On n’est pas orphelin d’avoir perdu son père et sa mère mais d’avoir perdu espoir

Mise en ligne: 16 mars 2010

Comment vois-je le Congo dans cinquante ans ?, propos de Pie Tshibanda recueillis par Antonio de la Fuente

Pie Tshibanda, vous êtes écrivain et comédien, bien connu en Belgique notamment grâce à vos pièces Un fou noir au pays des Blancs et Je ne suis pas sorcier. Dans quel état d’esprit vous apprêtez-vous à célébrer le cinquantième anniversaire de l’indépendance du Congo ?

A l’indépendance du Congo, j’avais huit ans. Quand je déroule le film de ma vie, je vois des images plus prégnantes que d’autres. A l’école c’était encore la chicote au primaire, la formation janséniste au secondaire. A l’université, l’Etat, soucieux de former une élite, nous octroyait une bourse d’études qui nous donnait un certain pouvoir d’achat.

Sur le plan social et politique, il y a eu des tumultes autour des années soixante, une paix relative jusque fin des années septante et des difficultés sociopolitiques et économiques jusqu’à la chute de Mobutu.

En 1992, j’ai publié un livre que terminait par cette phrase prophétique : « Une nuit noir couvrit la ville de son ombre, le cauchemar se poursuivit. Qu’attendre de la lueur blafarde qui, à l’aube, pointait à l’horizon ? De ce nuage de sang suspendu dans l’atmosphère ? ». Nous sommes en 2010, il tombe encore une pluie de sang sur l’Est du Congo, il coule encore des larmes de sang sur les visages des filles et des femmes violées et mutilées.

Si nous traçons des courbes à partir des données statistiques traduisant le pouvoir d’achat, l’espérance de vie des Congolais, la qualité de l’enseignement, la qualité de nos moyens de communication, le confort, la confiance, nous nous rendrons compte que le cinquantième anniversaire de l’indépendance du Congo devrait être l’occasion pour nous de méditer sur le chemin parcouru, sur notre hymne nationale qui dit que « nous bâtirons un pays plus beau qu’avant, dans la paix... ».

Mais je sais que mon Congo n’a jamais été le même que celui des autres, de ceux qui ont toujours été favorisés soit pour leur proximité avec les tenants du pouvoir, soit parce qu’ils ont sacrifié l’idéal à l’argent de la corruption. Je peux comprendre ceux qui préparent la grande fête, moi je serai dans la méditation, de cœur avec ceux qui souffrent.

Vous nous dites ne pas être sorcier, mais comment imaginez-vous l’état du Congo dans cinquante ans ?

Dans cinquante ans, Kinshasa aura compris que le développement ne peut se faire que si les provinces ont la possibilité de se prendre en charge, de se gérer. Occident aura compris que le pouvoir d’achat des Congolais a des effets bénéfiques sur l’économie mondiale. Dans cinquante ans, les initiatives de ceux qui, aujourd’hui, construisent un dispensaire dans un village, une coopérative agricole dans un autre..., eh bien, ces initiatives se verront démultipliées, comme des étincelles qui finissent par devenir un grand feu. Je garde espoir en me souvenant d’un proverbe qui dit : « On n’est pas orphelin d’avoir perdu son père et sa mère mais d’avoir perdu l’espoir ».

La visite du roi Albert II au Congo est prévue pour le 30 juin 2010 ? Qu’en pensez-vous ?

Mobutu disait que le roi Baudouin était son ami ; mais à la mort de ce dernier, notre dictateur fut sur la liste de ceux qui ne pouvaient pas venir aux funérailles ! Cette décision était trop radicale, il vaut mieux parler et espérer qu’un jour la parole agisse.

Le roi ira au Congo, c’est une bonne chose, il faut maintenant espérer qu’il ne sera pas instrumentalisé. Il faut espérer que ceux qui conseillent le roi lui diront que pendant qu’il marchera sur le tapis rouge, beaucoup de Congolais marcheront dans des flaques d’eau, pendant qu’il sera à la table de l’ambassade belge ou des autorités congolaises, beaucoup de Congolais ne mangeront pas ce jour-là ! Le voyage du roi pourrait profiter à tous s’il y va avec l’idée d’être aussi la voix des sans voix, s’il voit au-delà de ce qui lui sera donné à voir.