La vie est dure à Bukavu... Il faut forcer pour vivre et si on trouve un travail qui fait respecter sa dignité, on s’y jette, par Yves Polepole
Mécaniciennes, menuisières, maçonnes, aucun métier n’effraie plus aujourd’hui les femmes de Bukavu. Elles sont de plus en plus nombreuses à occuper des emplois jusqu’alors réservés aux hommes aux gros bras.
Plein cœur de la ville de Bukavu. Il est 17 heures et la pluie menace. Une dizaine de personnes attendent un bus pour Kadutu, une commune populaire. Mais le minibus qui arrive a un pneu crevé. Le chauffeur appelle un kwado, terme du jargon local qui désigne un mécanicien chargé de changer et de réparer les pneus. Tout le monde regarde en silence et avec curiosité celui qui arrive : c’est une femme qui, au grand étonnement de tous, s’assied par terre pour changer rapidement le pneu.
« Je n’ai pas fini mes études secondaires et j’ai vu qu’il y a d’autres femmes qui font la mécanique et gagnent leur vie, explique la femme kwado en finissant sa tâche. Je m’y suis intéressée et j’ai constaté que j’avais des capacités pour le faire et que ce n’était pas un tabou. Ça fait six mois que je suis dans cette activité. J’ai un mari et trois enfants et ce travail m’aide dans ma charge ménagère ».
Les femmes osent pénétrer dans ces métiers longtemps pris en otage par les hommes. Elles sont aujourd’hui nombreuses dans les centres d’apprentissage des métiers qui prolifèrent ces derniers temps dans la ville. Dans certains secteurs, comme la conduite automobile, elles sont même aussi nombreuses que les hommes.
En 2009, elles ont été une dizaine à s’y mettre alors qu’il y a seulement cinq ans, aucune femme n’était inscrite, précise-t-il. « Les femmes ont compris… Ce n’est pas parce qu’on va au salon de beauté ou qu’on change d’habits quatre fois par jour que l’on est appelé femme. La femme actuelle, c’est celle qui cherche à gagner sa vie », explique une mécanicienne.
Certains chauffeurs se disent touchés par le sérieux des femmes dans leur travail. « Elles cherchent à se qualifier et montrer qu’elles peuvent mieux faire que les hommes, et ainsi font leur travail avec autant de sérieux et de propreté », reconnaît un chauffeur de bus. Cependant, pour l’instant, la quasi-totalité de ces femmes travaille encore comme employées ou aides et non comme patronnes.
Même si certains, trop conservateurs, supportent encore mal ce dynamisme des femmes, la conjoncture joue en la faveur de celles-ci. « La vie est dure ici à Bukavu... Voyez un peu le prix des loyers, celui des produits de première nécessité. Il faut forcer pour vivre et si on trouve un travail qui fait respecter sa dignité, peu importe, on s’y jette », lance Bahati, une jeune femme qui s’occupe du soudage dans un garage.
En 2006, la nouvelle Constitution a garanti la parité, donnant les mêmes droits aux femmes qu’aux hommes, et cela dans tous les domaines. Pour certaines organisations féminines, c’est une des grandes motivations qui poussent les femmes à embrasser toutes les carrières professionnelles.