En faisant sérieusement de l’humour, des associations se cherchent de nouvelles voies, par Antonio de la Fuente
Un dimanche matin au centre de Bruxelles, on découvre que Manneken Pis, symbole de la ville, ne pisse pas de l’eau, comme il fait depuis plusieurs siècles déjà, mais du lait. Ce jour là, c’était la Journée mondiale du lait et l’ONG Vétérinaires sans frontières en habillant le petit bonhomme bruxellois en éleveur africain voulait attirer l’attention des badauds sur l’importance de la production de lait dans la lutte contre la faim et la pauvreté.
C’est devenu ainsi : en faisant sérieusement de l’humour, des ONG se cherchent de nouvelles voies d’expression.
Des coups d’éclat comme celui-là, les ONG les multiplient dans l’espoir de mettre la solidarité internationale à l’agenda, via la presse, les réseaux sociaux, le bouche à oreille. Comme le prévisible ne fait pas recette, elles explorent du côte de l’inattendu, du spectaculaire, de l’amusant.
Une autre initiative inattendue, initiée celle-ci par l’association Wapa (pour War-affected people’s association, sensible donc au sort des enfants soldats en Ouganda), a mis une pipe ougandaise en ligne en échange d’un objet d’une valeur supérieure. Au bout de plusieurs échanges, une toile, obtenue ainsi comme pièce de l’échange, a été vendue aux enchères pour six mille euros. Avec cet argent, Wapa se propose d’offrir une vache (et revoilà le lait) d’une valeur de six cents euros et une formation ad hoc à des familles ougandaises.
Ou alors, on danse, comme dirait Stromae…
Manneken Pis, pipe ougandaise ou alors on danse. Parmi l’inattendu en matière Nord-Sud, la danse se trouve en bonne place : Solidanza, d’Handicap international, et Dance for children, combinent déhanchement et élan solidaire Nord-Sud.
Ce qui motive ces associations n’est certainement pas l’exhibitionnisme ni la quête de notoriété à tout prix mais la difficulté à trouver un écho à leurs initiatives et de l’argent pour les financer. Traditionnellement les ONG ayant pignon sur rue avaient leur fichier de donateurs. Mais ces donateurs vieillissent et se font discrets et, pour contrer cette tendance au vieillissement et à la discrétion, les associations essaient elles de rajeunir et n’hésitent pas à rendre leurs propositions plus criardes.
Toutes les ONG ne suivent pas forcément ce mouvement. Certaines, prennent même en compte cette tendance dominante pour s’en démarquer : « J’ai 2 900 000 fans en faisant marrer les gens. La Croix-Rouge a seulement 260 mille en les secourant » affirme une publicité de la branche française de la Croix-Rouge.
Toute cette agitation participe d’un mouvement plus large, déterminé par des logiques institutionnelles et du contexte : les associations qui prétendent au cofinancement public de leurs activités doivent afficher une assise sociétale, un réseau de sympathisants et de participants à leurs activités, donc. Ces sympathisants et participants il faut dès lors aller les chercher où ils se trouvent, dans les réseaux sociaux, sur le web, en tant que public des médias ainsi que dans la vraie vie.
Ce mouvement déborde le seul cadre de la solidarité Nord-Sud et nous le retrouvons largement partout dans les médias et la publicité ou à présent, contrairement à il y a vingt ans, l’humour est omniprésent. Avec un succès inégal, tout doit être dit.
Le mouvement et les réactions critiques qu’il suscite débordent aussi le cadre belge et européen et atteint l’Afrique et même plus loin : « (En Afrique) mes associations favorites sont clitoraid.com et Knickers 4 Africa, qui collecte des slips usagés pour les femmes africaines », écrit, avec une bonne dose de cynisme, le romancier kényan Binyavanga Wainaina dans le journal britannique The Guardian (traduit en français par le Courrier international).
La solidarité internationale cherche donc des nouvelles voies d’expression tous azimuts. Alors, question : ces nouvelles voies sont-elles l’expression d’une nouvelle forme de solidarité qui émerge ? C’est probablement trop tôt pour y répondre.
A ITECO, de nôtre coté, nous essayons de suivre ce mouvement de manière active mais aussi de manière critique. Ce numéro s’inscrit dans cette démarche qui trouve une prolongation dans des formations au travail des associations envers les médias et à travers ceux-ci. Nous examinons la question du crowdfunding ou financement par les gens, ainsi que celle du micro-don ou générosité embarquée et de l’artivisme, initiatives au croisement entre l’art et activisme. Et nous allons même jusqu’à tenter une hypothèse suivant laquelle on va trouver du religieux dans tout cela.
Le plat de consistance nous le proposent les intervenants à la table ronde tenue dans le cadre de la célébration des cinquante ans d’ITECO en décembre 2013. La question posée à cette occasion était délibérément provocatrice : Coopération au développement, stop ou encore ?
Bonne lecture.