Effets du Musée de la mémoire de Santiago du Chili, par Diego Milos
Après ma première visite, j’ai demandé à des amis s’ils connaissaient le Musée de la mémoire et des droits de l’homme, ce qui donna lieu à une petite discussion sur la difficulté intrinsèque à la volonté de représenter la réalité historique. Une amie chilienne dit que c’était un « peu faux » de voir une réalité aussi terrible que celle du coup d’État et des années violentes qui s’ensuivirent « sous une forme muséifiée ». Un ami brésilien, avec un certain ton de désagrément, lui répondit : « on ne peut pas demander au musée de transmettre l’expérience pure et directe de la dictature ». La discussion n’avança pas plus loin, mais c’était déjà ça.
Il existe un débat plus ou moins implicite à toute démarche muséographique qui touche le problème de ses possibilités et de ses choix : d’une part, faciliter la transmission d’informations – l’histoire comme récit de faits et processus du passé – concernant les objets que l’on expose ; d’une autre, faciliter, par le biais d’un impact esthétique fort, la transmission d’une partie de l’expérience qui appartient à ces objets.
Il est probable que l’expression de cette différence n’ait trouvé plus claire expression que dans le cas de la fermeture du Musée de l’homme de Paris et l’ouverture du musée du quai Branly. Le premier exposait ses objets dans l’intention de montrer (informer) au visiteur le contexte culturel de la pièce. Si, par exemple, l’objet exposé était un masque, il fallait signaler d’où il venait, quels étaient ses usages et quels étaient les significations pour les membres de la culture à laquelle le masque appartenait Le musée du quai Branly, qui prit la place du Musée de l’homme et qui gère aujourd’hui ses dépôts ethnologiques, fait le pari non pas sur le contexte culturel de l’objet, mais sur les objets en soi, qu’il considère comme des chefs-d’œuvre des arts premiers. Dans cette vision, les significations et les usages – par exemple, amazoniens – des masques sont moins importants que leurs formes et leur beauté, et on les expose isolés de tout contexte et dépourvus d’explication, comme s’ils pouvaient, par eux même, exprimer une signification qui n’est plus donnée par la culture d’origine, mais qui jaillit de l’expérience directe avec le spectateur.
Je me souviens, à ce sujet, de ma propre expérience dans ce musée, où les deux côtés d’un couloir étaiente exposées, sans ordre thématique, un ensemble de masques. Sous une lumière ténue et sur un fond noir, le montage produisait l’effet d’être entouré de figures fantasmagoriques : une expérience visuelle où les masques se trouvant derrière les vitrines se confondaient avec les reflets – dans les vitres– des masques d’en face. Mis à part la question sur l’intention délibérée du Musée de la mémoire de Santiago, l’expérience de sa visite ressemble à la démarche esthétisante du Quai Branly, car, plus qu’un savoir historiographique, ce qu’il mobilise ce sont des impressions et des affections. De quelle manière et par quels moyens la mémoire et l’imagination historique du visiteur sont elles interpellées ?
Il est difficile de répondre d’une façon exacte et raisonnée, mais on peut avancer au moins deux choses : d’abord, que l’espace et les messages proposés par le musée impliquent une certaine expérience temporelle du registre historique et de la mémoire ; ensuite, que, à force d’insister, ces messages finissent par se passer de leur situation d’énonciation et de certains traits « subjectifs » et historiques : le qui et le quand du discours, ce qui, de mon point de vue, est un effet poétique et dramatique associé à un espace testimonial générique, en ce sens où les traits personnels des témoins sont repoussés à une place secondaire en faveur d’un récit – également générique – de la douleur et de la violence et, parfois, de l’apaisement et de la guérison.
Au centre de la salle principale du musée, on trouve une chronologie du jour du coup d’État, qui va de 6h à 18h, c’est-à-dire de la prise de Valparaiso par la Marine au couvre-feu et aux arrestations massives et indiscriminées dans tout le pays. On observe aussi un montage audiovisuel de dix minutes, élaboré avec des enregistrements directs, qui fonctionne comme une sorte de synopsis de la journée déployée dans la ligne du temps.
Un événement historique se caractérise par son intensité, et ce montage assez simple invite le visiteur à sentir la haute intensité historique de ces quelques heures. Chaque moment et chaque scène est un petit événement historique, fulminant et lourd. En un jour, le 11 septembre 1973 – événement que nous les Chiliens appelons « le onze » - s’écoulent des faits, des instants, qui vont marquer le futur.
Un exemple en est le discours d’Allende, prononcé à 9h10. Il est inscrit sur une ligne chronologique : un discours très court, deux minutes perdues dans une ligne de douze heures. Dans le récit audiovisuel qui lui sert de support, le discours n’est pas reproduit dans sa version intégrale. Dans la synopsis de la journée se loge une synopsis d’un discours qui reste, pourtant, un moment décisif, car il marque un tournant : ce sont les derniers battements du cœur de La Moneda ; c’est une fois qu’ils s’éteignent que commence la période historique à laquelle est vouée toute la démarche muséographique : la dictature.
