Corrigeons le tir

Mise en ligne: 15 mars 2019

Tout est à repenser dans nos manières de manger, de dormir, de se déplacer, de consommer, de produire, de se reposer, de se divertir pour éviter l’écocide, par Julián Lozano Raya

Face aux enjeux écologiques, économiques et sociaux de nos sociétés, les initiatives se réclamant du mouvement de la transition se sont amplement développé en Europe et dans le monde. En prenant la fin de « l’âge du pétrole » comme une immense opportunité, ce mouvement suscite et encourage la mise en place d’une myriade d’actions locales afin d’assurer et de renforcer la résilience de nos villes et communautés pour faire face aux dérèglements climatiques suscités par nos modes de consommation et production.

Tout est donc à repenser : nos manières de manger, de dormir, de se déplacer, de consommer, de produire, de se reposer, de se divertir…

C’est tout notre mode de vie qui est ainsi questionné et mis face à ses contradictions. L’époque de l’insouciance est définitivement révolue. On ne peut plus nier l’effondrement de nos écosystèmes (sauf peut-être quelques suprémacistes blancs de mauvaise volonté mais ne leur accordons pas trop d’attention). Il est devenu évident que des changements radicaux doivent être mis en place.

Oui, mais comment faire face à l’ampleur de la tâche ? Quelles actions privilégier ? S’il est aisé de décréter que nous devons assurer et renforcer la résilience de nos villes et communautés, qu’est-ce que cela signifie et qu’est-ce que cela implique ?

Celle-ci est souvent décrite comme « la capacité des communautés à supporter des chocs et des tensions extérieures sans perturbation significative ». Il s’agirait donc d’assurer la survie de nos communautés sans pour autant identifier des responsabilités… et encore moins des responsables.

Corrigeons le tir, évitons l’écocide, mais ne questionnons surtout pas les inégalités sociales qui augmentent, les rapports de domination qui continuent d’exister entre les peuples, la spoliation permanente organisée par les classes aisées, la dégradation des conditions de travail, l’iniquité et l’impuissance de notre système de démocratie représentative…

Cette stratégie politique « originale » cherche, selon certains, à retrouver « l’action politique citoyenne au niveau communal par un mouvement ascendant en ne développant pas de discours critiques » mais en mettant plutôt « l’accent sur une vision positive de l’avenir. Ainsi, le mouvement de la transition ne devrait jamais se placer « contre » quelque chose et veiller à ne surtout pas critiquer des personnes, des idées, des courants ou des théories afin de ne pas « braquer » des personnes ou même prendre le risque de se voir assimiler à un mouvement critique plus qu’à une stratégie d’organisation collective ».

Une telle négation de toute conflictualité sociale et politique laisse pantois au regard des défis auxquels le mouvement de la transition fait face. Car comment pourrait-on sérieusement traiter de l’essoufflement de nos écosystèmes sans questionner les pratiques économiques, les dispositifs politiques et les cadres juridiques qui permettent et participent à cette destruction organisée au profit de quelques-uns ? Comment pourrait-on construire le monde de « demain » sans un changement radical au niveau des structures sociales et politiques qui encadrent nos sociétés et façonnent nos modes de vie ? La pensée réformiste au sein du mouvement en transition part d’une vision naïve et accommodante pour ceux et celles qui tirent profit de la situation actuelle et nous empêche de penser les enjeux de la transition dans une perspective socio-historique en la limitant à quelques ajustements scientifico-techniques et à une dose de redynamisation des tissus sociaux locaux. Selon ce courant, la transition ne serait donc qu’un accommodement, un ajustement, une rectification au sein du système capitaliste. Quelle déception…et quelle perte de temps !

Il est pourtant évident qu’on ne peut traiter des maux du système capitaliste sans un travail de remise en question du capitalisme lui-même et des pratiques portées par les groupes sociaux à qui il profite. Cela (mal)heureusement ne peut se faire sans un travail de conflictualisation sociale et politique. Des interdictions sont sans doute à promulguer, des responsabilités à attribuer, des pratiques (anti-capitalistes) à encourager. Nous ne pourrons pas « libérer nos sociétés des vulnérabilités collectives et assurer leur futur » sans une reconfiguration radicale de notre système et du cadre politique dont nous disposons pour réfléchir, discuter et réguler ces enjeux.

Ces transitions ne pourront donc se faire qu’avec des perturbations significatives. Perturbations au niveau politique, économique et social. En ce sens ne soyons pas résilients mais audacieux et faisons de l’essoufflement de nos écosystèmes une opportunité pour semer les germes d’une société juste, décoloniale et durable où ressources et pouvoirs sont équitablement répartis.