Les sourds au théâtre contre le sida et les violences sexuelles

Mise en ligne: 16 mars 2010

Plus de 140 mille habitants de Kinshasa sont sourds-muets, par Magalie Kabale

A Kinshasa, une troupe de théâtre
réunit des acteurs entendants et sourds qui jouent une pièce et informent ces derniers souvent ignorés par les programmes de sensibilisation sur le sida et les violences sexuelles. Avec succès…

Au son des tams-tams, une douzaine d’acteurs de la troupe théâtrale du Centre de production des programmes et des supports de sensibilisation s’installent sur l’estrade d’une grande salle paroissiale. A la surprise générale, l’actrice principale, Nathalie Osinga, est une sourde-muette. Usant du langage des signes, elle raconte l’expérience très douloureuse d’une jeune fille victime de violences sexuelles, instantanément traduite par un autre acteur, un entendant qui, lui, a le dos tourné à l’assistance.

A la fois étonné et emballé, le public a accueilli par des applaudissements nourris cette troupe qui met sur une même scène les acteurs utilisant le langage des signes et d’autres la parole. Le directeur artistique, Doudou Nzio, reconnaît cependant que « le début n’était pas facile, même si avec le temps et beaucoup de volonté de la part des acteurs, la troupe a atteint un niveau qui peut concurrencer le théâtre classique à Kinshasa ». « Nous avons appris le langage des signes pour établir un climat de confiance entre les sourds-muets et les entendants », explique Freddy Mata, l’un des acteurs.

Selon Daniel Kiyedi, directeur de l’Institut des sourds-muets de Kinshasa, un peu plus de 140 mille habitants de cette mégapole sont sourds-muets. Non seulement ils ne participent pas activement aux différentes campagnes de sensibilisation, et souvent n’en sont pas bénéficiaires. « Nous devons avoir tous accès à l’information au même moment », explique Kisangala Muyuku, enseignant à l’école des sourds-muets de Kinshasa.

Les campagnes de sensibilisation menées par le passé par diverses structures n’atteignaient pas toujours les sourds-muets. En effet la plupart des outils de communication utilisés jusque là (spots, séries télévisées, affiches) ne sont pas adaptés à leur handicap. Les sourds peuvent suivre la télévision par exemple sans pour autant comprendre le contenu du message. « Il nous est difficile de savoir ce qui se passe, le langage n’est pas approprié et nous empêche d’accéder à l’information », regrette Zewi, un sourd, la trentaine révolue. Mais depuis environ trois mois, cette troupe de théâtre conçue pour eux, les informe sur les violences sexuelles et le sida.

Depuis cette campagne, Freddy Mata affirme, enthousiaste, « nous avons déjà touché près de 500 sourds-muets ». Il dit aussi noter un début de changement de comportement chez certains sourds-muets. « Ceux-ci disent avoir recours désormais aux préservatifs pour leurs rapports sexuels ». Les acteurs ne sensibilisent pas que sur les planches. Réunis en une association de lutte contre la marginalisation des sourds dans diverses campagnes de lutte contre les violences sexuelles et le sida, ils le font partout où c’est possible : dans les églises, dans les familles…