Peut-être afin d’alléger une chronologie tout compte fait trop serrée, dans la même salle se trouvent des téléviseurs transmettant des documents audiovisuels, auxquels le visiteur peut se connecter par le biais de casques. Un de ces appareils reproduit la version complète du discours d’Allende – ce qui me réjouit, car j’ai toujours vu dans ce discours une des actions politiques et poétiques les plus héroïques du 20ème siècle – qui est supportée par une séquence de photographies des dernières heures du premier président socialiste élu, portant son casque et une mitraillette, dans La Moneda en ruines.
Un autre témoignage est celui du journaliste Jaime Vargas, qui fait le récit, sur place et en direct, de la bataille entre les fonctionnaires de La Moneda et les militaires, enregistrée caméra au bras par un autre journaliste. Le caméraman et le speaker se trouvent, avec d’autres journalistes, dans un bâtiment proche de La Moneda. Par la fenêtre, ils ont une vue privilégiée sur des faits dont les dimensions historique et journalistique se confondent. Il survient soudainement un épisode étrange où on a la sensation que le cameraman est atteint d’une balle. La caméra tombe par terre et un silence s’installe. Le plan s’arrête pendant un moment inquiétant – et il est difficile de ne pas se souvenir du caméraman, si je ne me trompe, argentin qui filma un soldat au moment où celui-ci lui tire dessus pour le tuer–, mais il reprend le mouvement et d’autres images apparaissent dans l’écran.
Le discours d’Allende nous donne accès à une dimension, non pas chronologique, mais de l’événement in situ, et encore plus la vidéo et la voix de Jaime Vargas, qui essaie, au risque de perdre la vie, de décrire ce qui se passe depuis l’arrivée des militaires jusqu’au bombardement. Bien que cette vidéo soit éditée, on peut sentir le passage du temps : entre les balles et le bruit des obus s’écoulent des instants de silence, d’impuissance et de peur, d’adrénaline sépia. Le spectateur, avec un peu de concentration peut sentir le temps et entendre, ou du moins imaginer, le souffle des journalistes.
Est-ce bien ça l’objet de la mémoire historique ? Serait-ce l’objet d’un Musée de la mémoire et des droits de l’homme – son intention muséographique –que de créer un espace pour mettre en valeur, dans sa dimension la plus réelle, le temps ? Est-ce que c’est ça la part d’expérience historique que le monument ou l’objet de musée doit transmettre à ses visiteurs ?
Au centre de la salle principale, face à la chronologie, il y a un montage de photos distribuées sur un mur imposant. À cinq mètres du sol, des centaines de portraits de détenus disparus survolent, comme un nuage chargé de morts, les têtes des visiteurs.
L’architecture de plusieurs étages – tous ouverts sur le grand espace central du musée – permet d’observer le nuage depuis différentes perspectives, distances ou hauteurs. Le spectateur peut alors survoler le nuage ou s’en approcher pour mieux distinguer les visages qui la composent. Pour identifier ces individus, dans le deuxième étage, en face du nuage et à une distance moyenne, il y a un écran interactif sur lequel on peut toucher le détenu et faire apparaître son nom.
Dans la salle centrale, il y a un secteur dédié à la torture et la prison politique. Cet espace n’est séparé que par une toile noire, sur laquelle sont écrits les noms de victimes avec des caractères blancs.
Je rentre dans une de ces chambres divisées par les panneaux légers et je m’assieds. Je suis face à un écran qui transmet plusieurs témoignages de l’Estadio Nacional de Santiago, centre sportif qui fut utilisé comme centre de torture et détention massive les jours après le coup d’État. L’intimité qui se tisse immédiatement avec le récit m’envoute, et je prends quelque temps à me rendre compte qu’il y a quelqu’un d’autre dans cet espace noir. La lumière du film me permet de voir un peu ses traits, nous nous regardons. J’allume mon magnétophone et je reviens au témoignage, non sans un certain effort de concentration, car dans la chambre contiguë une autre installation audiovisuelle reproduit aussi des témoignages à un volume bien plus fort. D’autres témoignages, d’autres torturés, dans une autre chambre. Cette interférence produit l’effet d’un étrange dialogue, incohérent formellement et pourtant compatible sur le plan du discours, comme un nuage sonore de paroles flottantes.
Je copie une courte séquence afin de transmettre par écrit un effet auditif. Avec la transcription, on perd surtout le rythme qui est propre du témoignage sonore, mais la puissance poétique et dramatique des faits que demeure. On perd aussi l’identité du témoin, dont les témoignages se détachent pour se superposer, voire s’articuler, les uns aux autres, comme dans un récit unique.
