Des nouvelles voies pour le financement des projets de solidarité ?, par Vincent Stevaux
Le crowdfunding, littéralement « financement par la foule », est une formule qui décrit les outils et méthodes de transactions financières faisant appel à un grand nombre de personnes pour financer un projet, ce projet pouvant être personnel ou associatif, de solidarité ou autre. Elle est utilisée par un très large spectre d’acteurs (personnes physiques et morales, associations, collectifs, entreprises…) dans des sphères d’activités très variées allant de la production classique de biens et de services à l’échange interculturel en passant par les projets de solidarité. On regroupe derrière cette appellation plusieurs types de financements : des dons à des porteurs de projets ; des projets « don contre don » (en échange d’un don, on reçoit en primeur une partie de la production ou des avantages), des prêts avec ou sans intérêts et enfin des investissements directs en capital.
Le financement participatif communautaire n’a en soi rien de neuf, les premières formes naissent au XVIIème siècle et l’ampleur du mouvement des charity shops créés en Angleterre en 1942 en pleine Seconde guerre mondiale sert aujourd’hui encore de modèle du développement du genre. Néanmoins, l’arrivée d’internet et du numérique durant la dernière décennie du XXème siècle a permis au crowdfunding de se développer de manière exponentielle, au point de voir certains politiciens annoncer une règlementation ad hoc comme en France, où une consultation publique a été ouverte fin 2013, ou à la Commission européenne qui a aussi lancé une consultation publique sur le sujet.
On évalue à 1,6 milliard de dollars le poids du financement participatif aux États-Unis et environ 945 millions d’euros en Europe en 2013. C’est encore très marginal mais comme dans d’autres sphères de la révolution numérique, nous n’en sommes encore qu’aux balbutiements. Le monde anglo-saxon a une longueur d’avance sur le reste du monde -la force du Charity business, beaucoup plus développé qu’ailleurs, n’y est certainement pas étrangère.
Au delà du financement de documentaires, de petites entreprises ou encore de projets artistiques, le crowdfunding semble particulièrement bien adapté aux petites initiatives de solidarité issues de la société civile qui peuvent trouver assez rapidement les fonds souvent réduits permettant leur réalisation. Ceci permet à des gens de se lancer dans des initiatives qu’ils auraient dû financer eux mêmes auparavant et ouvre de nouveaux horizons pour tout un chacun qui souhaite lancer un projet de solidarité. Les différentes plateformes (Kickstarter, Kisskissbankbank, Mutuzz, Ulule, Fondatio, Vodizées…) regorgent de projets d’échanges culturels, de voyages solidaires et autres petites initiatives de solidarité extrêmement variées. Comme le résume assez bien une participante : « Une nouvelle pratique de financements qui consiste à donner en pâture son projet aux internautes avides de bonnes actions et pouvant ainsi participer financièrement à tous types de projets. Ça marche et c’est chouette ! ».
Mais certaines ONG commencent également à s’intéresser à la manne que représente le crowdfunding comme en témoigne la micro application développée par le CCFD-Terre solidaire en France : Solidaire Ville. Cette plateforme de micro-dons permet, via l’achat réel de cadeaux virtuels pour ses amis, de financer des projets de l’ONG et de sensibiliser le « grand public » aux thématiques complexes du développement via une démarche simple et ludique, tout en bénéficiant de l’avantage fiscal. Jusque là, la plupart des ONG étaient présentes sur les grands réseaux sociaux mais la plupart se contentaient de relayer les potentiels donateurs vers leur page web ou vers un virement standard. Ici, la stratégie est toute autre, bien plus développée et sortant du cadre habituel de la collecte de fonds. On assiste à l’entrée de la solidarité dans le monde de la diversion et du ludique dans la sphère de la solidarité internationale. Les besoins de financement propres et l’évolution sociétale permettant ce mariage qui aurait sans doute paru incongru voici une dizaine d’années, et ce sans parler de la nécessaire alliance avec un acteur dominant et chantre du libéralisme tant décrié un temps par les ONG, notamment celles qui défendent les libertés individuelles, Facebook.
Il y aurait beaucoup à dire sur la juxtaposition de thématiques complexes de développement avec une démarche simple et plus généralement sur la confusion qui existe entre récolte de fond et éducation au développement et à la citoyenneté mondiale. Mais les ONG n’ont pas attendu le crowdfunding pour surfer sur cette confusion volontaire qui leur permet de faire l’un sous couvert del’autre et inversement.
On peut aussi légitimement se poser la question, à une époque où les fonds publics vont sans doute fondre comme neige au soleil, si nous ne nous trouvons pas face à une privatisation accrue de la solidarité, mission que beaucoup encore estiment être un devoir collectif et par définition public.