Au Kivu, la population se mobilise contre le paludisme et la malnutrition, par Cyprien Lusenge
Mal pourvus en infrastructures sanitaires, souvent détruites lors des conflits, les habitants d’un village de la région de Butembo, dans l’Est du Congo, se sont mobilisés pour construire un bloc opératoire. Ailleurs, ce sont des infirmières qui ont remonté un centre de santé apprécié.
En septembre dernier, les habitants de Kyalumba, un village à 35 km à l’est de Butembo, ont inauguré le bloc opératoire de leur nouveau centre de santé. Jusqu’à présent, les gens devaient se rendre à l’hôpital de Kyondo, à une vingtaine de kilomètres, pour les cas graves. En effet, le village ne disposait que d’un poste de santé sans médecin traitant. La population a travaillé bénévolement à la construction du nouveau centre en transportant parfois sur une distance de trois kilomètres du sable, des moellons et de la nourriture. Ils ont aussi apporté leurs compétences en matière de construction.
Le Nord-Kivu avec ses 5,6 millions d’habitants répartis sur 54 mille km² est l’une des provinces les plus vastes du Congo. Traversée depuis des années par les conflits et les déplacements de population, c’est aussi l’une des plus touchées par les problèmes de santé tels que le paludisme, la malnutrition et les problèmes liés à l’eau. Vu l’étendue du territoire, les gens doivent souvent parcourir de longues distances pour atteindre le centre de santé de référence.
À Kyalumba, les voyages vers l’hôpital causaient chaque mois la mort de six personnes au moins. Les femmes enceintes étaient les plus touchées à cause de la rupture utérine. « C’est l’élément le plus grave qui a obligé la population à solliciter un centre de santé, mieux équipé qu’un simple poste », déclare Kambale Lukando qui montre du doigt un groupe de patients visiblement rassurés par la présence du médecin. Les quelques femmes que nous avons rencontrées sont heureuses de penser qu’elles ne risquent plus de mourir lors de l’accouchement. « Maintenant, je comprends pourquoi il y avait beaucoup de morts. Les femmes enceintes qui viennent de loin nous arrivent déjà fatiguées. Les brancardiers qui les transportent le sont aussi. Personne ne pourrait continuer la route », constate le Dr Nathan Kasiviholya Kizito.
Avec le nouveau centre, le nombre de patients a augmenté, car les transferts sont de moins en moins courants. « C’est pourquoi je demande à d’autres médecins de me venir en aide. Depuis que je suis ici, je me réveille au moins deux fois chaque nuit pour des cas urgents », explique le médecin. De nouvelles salles doivent aussi être construites, mais, à présent, la population semble manifester moins de dynamisme. « Les gens pensent que le travail est terminé avec l’inauguration de ce bloc opératoire. Or, il faut qu’on augmente le nombre de chambres notamment », regrette le docteur en regardant un bâtiment en chantier.
A Kyangimba, ce sont trois infirmières qui se sont mobilisées pour remettre sur pied l’ancien poste de santé qui était à l’abandon faute d’infirmiers pour le réorganiser et de médicaments. Lors de l’attaque des Forces armées congolaises contre des rebelles ougandais en 2005, « les militaires avaient pillé les produits des champs (riz, haricots, manioc, maïs), qui sont les seules sources de revenus pour les villageois qui leur permettent de soutenir des projets tels que le centre de santé », indique Masika Deborah, une des trois infirmières.
Celles-ci ne disposent toutefois que de très peu de matériel. « Pour prononcer un diagnostic et prescrire les médicaments, nous nous fions aux déclarations du malade et à nos propres observations, car nous n’avons pas de microscopes pour faire les examens de laboratoire », souligne Jeannette Masika, l’infirmière titulaire. Toutefois, selon elle, à 80%, les patients repartent bien soignés et guéris. Ce qui relève du miracle, compte tenu des conditions. Charles Kahotherwa, alité depuis trois jours, confirme : « Je suis venu de la ville de Beni souffrant de la malaria ; je n’ai trouvé que ce poste pour me faire soigner et je me sens déjà très en forme, même si je n’ai pas subi les examens de laboratoire ».
Tous les trois mois, un microscope est amené du centre de santé Kivwe. Son arrivée est toujours annoncée dans les églises locales. « Ce jour-là, les activités tournent au ralenti, tout le monde vient pour leurs examens », souligne l’infirmière. Les chefs locaux et les villageois ont collaboré au projet. Deborah Masika est particulièrement touchée par le soutien des hommes : « C’est un grand pas, car, il y a peu, ils n’admettaient pas de suivre les propositions venant des femmes. La santé met tout le monde d’accord ».