« Il avait l’état physique d’un jeune athlète de 21 ans. Ses râles étaient de plus en plus profonds et plus rauques, et plus les chaines impactaient sa chair, son dos, sa tête, ses fesses, ses jambes.
« Tout voulait sortir de mon corps. Comme si mon cerveau était plus grand que ma tête, mes yeux plus grands que mes orbites, ma langue plus grande que ma bouche. Je sentais des aiguilles dans tout le corps et pendant la nuit je ne pouvais dormir à cause de la douleur de mes os.
« Je crois qu’on peut tout oublier, même la douleur. Au moins on peut effacer la sensation lorsqu’on se souvient. Mais la sensation d’humiliation me frappe encore quand je me souviens.
« Pendant qu’on attendait, des heures, des jours entiers, on pouvait entendre les coups, les gémissements des gens, les hurlements de douleur, une symphonie de hurlements. On oublie toutes ces choses, mais parfois les cris apparaissent.
« Quelque part, près de l’avenue Pedro de Valdivia, il y avait un haut-parleur qui passait la musique des Beatles et des Rolling Stones, le volume à fond, mais assez loin d’ici, pour que les passants et les écoliers d’un lycée du coin n’entendent pas les cris des gens qui étaient en train d’être torturés.
« Alors, pourquoi t’es ici / Parce que les policiers m’ont amené / Mais, pourquoi ils t’ont amené ? / Parce que j’étais dans le centre-ville et j’ai acheté des livres marxistes, et ils m’ont amené. – Donc eux non plus ne savaient pas pourquoi on était là. On faisait l’interrogatoire pour savoir pourquoi on t’avait amené.
« J’ai écouté ce qu’ils se disaient : à celui-ci on va lui traiter en douce, parce qu’a 17h20 je dois retrouver ma femme à la porte du cinéma Rex, on va à aller voir Le Parrain.
« J’ai toujours voulu savoir comment cette personne est capable de sortir d’ici après avoir laissé une autre personne en état de loque, se laver les mains, rentrer chez lui [pleurs] et embrasser ses enfants.
« J’ai vu Alfonso. Alfonso m’a vue. J’ai été, moi aussi, un instrument de torture dans cet espace.
« Quand je suis sorti de ça, je me sentais bien, je n’en suis pas sorti vaincu, je n’en suis pas sorti écrasé ».
Le quantité de témoignages est si grande et pesante que j’oublie que la torture fut pendant longtemps quelque chose de secret, une expérience qui circulait tout au plus sous la forme de rumeur. L’atmosphère sombre, voilée et pénétrée de tous côtés par des voix extérieures, mais toujours parlant de la vie et la mort dans les prisons clandestines, sauvegarde néanmoins l’aspect intime de ce vécu.
Lorsque je parlais plus haut d’expériences muséographiques, et plus spécifiquement d’expérience esthétique, je voulais dire que l’exposition fait appel aux capacités sensorielles du spectateur, en jouant avec les coordonnées spatio-temporelles et en interpellant son imagination au moyen de la mémoire des autres, témoins ou victimes, et de leur témoignage.
L’exemple le plus simple du message efficace – ce mot n’a ici pas de sens négatif, il veut simplement dire que l‘on favorise plus les effets des expériences de violation des droits de l’homme que leur explication historique – se trouve dans un des premiers montages de la visite : on peut observer une plaque descriptive des Commissions de la vérité, racontant comment elles travaillent, quelle est leur fonction, pourquoi elles ont été créées et dans quels pays elles existent. Sur le mur, une autre composition nous donne une silhouette du monde, dont la surface est remplie de photographies lui donnant la forme des continents, peut-être pour nous dire que partout se commettent des atrocités. De la même manière que les éléments du nuage de détenus disparus du salon principal, chacune de ces photos porte une image de violence, sans texte pour dire ce que l’on dresse en portrait. On y voit des cicatrices, des mutilés, des portraits de disparus, des maisons détruites, du feu et des cendres, des enfants qui pleurent, des cimetières, des familles de victimes, des victimes, des squelettes, des os, mais on ignore exactement d’où viennent toutes ces personnes et quels sont les événements qui ont ravagé leurs vies.
La distribution des noms sans visage dans les toiles divisant les espaces intimes de la prison politique et la distribution des portraits sans nom sont aussi des exemples de ce type mise en scène – qui est bien différente des démarches monumentales de la mémoire qui cherchent avant tout la réparation par la restitution des noms aux corps, échangeant par ce biais le statut de « détenu disparu » par celui d’ « assassiné par les appareils répressifs de l’État ».
