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Mise en ligne: 8 juin 2015

On peut tourner une page d’histoire mais il serait vain de vouloir la déchirer

Des monuments sont erigés, d’autres sont détruits. Des lieux de mémoire voient le jour là où des espaces avaient été cachés au regard public. Des musées sont joliment aménagés, d’autres dépérissent dans l’indifférence la plus totale. On condamne des génocides, on refuse de les condamner. Quel est le lien entre cet ensemble disparate de faits ? La mémoire historique, probablement. Ou son absence.

Maurice Hallbwachs a été le premier a utiliser le concept de mémoire historique, en décrivant une sorte de mémoire d’emprunt à travers laquelle nous nous souvenons des expériences vécus par d’autres et entendues sous la forme de récits. Après avoir forgé le concept de mémoire historique, aussi appelée mémoire collective, Hallbwachs est mort en déportation à Buchenwald, en mars 1945.

Le contraire est néanmoins tout aussi possible : des expériences individuelles relativement confidentielles intègrent le patrimoine de l’humanité entière ou à tout le moins d’un pan considérable de celle-ci. Songeons aux témoignages des victimes de crimes occultes. En écrivant Si c’est un homme, Primo Lévi faisait œuvre de mémoire et son témoignage, d’abord resté relativement confidentiel, est devenu par la suite une pièce fondamentale pour connaître et comprendre l’abominable expérience de la shoa.

« L’expression mémoire historique est équivoque, voire confuse, affirme Javier Cercas dans L’imposteur. Elle comporte, au fond, une contradiction : l’Histoire et la mémoire sont opposées. La mémoire est individuelle, partielle et subjective, tandis que l’Histoire est collective et aspire à être totale et objective ».

Il existe un mot allemand, Vergangenheitsbewältigung, qui peut être traduit comme « le dépassement du passé par sa remise en question constant », utilisé pour décrire le processus à travers lequel la société allemande a essayé de faire face à son passé nazi, explique Cercas. Pour arriver à ce dépassement du passé, il est nécessaire d’exercer la mémoire historique, individuelle et collective.

Revoir l’histoire pour façonner le présent et l’avenir est le propre de tous les pouvoirs et les musées et autres lieux de mémoire en sont issus. Parfois, les sociétés civiles construisent un discours alternatif à celui du pouvoir et la confrontation des deux se joue dans un tempo plus long que celui de la seule lutte pour le pouvoir. Les pouvoirs mettent en avant leurs triomphes, les victimes les défaites.

Nous avons réuni pour ce numéro consacré à la mémoire la destruction des sites historiques sous fond de contentieux historiques plus ou moins reformulés par la propagande de guerre, actualité oblige, et l’emplacement de lieux de mémoire en lien avec des violations des droits humains, en Afrique, au Cône Sud de l’Amérique ou ailleurs.

A cet égard, Hochemi Baccouche disait du contentieux franco-algérien -mais la portée du propos est bien plus large- qu’une page d’histoire peut éventuellement être tournée ; il serait vain de vouloir la déchirer.

Bonne lecture.