qu’il soit lui-même au clair dans l’argumentation de ses propres choix, argumentation qui dépasse l’observation bête et brutale et remet en question les évidences. Le théâtre-action donne très généralement priorité au dialogue entre partenaires et à la création collective. C’est à la fois un objectif et un moyen. Pour optimiser la relation entre ONG et théâtre- action, il faut que ces priorités soient présentes à tous les niveaux : avec les partenaires, le public ; dans la création, la diffusion et l’animation qui l’entoure. Les acteurs dans cette démarche qui dépasse largement les frontières belge et européenne, ne sont jamais seulement acteurs : ils ont participé à la création, la portent comme un acte engagé et ont avec le public un rapport sur le contenu et le sens du spectacle. L’investissement est de nature politique et parmi les points communs recherchés, on relèvera certainement la cohérence entre le spectacle et l’analyse politique que recèle l’action de l’ONG : il n’y a pas (plus) en ces matières de neutralité. Enfin, parce que la modification des clichés, la transformation des esprits sont affaires de temps, toute question mêlant ONG et théâtre doit se faire dans la durée, avec des étapes, des évaluations , la mise en place d’autres supports, etc... L’écueil à éviter, c’est d’instrumentaliser l’un ou l’autre des partenaires. Pas plus que le troisième, le public. Il n’y a pas une bonne méthode ou un bon partenariat mais des cas différents à chaque fois. Il faut s’adapter en fonction des publics. Qui va s’adapter ? Cela peut être le partenaire ONG s’il s’est donné un rôle d’animation. Cela sera plus aisément le spectacle, intégrant même le public dans le déroulement (en cas de théâtre-forum) ou dans la partie animation prévue (débat après ou avant le spectacle). Une question qui revient régulièrement est de savoir si un spectacle, et en particulier s’il est créé au Sud, est en mesure, seul et isolé, par la vertu du discours théâtral, par le point sensible où il touche le spectateur, de constituer un instrument d’éducation au développement. S’il arrive à échapper à un phénomène d’exotisme culturel, il peut baliser le terrain, rendre le public attentif à une autre écoute. Au delà, il faut au moins être deux (théâtre-action et ONG, enseignants).

Engagement à long terme ou association momentanée ?

Une représentation théâtrale a ses limites, elle relève du domaine artistique. Une activité d’éducation au développement a ses limites, elle relève du domaine pédagogique. Comment l’art et la pédagogie deviennent-ils des composantes politiques ? A quelles conditions ? Si le théâtre seul ne peut changer le monde, l’éducation au développement seule ne le peut pas non plus. L’alliance entre théâtre-action et éducation au développement est inscrite dans la nécessité et l’urgence des choix et des décisions. Il n’y a pas de petit lieu, de petites gens, de petites actions qui ne contribuent à un projet plus global. Encore faut-il que celui-ci soit établi par et pour les partenaires. L’avenir commande que la collaboration entre théâtre-action et éducation au développement, jusqu’à présent souvent initiée de manière circonstancielle, s’inscrive dans la construction commune d’une perspective à long terme [8].

[1Import - export par la Compagnie du campus.

[2Chili 70-73, par le Théâtre des rues.

[3Spectacle sans titre réalisé par les harijans du Tamil Nadu de l’Inde du Sud et les Aragnes, de la province de Namur, en collaboration avec le Centre dramatique en région rurale, CDRR, et l’Association catholique rurale des femmes, ARCF.

[4Notamment, la Compagnie du broccoli, le Théâtre du public, les Acteurs de l’ombre.

[5Selon l’appellation d’un festival africain populaire au Burkina Faso.

[6En Belgique et au Burkina Faso, le Théâtre du copion ; en Belgique, le Théâtre des rues, la Compagnie barbiana.

[7Notamment le Théâtre des intrigants de Kinshasa, en 1994, avec Misère et Caméléon , et en 1996 avec Le Président.

[8Le Théâtre du copion offre un exemple de cette coopération sur le long terme avec une série de spectacles : Le semeur d’eau et le grand sorcier, Hortense, Nassaara, L’héritage, Chiloé, Adieu l’Europe.