Et ce peut être aussi le sens d’un autre montage audiovisuel, cette fois non pas testimonial mais nettement artistique – une installation –, de Enrique Ramírez, au troisième étage. Son titre représente très bien la sensibilité poétique des énoncés : « Los durmientes [Les traverses] », qui évoque l’acte de dormir, et donc la possibilité d’un réveil, d’une réapparition, mais aussi les rails auxquels no attacha les victimes avant de les jeter à la mer. Cette ambivalence est soulignée par le sous-titre de l’œuvre : « la mer est le véritable cimetière du Chili ».
L’aspect plus formel du dilemme de l’identification par la restitution des noms – et que le visiteur est discrètement invité à résoudre – est présent depuis le début de l’exposition, avec l’explication de mémoriaux. Un panneau affiche que ces lieux de mémoire résultent « de l’effort collectif pour donner de la visibilité à ce qui demeure occulte ». Dans des cimetières, des enceintes d’arrestation ou des charniers, on installe des monuments afin de déclencher la mémoire de ceux qui sont présents : des monolithes, des planches de marbre, cuivre ou bois, ou des sculptures, comme celle du Mémorial de Santa Bárbara, dédié aux détenus disparus et exécutés politiques, dont la plupart étaient des ouvriers et paysans de Santa Bárbara et Quilaco, dans le sud du Chili. Le pont qui reliait les deux communes est le lieu où ils ont été exécutés et jetés dans le fleuve.
Sur les planches de ces lieux de mémoire sont souvent inscrits les noms des victimes, ou une marque NN à leur place. Mais on ne trouve pas le nom des auteurs des sculptures. L’Hommage aux médecins martyrs, par exemple, est fait d’un monolithe et d’une sculpture à la mémoire des professionnels de la santé assassinés pendant les premières années de dictature. La liste des noms commence par celui de Salvador Allende. On ne voit pas les noms des bourreaux.
Étrange façon de faire justice, celle de rendre les noms aux morts. Ce n’est pas une question de justice au sens judiciaire, c’est-à-dire en tant que jugement et pénalisation des délits. Les aspects saillants sont autres – au moins deux : politique, en ce sens de promouvoir les bases d’un projet de société démocratique qui assure, au moyen du souvenir des atrocités passées, que de telles atrocités ne se répètent pas ; et symbolique, pour dédommager l’outrage personnel et rétablir la dignité des victimes. C’est ça l’opération que l’on effectue avec le nom propre en tant que moyen de visibilisation de l’invisible.
Convient-il donc de s’interroger sur les raisons officielles de la conservation des objets ou la reproduction des témoignages ? On voit bien que la signification du mot « patrimoine », comme pour les monuments, n’est pas univoque. Le sauvetage de certains objets historiques (bâtiments, reliques, expressions artistiques) n’obéit pas seulement à des critères pour mesurer les contributions à la « civilisation » du point de vue de la culture occidentale (point de vue qui explique des expressions telles que « chef-d’œuvre »). Cette tendance muséographique cherche à mettre en valeur les aspects matériels et immatériels qui témoignent, non plus seulement des grands œuvres de l’humanité, mais aussi des violations des droits de l’homme et de la grandeur d’y avoir résisté – comme dit la déclaration patrimoniale d’Auschwitz.
Si le monument « classique » est une tentative de conservation qui lutte contre le passage naturel du temps, les mémoriaux sont une tentative de conservation contre la volonté délibérée de dérobement, un travail de conservation d’une mémoire en péril de disparition forcée. C’est ça qui fait l’urgence d’investiguer, de reconnaitre et de communiquer, le plus tôt possible, les informations venant des fosses communes et des lieux de détention secrets sous menace de démolition. C’est ce qui fait le premier appel aux soins patrimoniaux. Et c’est peut-être ça, aussi, le moteur de vouloir à tout prix des endroits pour « montrer le passé », c’est-à-dire de lui rendre non pas seulement la visibilité, mais aussi sa temporalité.
Cette différence patrimoniale – cette urgence – existe en fait depuis bien avant la volonté et le besoin d’en faire du patrimoine, à savoir, depuis le début de la recherche des disparus. En ce sens, la logique de la patrimonialisation est une continuation de la recherche judiciaire et du drame vécu par l’entourage plus ou moins intime des victimes. Cet aspect testimonial de la recherche judiciaire – qui, il me semble, est une inspiration et un support du scénario muséographique et des créations monumentales – est fort sensible aussi dans la fine description des vexations (les « méthodes » de torture), qui arrivent à un degré parfois obscène d’exactitude technique. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une démarche d’extériorisation, de rendre public des secrets, de rendre présent, par le souvenir, ce qui n’était pas présent au moment même : l’horreur quotidien et invisible.
