EDITO

Mise en ligne: 27 janvier 2025

Il y a 5 ans, en 2019, ITECO sortait un numéro d’ANTIPODES sur la « co-transition » ; nous y avions critiqué le peu de diversité (culturelle, sociale, de genre, etc.) au sein de différents groupes participant au mouvement de la transition (et provenant, dans une large mesure, des classes et des groupes dominants). C’est d’ailleurs une des raisons principales qui nous a motivés à défendre plutôt cette idée de « co-transition », une transition « avec », ou une transition « ensemble » comme on dirait aujourd’hui.

Depuis, les choses ont assez peu avancé : non seulement le « co » de « co-transition » n’a jamais paru si nécessaire, mais même le « transition » de « co-transition » semble à la recherche d’un second souffle ; les générations ayant porté et défendu ces enjeux sont passées à d’autres phases de leurs vies et ceux et celles qui suivent sont pris dans d’autres contingences. Nous décidons donc de remettre du cœur à l’ouvrage, en espérant participer à renouveler idées et pratiques. Mais cette fois-ci, nous choisissons de l’aborder à partir de contextes et de points de vue provenant des Suds de la planète.

Et malgré (ou à cause du fait) que la transition se présente de façon très douce et positiviste, nous voulons l’aborder à partir de points d’entrée politiques : du Nord-Sud, du « ici et ailleurs », du décolonial, du féminin et du féminisme, de la lutte contre la domination ; ceci participera de l’exercice de partage des pouvoirs dans la définition des concepts (et donc celui de transition aussi) faite en Occident par les dominants.

Car la même question posée en 2019 est plus que jamais d’actualité : est-ce que ça va être le même groupe social ou humain qui est le responsable principal des crises actuelles dans le monde qui va prendre le pouvoir pour nous infliger ses solutions ? Est-ce que les responsables de la ruine de la terre qui sont en train de convaincre le Monde entier qu’ils vont organiser son sauvetage, ou ce qui en reste ? Pour le moment, il faut se rendre à l’évidence : la réponse est pour l’instant Oui, un grand Oui désespérant. Ils sont plus soudés et plus sûrs d’eux que jamais. D’ailleurs, eux, n’ont aucun a priori, ils ne croient pas plus à l’écologie qu’à l’avenir de la planète : ils ne croient qu’au pouvoir.

Plusieurs siècles de domination résultant dans des crises multidimensionnelles donnent tellement l’impression d’un désastre que même condamner les modèles sans juger les responsables devient vain ; allez-y parler de développement durable et d’investissement durable avec le Directeur d’une société pétrolière européenne ou le boss d’une banque et vous comprendrez de quoi je veux parler (oui je masculinise, car ce sont rarement des femmes qui sont à la tête de telles institutions, malgré tous les combats).

Compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour changer de paradigme c’est être parfaitement idéaliste, naïf ou bien accepter notre impuissance à les combattre ; Nous en sommes certains : ils seront pas ou peu capables de ce changement (vas essayer de faire changer de paradigme à quelqu’un qui a tout obtenu grâce à l’ancien paradigme).

Après toutes ces années de luttes, de conscientisation, de mobilisations, d’acquiescements de circonstance, nous en sommes donc encore à l’homme « expliquant » à la femme, l’urbain ayant les solutions pour le rural, les gens du Nord donnant la main aux gens du Sud, le « blanc » dirigeant le reste de l’humanité.

Nous croyons plus que jamais, dans notre approche de co-transition, qu’il n’y aura pas de transition si nous ne clamons pas fort et défendons l’idée que oui nous avons beaucoup à gagner à travailler ensemble ici et ailleurs : hommes et femmes, du Nord et du Sud, des descendants de colonisés et des descendants de colonisateurs ; nous devons construire un devenir pour ouvrir des possibles qui puissent nous concerner toutes et nous intéresser, de là où nous sommes, en travaillant avec d’autres de là où elles sont.

Penser co-transition c’est développer notre côté « sans gêne » pour nous préoccuper du devenir des autres et les inviter à faire de même avec nous, s’ils ne le font pas directement par eux-mêmes. Nous mêler des affaires des autres n’est pas une si mauvaise chose finalement, s’ils peuvent se mêler de nos affaires, pour un monde plus égalitaire en termes de richesse et de pouvoir et respectant l’environnement.

Il s’agit de repenser nos luttes en général c’est-à-dire non pas juste traduire et comprendre des pensées venues d’ailleurs, comme le voudrait une approche anthropologique classique, mais aussi lutter contre la séparation entre un ici et un ailleurs.

Ainsi, par exemple, parler de quelques préalables qui semblent importants. Nous pensons qu’il n’y aura pas de co-transition

• sans diversité dans tout le vivant : diversité des semences certes, mais aussi des écosystèmes, des pratiques agricoles et culturelles ;
• sans diversité des communautés, de genres, de cultures, de religions, d’origines au sein des sociétés humaines ;
• sans questionnement des positions de domination et de pouvoir. Comment engager une transition sans voix dissonantes, qui remettent en cause les jeux de pouvoir ?
• sans réécriture d’un système économique et social où la démocratie directe, participative et inclusive empêcherait à un pouvoir, une élite, de dominer les autres ;
• sans remise en cause du fondement organisationnel même de notre société patriarcale ;
• sans remise en cause des relations néo-coloniales et des modes d’interaction néo-coloniaux ;
• sans inclusion de chaque membre faisant partie de nos sociétés.

Il y a encore un tas de préalables à définir et mettre en place et défendre ; je parle à partir de ma position où la lutte primordiale est la lutte contre les oppression ou les micro-agressions néo-coloniales, mais je suis autant sensible et allié de toutes celles qui luttent contre les inégalités de genre ou d’orientation sexuelle ou bien toutes autres luttes contre les inégalités de pouvoirs et de richesses.

Manger bio et végétarien, trier ses déchets et ne pas prendre l’avion pour ses vacances ne permettra pas de transitionner. Il nous faut écrire plus de textes, faire plus de films avec pour objectifs de créer du lien, de l’interrelation, entre des luttes du Sud et des luttes situées au Nord. Il faut aussi publier d’autres auteurs et d’autres autrices ayant une autre vision progressiste de ce que pourrait être la transition à partir de leurs lectures situées des problèmes climatiques et Nord-Sud en général. Pas pour un quelconque effet de populisme de façade, mais bien parce que le changement de récit, que de nombreuses personnes appellent de leurs vœux, doit être mené par un changement de conteurs, de récitants, de créateurs et créatrices de récits. Sans concessions, et sans passions tristes ; il s’agit d’un devenir lié mais qui reste à construire. Cette fois-ci, nous pouvons faire le bon choix, nous devons faire le bon choix.

Nous vous proposons donc ces articles sur la co-transition ou de problématiques qui lui sont liées, à partir de positions « Suds ».

Bonne Lecture !