Habemus Papas

Mise en ligne: 20 juin 2014

Chanter contre le climat, organiser des performances... Le tout est de se retrouver ensemble, par Chafik Allal

Une attention trop faible a été accordée à la nouvelle guerre religieuse souterraine qui transforme le monde de la coopération au développement. C’est une adaptation d’une vielle idée de – entre autres – Umberto Eco sur les ordinateurs [Umberto Eco, 1994, Espresso (La bustina di Minerva).], chronique dont des extraits sont repris et adaptés, mais, à chaque fois que je parle aux collègues de cette adaptation, je découvre qu’ils sont d’accord avec moi.

Le fait est que le monde de la coopération au développement en Belgique est divisé entre différents piliers : les personnes des institutions internationales, celles de la coopération bilatérale directe, celles des ONG, syndicats et autres, celles des universités et finalement celles qu’on appelle aujourd’hui du quatrième pilier, qui font un peu ce qu’elles veulent à leur façon. Je suis entièrement convaincu que les deux premiers piliers ci-haut sont catholiques, le secteur des ONG est largement musulman et le quatrième pilier protestant. A une exception près le secteur de l’éducation au développement, largement (mais pas uniquement) présent dans les ONG, mais qui, lui, serait un schisme du secteur des ONG qui affiche sa particularité d’altérité et d’opposition avec les deux premiers piliers tout en gardant au mieux une proximité, au pire une déférence.

En effet, commençons par prendre le secteur de l’éducation au développement : il est contre-réformiste et a été influencé par le ratio studiorum des Jésuites. On désigne généralement sous le nom de Ratio Studiorum (en français : plan des études) le document qui définit les fondements du système éducatif jésuite, paru en 1598, dont le titre complet est Ratio atque Institutio Studiorum Societatis Iesu [Il suffit de regarder, comme moi, le ratio studiorum dans Wikipédia pour approfondir, cette explication courte vient de là.]. Il est l’œuvre d’un groupe de pédagogues réunis au Collège Romain, qui était à l’époque le collège jésuite de Rome. Si tout le monde voit ce qui représente le Collège Romain dans le cas présent, ce qui serait l’équivalent du Ratio Studiorum ici ne fait pas l’unanimité ; certains parlent du référentiel à l’éducation au développement, d’autres citent d’autres documents « plus universalisants » du type de ceux écrits dans de plus grandes institutions que le collège Romain. L’éducation au développement se veut être, comme le Catholicisme, un système gai, convivial, amical, il dit au croyant comment il doit procéder étape par étape pour atteindre sinon le Royaume des cieux au moins le nirvana, le nirvana étant une forme de consensus sur les ordres du jour et les activités de l’année.

C’est une forme de catéchisme : l’essence de la révélation est abordée au moyen de formules simples et d’icônes somptueuses. Chacun a droit au Salut dans l’Esprit que tout est Amour, et Dieu aussi. Et l’opposition y est de plus en plus consensuelle. On a même pensé à développer de plus en plus de rituels collectifs « occupationnels », sans aucune visée autre que la messe elle-même : chanter contre le climat, organiser des performances de clowns ou de bouffons... Le tout est de se retrouver ensemble dans une visée d’aumône ou de bonnes actions.

Ce secteur de l’éducation au développement, qui se voit et se veut tellement libre, est prêt à s’agenouiller devant le Collège romain, université ecclésiastique et lieu de développement du Ratio Studiorum, encore plus devant l’église de Belgique, la coopération bilatérale directe (administration), et représentant le Vatican, qui serait lui plus lié à toutes les émanations des organisations internationales travaillant sur la coopération au développement ; l’église de Belgique, elle, jouant son rôle en dictant les lois et en fixant les cadres, provenant du Vatican. La relation de verticalité y est forte avec des enjeux financiers pas négligeables. L’arrivée de contraintes massives venant directement – comme une reprise en main – de l’église de Belgique et du Vatican ou via le Collège romain, après interprétation – EFQM [European Foundation for Quality Management], réformes du secteur anticipées et précédées par des réformes dans le secteur de l’éducation au développement des ONG – illustrent cet agenouillement.

Le quatrième pilier, quant à lui, est protestant, voire calviniste. Il permet la libre interprétation des écritures, réclame des décisions personnelles difficiles, impose une herméneutique subtile à l’utilisateur et tient pour acquis que tout le monde ne peut pas atteindre le Salut ni la perfection. Afin de faire fonctionner le système, il faut interpréter soi-même le développement et donner son propre sens aux actions y contribuant : loin de la communauté baroque des fêtards de l’éducation au développement, l’adepte du quatrième pilier est enfermé à l’intérieur de la solitude de ses propres tourments.

On pourrait répondre que, avec l’envahissement du quatrième pilier par l’éducation au développement, l’univers de ce pilier finit par ressembler davantage à la tolérance contre-réformiste catholique. C’est vrai : il y a de nouvelles petites organisations du quatrième pilier qui essaient de ressembler à s’y méprendre aux ONG d’éducation au développement. Ces organisations-là représentent un schisme de type Anglican, avec cérémonies en grandes pompes dans la Cathédrale, mais il reste toujours une possibilité d’un retour à l’appartenance « quatrième pilier » pour changer les choses en accord avec des décisions étranges ; quand c’est le cas, vous pouvez décider d’emmener des stylos à une école du Sénégal si vous le souhaitez sans être obligés de justifier cette action au Collège Romain ou au Vatican.

Reste le Volet Sud des ONG de développement : leur côté mis en avant de résistance et de contestation à l’ordre établi fait penser à l’Islam, actuel ou bien à celui des origines. Le côté prêcheur « Imam » qui consiste à aller mobiliser ailleurs et à faire réagir ailleurs renforce d’ailleurs ce parallèle. Le positionnement est souvent affirmé en réaction à ce que l’église et le Vatican prônent, dans un esprit de délégitimation et de relégitimation.

Désormais, j’apprends également à inclure les nouvelles fondations et entreprises qui font de la coopération au développement et à me forcer à ne pas les oublier. J’ai ainsi découvert un jour que, chose incroyable, l’austère Bill Gates faisait des projets dans le Sud ; d’autres (presqu’aussi riches que lui) également. Ceux-là font partie des Nouvelles Eglises et du Renouveau Charismatique. On peut légitimement se demander si, à la longue, l’adoption de tel système « religieux » plutôt que tel autre n’exerce pas une profonde influence et n’entrave pas l’efficacité des actions : peut-on utiliser les ressorts du « catholicisme » et aller prêcher dans les quartiers populaires en Belgique ? A-t-on la possibilité d’être dans une démarche et des mécanismes « musulmans » et faire des projets au Cambodge ? Toutes des questions essentielles avant d’envisager des actions.

Il va de soi que le catholicisme, l’islam ou le protestantisme des systèmes n’a a priori rien à voir avec les opinions culturelles et religieuses des employés, membres ou administrateurs des organisations en question dans cet article.

Ah oui, j’oubliais : et la coopération universitaire qui peut être vu comme à l’interface de plusieurs piliers, elle se situe où ? Oups, elle serait plus Talmudique et Cabalistique et liée à l’Ancien Testament.