Comme une variation encore plus accablante de Funes, le mémorieux, le personnage de Borges qui ne pouvait oublier, les politiques de la mémoire proposent que l’on se souvienne aussi de l’acte d’oubli. Il ne s’agit plus seulement de se souvenir des faits oubliés, mais de se souvenir aussi du fait qu’il est question d’un oubli artificiel, intentionné et forcé, et de rendre des identités qui ont été dépouillées par des actes délibérés de dérobement : démolitions, censure, isolement, simulations. Des actes que l’on connait aujourd’hui trop bien parce qu’on n’a pas eu connaissance avant, au moment où les faits se déroulaient.
VO en español
Efectos del Museo de la memoria de Santiago de Chile, por Diego Milos
Después de una primera visita al Museo de la memoria y los derechos humanos, pregunté a unos amigos si conocían el museo y qué opinión tenían, lo que dio pie a una pequeña conversación sobre la dificultad intrínseca al esfuerzo de representar la realidad histórica. Una amiga, chilena, decía que era extraño ver « museificada » una realidad tan terrible como el golpe de estado y los años violentos de la dictadura. Un amigo brasilero, con un cierto tono de molestia, le respondió : « no le puedes pedir al museo que te transmita la experiencia pura y directa de la dictadura ». La conversación no llegó más allá, pero ya era bastante.
Existe un debate más o menos implícito a toda propuesta museográfica que tiene que ver con sus opciones : por un lado, facilitar la transmisión de información – la historia como relato de los hechos y procesos del pasado – relativa a esos objetos ; por otro, facilitar, mediante un fuerte impacto estético, la transmisión de una parte de la experiencia propia de los objetos que se exponen.
Probablemente la expresión de esta diferencia no haya encontrado mayor nitidez que en el caso del cierre del Museo del hombre de París y la apertura del Museo del quai Branly. El primero exponía sus objetos intentando mostrar (informar) al visitante el contexto cultural de la pieza. Si lo que se muestra es, por ejemplo, una máscara, había que indicar de dónde venía, cuáles eran sus usos y cuáles eran los significados de la máscara para los miembros de la cultura a la que pertenecía. El Museo del quai Branly, que reemplazó al Museo del hombre y administra hoy sus bodegas, apuesta no por el contexto cultural del objeto sino por el objeto mismo, al que considera como una obra de arte (« ¡obras maestras de arte… primario ! »). Los usos y significados africanos de una máscara africana importan menos que sus formas y su belleza, y en razón de ello se la expone aislada de contexto y desprovista de explicación, como si por sí sola pudiera expresar un significado que no viene ya de su cultura de origen sino de la experiencia directa que tiene de ella el espectador.
Recuerdo, a propósito, mi propia experiencia en una sala de este nuevo museo en la que estaban expuestas, sin orden temático, un conjunto de máscaras a ambos costados de un pasillo. Con una iluminación tenue y sobre fondo negro, el montaje producía el efecto de estar rodeado de rostros fantasmagóricos : una experiencia visual en la que las máscaras tras los vidrios se confundían con los reflejos de las máscaras de enfrente.
Independientemente de la voluntad deliberada del Museo de la memoria de Santiago de Chile, la experiencia de su visita se asemeja a la propuesta estética del Quai Branly, ya que, más que un conocimiento historiográfico, lo que uno se lleva al salir del recinto son sobre todo impresiones y afecciones.
¿De qué manera la memoria y la imaginación histórica del visitante son interpeladas ? Es difícil responder a ciencia cierta, pero intuitivamente es posible adelantar al menos dos cosas : primero, que el espacio y los mensajes creados por el museo implican una cierta experiencia temporal del registro histórico y de las memorias ; luego, que los enunciados escritos y sonoros, es decir los testimonios, a fuerza de insistir, terminan prescindiendo de su situación de enunciación y de ciertos rasgos « subjetivos » e históricos : el quién y el cuándo del discurso, produciendo lo que para mí es un efecto poético y dramático bastante singular, pues tiende a crear un espacio testimonial genérico, en el que los rasgos personales de los testigos quedan en un lugar secundario en favor de un relato genérico del dolor y la violencia y, a veces, del alivio y la sanación.
Al centro de la sala principal del museo hay una cronología del día del golpe de Estado, de 6 de la mañana a 6 de la tarde, es decir desde que los barcos de la Armada se toman Valparaíso hasta la hora del toque de queda que marca el comienzo de las detenciones masivas e indiscriminadas en todo el país. Allí se puede ver un montaje de diez minutos elaborado sólo con registro audiovisual directo, como una sinopsis del día completo desplegada en la línea del tiempo.
Un acontecimiento histórico se caracteriza por su intensidad, y este simple montaje invita al visitante a sentir la alta intensidad histórica de unas cuantas horas. Cada momento y escena es un pequeño hito histórico, fugaz pero pesado. Un día, 11 de septiembre de 1973 – el acontecimiento que los chilenos llamamos « el once » – transcurren hechos, instantes, que van a marcar el futuro.
