Un enfant, ce n’est pas sorcier

Mise en ligne: 16 mars 2010

Traditionnellement les orphelins sont recueillis dans leur famille élargie mais la misère a changé la donne : on n’accepte plus de nouvelles bouches à nourrir et l’orphelin est déclaré sorcier et rendu responsable de tout malheur qui frappe l’entourage, par Edith Van Hove

Février 2004 : Mithé et Marc regardent tranquillement la télévision dans leur jolie maison de Tongrinne au cœur de la campagne namuroise. Par hasard, ils tombent sur l’émission d’information de la RTBF Actuel et intrigués par son titre : La Nouvelle stratégie du diable, ils suivent la séquence consacrée à la question des enfants dits sorciers de Kinshasa avec attention.

Horrifiés et incrédules, ils écoutent les témoignages d’enfants dont la vie a basculé quand leur famille ou leurs voisins ont cru déceler chez eux des signes de sorcellerie.

Les guerres et le sida ont en effet laissé beaucoup d’orphelins au Congo. Traditionnellement ceux-ci sont recueillis dans leur famille élargie par une grand-mère, un oncle, des proches… Mais la misère a changé la donne : on n’accepte plus de nouvelles bouches à nourrir. L’orphelin est alors déclaré sorcier et aussitôt rendu responsable de tout malheur qui frappe l’entourage. Véritable victime expiatoire, il est souvent battu, torturé et parfois tué. Dans le meilleur des cas il est simplement jeté à la rue.

Mithé et Marc, bouleversés par la cruauté de ces récits, se persuadent néanmoins que cette séquence ne peut refléter la réalité et pensent sincèrement que les auteurs de l’émission, dans un souci de sensationnalisme, ont forcé le trait, exagéré les faits ou même inventé ceux-ci et que les petits témoins sont des comédiens ou des fabulateurs.

Mithé Ahindo Osumbu, travailleuse sociale, est congolaise mais elle n’était plus retournée au pays depuis de longues années. Mariée à un Belge, Marc, elle a construit sa vie en Belgique et certains évènements de la vie en Afrique lui ont échappés. Très perturbée par le documentaire mais sceptique, elle décide d’aller rapidement à Kinshasa, d’observer ce qui s’y passe réellement et de dénoncer éventuellement les excès de la presse. Une fois sur place, elle rencontre plusieurs personnes concernées par la détresse des enfants dits sorciers et elle doit se rendre à l’évidence : aussi invraisemblable que cela puisse paraître, beaucoup d’enfants y subissent effectivement d’abominables sévices après avoir étés accusés de commerce avec le diable.

Désireuse depuis longtemps d’apporter sa contribution à la reconstruction du Congo, la nécessité de créer une association qui se propose d’aider ces enfants maltraités s’impose à elle. Elle est persuadée qu’il y a là une action urgente à mener. Revenue en Belgique Mithé se démène sans relâche pendant des mois pour faire aboutir ce projet, pour convaincre les interlocuteurs institutionnels sociaux et politiques de l’utilité de son initiative. Avec Marc elle y consacre ses soirées, ses week-ends, ses congés et après des démarches longues et fastidieuses, des démêlés administratifs interminables Oser la vie voit le jour et est inscrite comme asbl au Moniteur belge. L’association commence aussitôt à récolter des fonds par l’intermédiaire de parrainages, de dons et d’activités diverses.

Animée d’une énergie communicative, Mithé est partout et mène de front son métier et son engagement humanitaire. Dans un premier temps les sommes récoltées permettent l’hébergement d’une vingtaine d’enfants dans des familles d’accueil ou même le retour dans leur propre famille avec un suivi psychosocial par deux éducateurs spécialisés, Armand et Prince, engagés par la jeune association. De plus, ils bénéficient de soins médicaux et sont réintégrés dans le circuit scolaire.

Malheureusement l’association ne peut bien évidemment pas répondre à toutes les demandes. En effet, le nombre d’enfants dits sorciers ne fait qu’augmenter. Parallèlement Mithé se lance alors dans une campagne de sensibilisation dans les écoles, les quartiers, les centres culturels et sociaux de la capitale congolaise et parvient à toucher plusieurs médias locaux pour informer la population de l’horreur et de l’aspect criminel de ces pratiques. Elle est présente sur tous les plateaux de télévision, dans tous les studios radios et participe à de nombreux débats. Elle est alors contactée par Roland Mahauden, directeur du Théâtre de poche à Bruxelles qui, inspiré par son exemple, veut organiser avec elle une grande tournée théâtrale à Kinshasa sur le thème de « un enfant, ce n’est pas sorcier ».

Des centaines de Kinois a priori convaincus qu’une présence diabolique peut habiter certains enfants, assistent au spectacle. Sans renier leur conviction ils comprennent et admettent qu’il est cruel et injuste d’accabler et de brutaliser des enfants. Ils apprennent aussi que désormais la loi punira sévèrement ces actes de barbarie. L’impact de cette information dépasse leurs attentes. Mithé revient de Kinshasa épuisée mais heureuse.

Impressionné lui aussi par le charisme de Mithé et en collaboration avec Oser la vie, Guido Kleen, jeune metteur en scène hollandais, directeur de la compagnie Dakar a engagé à son tour une vingtaine gamins des rues pour créer et jouer une pièce reprenant l’incroyable trajectoire de leur vie blessée. La pièce sera montée dès cette année dans des stades, des parcs et d’autres lieux publics de Kinshasa. Guido et sa troupe sont largement financés par le ministère de la culture néerlandais qui soutient pleinement cette initiative.

Grâce à ces multiples actions de sensibilisation on peut désormais observer une diminution des maltraitances à l’encontre d’enfants soi-disant maléfiques, mais il faudra encore de nombreuses années pour éradiquer ces crimes parmi les plus odieux, les plus insoutenables.

Aujourd’hui Oser la vie s’est agrandie et prend en charge une cinquantaine d’enfants, filles et garçons, dont elle assure la scolarisation, l’encadrement et les soins de santé.

Son nouvel objectif est la création d’une maison d’accueil lumineuse et familiale qui offrira aux enfants hébergés la possibilité de grandir dans un cadre chaleureux. Ils devraient y retrouver confiance dans la vie et dans l’humanité après avoir été trahis et martyrisés par des adultes cruels et sans scrupules.

Mithé souhaite que cette nouvelle arche soit construite sur un vaste terrain qui permettrait le développement de cultures maraîchères et fruitières dont les enfants avec l’aide de formateurs pourraient en partie assurer l’entretien et la récolte. Chacun peut aider Oser la vie soit par un soutien financier soit en y consacrant un peu de son temps.

Contact en Belgique : Rue Maréchal Juin 4, 5140 Tongrinne.

Contact au Congo : Rue Bosaka 24, Massina Petro-Congo, Kinshasa.