Un ejemplo es el discurso de Allende. Podemos verlo situado en su contexto cronológico, pronunciado a las 9h10 de la mañana : es un discurso corto, dos minutos perdidos en una línea del tiempo que tiene doce horas. En su correlato audiovisual, el discurso no es reproducido de forma integral. Dentro de la sinopsis del día tenemos una sinopsis del discurso. Y sin embargo es un momento central, un punto de inflexión dramática, son los últimos latidos del corazón de La Moneda, tras los cuales comienza el periodo histórico al cual se aboca toda la propuesta museográfica : la dictadura.
Tal vez para descomprimir la apretada cronología, en la misma sala principal hay televisores que transmiten documentos audiovisuales, a los que el visitante se puede conectar a través de audífonos. Uno de ellos, para mi alivio, reproduce la versión completa del discurso de Allende – que debe ser uno de los testimonios y actos políticos y poéticos más impactantes del siglo XX – acompañada de una secuencia de fotografías de él con su casco y su metralleta en La Moneda en ruinas.
Otro testimonio es el del periodista Jaime Vargas, quien relata en el momento mismo de los hechos, desde la llegada de los militares a la Moneda, y los comienzos de la célebre batalla entre los funcionarios del palacio y los militares, retratados cámara al hombro por otro reportero. El camarógrafo y el relator se encuentran junto a otros periodistas en un edificio cercano a la Moneda. Tienen desde allí una vista privilegiada sobre hechos cuyas dimensiones histórica y periodística, para el espectador, se confunden. Sobreviene un episodio extraño en el que da la sensación de que al camarógrafo recibe una bala. La cámara cae y se hace silencio. El plano se detiene por un momento preocupante – y es difícil no recordar al camarógrafo, si mal no recuerdo, de nacionalidad argentina que filmó a un militar al momento de dispararle, causando su muerte – pero vuelve a recobrar movimiento.
El discurso de Salvador Allende, y aún más el video relatado por Vargas, nos permiten acceder a una dimensión temporal del acontecimiento in situ, desde la llegada de los militares hasta el bombardeo. Si bien está editado, se puede sentir el paso del pasado : entre balazo y balazo transcurren momentos de silencio y temor, adrenalina en sepia. El espectador, con un poco de concentración, puede sentir el tiempo y, si no oír, al menos imaginar las respiraciones del locutor y del camarógrafo.
¿Será ese el objetivo de la memoria histórica ? ¿Será ese el objetivo de un museo de la memoria y los derechos humanos : un espacio para valorar, en su dimensión más real, al tiempo ? ¿Será esa la parte de experiencia histórica que el monumento o el dispositivo museográfico debe transmitir ?
En el centro de la sala principal hay un montaje de fotos distribuidas en una pared gigantesca, de unos 20 metros de alto y 40 de ancho. A unos cinco metros del suelo, hay cientos de fotos de detenidos desaparecidos, como una nube cargada de muertos, suspendida sobre las cabezas de los visitantes.
La arquitectura de varios pisos, todos abiertos al gran espacio central del museo, permite observar la nube desde distintas distancias, perspectivas y alturas. El espectador puede así sobrevolar la nube y acercarse a ella para percibir mejor los rostros que la componen. Para identificar a estos individuos, en el segundo piso, frente a la nube y a mediana distancia, está instalada una pantalla interactiva en la que uno puede pinchar la foto del detenido y saber su nombre.
En la sala central hay un sector dedicado a la tortura y la prisión política. Es un espacio tan sólo separado por una tela negra, sobre la cual están escritos los nombres de las víctimas estos crímenes de Estado.
Me dirijo a uno de esos cubículos separados por paneles de tela y me instalo frente a una pantalla que transmite por sus parlantes varios testimonios del Estadio Nacional de Santiago, recinto de tortura y detención masiva en los días posteriores al golpe. La intimidad con el relato y la imagen me envuelve y demoro en percatarme de que hay otra persona en el cubículo. Nos miramos. Enciendo la grabadora y vuelvo al atender el testimonio, con cierto esfuerzo de concentración, ya que en el cubículo de al lado suenan – a un volumen mucho mayor – otros testimonios de torturados, produciendo una extraña interferencia, un extraño diálogo, formalmente incoherente pero aun así compatible en el discurso, como una nube sonora de palabras flotantes.
Copio una breve secuencia buscando transmitir por escrito el efecto auditivo. Con la transcripción se pierde el ritmo propio del testimonio sonoro, pero permanece, creo yo, la potencia poética y dramática de los hechos que se dicen. Se pierde también la identidad del testigo, y los testimonios quedan sueltos y libres para articularse unos con otros, como si pertenecieran todos un mismo relato.
« Vimos a esa mole de hombre que tenía un metro 90, y una corpulencia impresionante y un estado físico como el de un muchacho atleta de 21 años, y que no moría jamás. Sus estertores iban siendo cada vez más profundos y más roncos, y cada vez que esas cadenas se topaban con la carne, con su espalda, con su cabeza, con sus nalgas, con sus piernas, cada vez sonaban menos las cadenas, porque se iba ampliando esa masa.
« Todo me quería salir del cuerpo, sentía que el cerebro era más grande que la cabeza, los ojos más grandes que las órbitas, la lengua más grande que la boca. Sentía agujas por todo el cuerpo, y después en la noche no podía dormir por el dolor de los huesos.
« Yo creo que el dolor, incluso, se olvida. Por lo menos se puede borrar la sensación al recordar. Pero la sensación de vejación todavía me impacta al recordar.
« Mientras uno esperaba, por horas, por días enteros, para ser interrogado, uno podía escuchar los golpes, los quejidos de la gente, los gritos de dolor, una sinfonía de gritos. Uno se olvida de estas cosas pero de repente los gritos aparecen.
« En alguna parte cercana a la avenida Pedro de Valdivia habían instalado un altavoz que diariamente transmitía música de los Beatles y de los Rolling Stones, a todo volumen, pero bastante lejos, para que los transeúntes y los escolares de un colegio próximo no oyeran los gritos de quienes estaban siendo interrogados.
« A ver, ¿por qué estás aquí ? / Porque me trajeron los carabineros / Pero, ¿por qué te trajeron los carabineros ? / Bueno, porque estaba en el centro y compré unos libros marxistas, y me trajeron. O sea ellos tampoco sabían por qué uno estaba acá. El interrogatorio era para averiguar por qué te habían traído.
« Escuché lo que conversaban : a éste le vamos a hacer un repaso suave, porque a las 5h20 mi mujer me va a estar esperando en la puerta del cine Rex, porque vamos a ir ver El Padrino.
« Siempre he querido saber cómo esa persona es capaz de pararse de aquí después de haber dejado a otra persona convertida en un guiñapo, lavarse las manos, irse para su casa [llora] y abrazar a sus hijos.
« Yo vi a Alfonso. Alfonso me vio a mí. Yo fui un instrumento más de tortura en ese espacio.
« Cuando salí de eso, salí bien, no salí derrotado, no salí aplastado ».
La cantidad de testimonios de tortura es tan abrumadora que de pronto uno olvida que está ante algo que durante mucho tiempo fue un secreto, una experiencia que a lo más circulaba como rumor. Sin embargo, el ambiente velado y oscuro y penetrado por todos lados por sonidos exteriores relacionados con la prisión clandestina conservan el aspecto de intimidad de las vivencias.
Al referirme antes a una experiencia museográfica, y más específicamente de experiencia estética, quería decir que la muestra involucra la capacidad sensorial del espectador, jugando con las coordenadas espacio-temporales y apelando a su imaginación mediante la exposición de la memoria de los otros, testigos o víctimas, y de sus testimonios.
El ejemplo más simple del mensaje efectista (sin connotación peyorativa), es decir que privilegia el efecto de las experiencias de violaciones de derechos humanos por sobre su explicación histórica, es el primero de los montajes expuestos, al inicio la visita al museo : una placa que explica lo que son las Comisiones de verdad, cómo trabajan, cuál es su función, por qué fueron creadas y en qué países existen. En la pared, hay una composición de conjunto, con una imagen del mundo y sus continentes, que muestra que, de algún modo, en todos los sitios se han cometido atrocidades. Del mismo modo que los elementos de la nube de detenidos desaparecidos del piso central, cada una de esas fotos representa imágenes de violencia, sin texto que explique qué es lo que retrata. Podemos ver cicatrices, mutilados, fotos de desaparecidos, casas destruidas, fuego y cenizas, niños llorando, cementerios, familiares de víctimas, víctimas, calaveras y huesos, pero ignoramos exactamente de dónde provienen y cuáles son los acontecimientos que arrasaron con esas vidas.
Otro ejemplo de esto es la distribución de nombres sin rostro en las telas negras que separan los espacios íntimos dedicados a la tortura, o la distribución de retratos sin nombre, todo lo cual se diferencia de otras propuestas monumentales de la memoria, que buscan ante todo reparar mediante el acto de restitución de los nombres a los cuerpos, cambiando así el estatuto de « detenido desaparecido » por el de « asesinado por los aparatos represivos del Estado ».
Y puede ser también el sentido de otro montaje audiovisual, ya no testimonial sino netamente artístico —una instalación— de Enrique Ramírez, que se encuentra en el tercer piso. Su título representa muy bien la sensibilidad poética de los enunciados : « Los durmientes », haciendo alusión al acto de dormir, y por lo tanto a la posibilidad de despertar, o reaparecer, y también a los rieles con los que hundieron a las víctimas en la profundidad anónima del mar. Esta ambivalencia es subrayada por el subtítulo de la obra : « el mar es el verdadero cementerio de Chile ».
El aspecto más formal u oficial del dilema de la identificación y restitución – y al cual el visitante es discretamente inducido – está presente en el museo al comienzo de la muestra, con la explicación de los memoriales. Una pancarta reza que estos sitios de memoria surgen « del empeño colectivo por dar visibilidad a lo que permanece oculto ». En cementerios, recintos de detención, lugares de hallazgo de víctimas o de asesinatos, se instalan monumentos para detonar la memoria de los presentes : monolitos, placas de mármol, cobre o madera, o esculturas, como por ejemplo el Memorial de Santa Bárbara, una escultura dedicada a los detenidos desaparecidos y ejecutados políticos, en su mayoría obreros y campesinos de Santa Barbara y Quilaco, en el sur de Chile. El puente que unía a las dos comunas fue el lugar de ejecución, y desde allí fueron lanzados los cuerpos a las aguas del río.
En las placas de estos lugares de memoria, muchas veces está escrito el nombre de las víctimas o una marca NN en el lugar de éste. Pero no aparecen los hombres de los autores de las esculturas. El « Homenaje a los médicos mártires », por ejemplo, es un monolito y una pequeña escultura que recuerda a los profesionales de la salud asesinados durante los tres primeros años de la dictadura. La nómina está encabezada por el nombre de Salvador Allende. Tampoco aparecen los nombres de los victimarios.
Curiosa forma de hacer justicia, la de devolver los nombres a los muertos. No se trata de una justicia en un sentido judicial, entendida como el juicio y castigo de delitos. Son otros dos los aspectos observables : uno político, en el sentido de promover las bases de un proyecto de sociedad democrática que asegure, mediante el recuerdo de las atrocidades pasadas, que tales atrocidades no vuelvan a repetirse ; y otro simbólico, de desagraviar la afrenta personal y restablecer la dignidad de las víctimas. Es esta la operación que se realiza a través del nombre propio como visibilización de lo invisible.
Cabe entonces preguntarse por las razones oficiales de la conservación de los objetos y la reproducción de los testimonios. Vemos bien, en este sentido, que el significado de la palabra « patrimonio », y el de los mismos monumentos, dejó de ser unívoco. El rescate de los ciertos objetos históricos (edificios, reliquias, expresiones artísticas) ya no se rige solamente por criterios del aporte a la « civilización » desde el punto de vista de la cultura europea (lo que explica además el uso de fórmulas como « obras maestras »). Esta tendencia museográfica o monumentalista busca poner en valor los aspectos materiales e inmateriales que atestiguan, ya no las grandes obras de la humanidad, sino por el contrario las violaciones a los derechos humanos y la grandeza humana de resistir a ellas, como dice la declaratoria patrimonial de Auschwitz.
A diferencia del monumento « clásico », que intenta conservar en contra del paso natural del tiempo, los memoriales buscan conservar en contra de la voluntad deliberada de ocultamiento o desaparición. Se trata de un trabajo de conservación de una memoria que se encuentra (o se encontraba) en peligro de desaparición, y por ello el patrimonio tiene la urgencia de ser reconocido lo antes posible, como fue el caso, en Chile, de las fosas y los recintos de tortura que estaban en riesgo de demolición. Tal vez por eso la insistencia de estos lugares en mostrar el pasado, e intentar devolver no solo la visibilidad sino también el tiempo.
Esta es una diferencia que permanece desde el comienzo mismo de la búsqueda de los desaparecidos. En ese sentido, la lógica de patrimonialización es una extensión de la lógica de la investigación judicial y del drama humano del entorno más o menos íntimo de las víctimas. Ese aspecto testimonial de la investigación judicial que, me parece, sirve como base museográfica para la elaboración del mensaje del monumento, puede notarse también en la fina descripción de las vejaciones (los « métodos » de tortura), llegando a veces a un alto grado de obscena exactitud técnica. Como sea, se trata de una medida de exteriorización, de hacer públicos los secretos, de volver presente mediante el recuerdo lo que no estuvo presente en el momento mismo : el horror cotidiano e invisible.
Como una variante de Funes el Memorioso, el personaje de Borges que no podía olvidar, las políticas de la memoria se proponen recordar además el acto de olvido. No se trata ya de recordar lo olvidado sino también de recordar que se trata de un olvido artificial, intencional y forzado, y de devolver esa identidad que alguna vez fue despojada mediante actos de ocultamiento deliberado : demolición, censura, aislamiento, simulación. Acciones que conocemos hoy demasiado bien porque no las supimos antes, en su debido momento, en el momento oportuno.