Halte au gaspillage organisé de 80 % des ressources de la planète au profit de 20 % de la population mondiale, propos de Réginald de Potesta de Waleffe, recueillis par Antonio de la Fuente
Réginald de Potesta de Waleffe, vous êtes licencié en sciences politiques de l’UCL et bénévole en économie sociale. Vous vous définissez comme objecteur de croissance et prosélyte de la décroissance et de l’après-développement. Vous vous êtes présenté aux élections législatives de juin 2007 à Bruxelles pour promouvoir la critique de notre modèle « croissanciste ». Que voulez-vous dire par là ?
Le développement, le libre échange, la compétitivité, la concurrence, l’argent et le travail érigés en valeurs absolues, validés par une rationalité « économiciste » et « croissanciste », le tout soutenu par des énergies toxiques, président à la destruction rapide de la vie sur terre. Des limites ont été dépassées. Le développement durable va ressembler, de « plus » en « plus », à un état d’urgence durable.
En 1972 à Stockholm, la communauté internationale inaugure la médiation entre développement et environnement avec la Déclaration de la Conférence des Nations unies sur l’environnement. En 1987, dans le même esprit, le rapport Brundtland ouvre l’ère du développement durable.
Les sommets de la Terre à Rio en 1992 et Johannesbourg en 2002 n’ont pu faire état que de l’accélération des coups portés à notre environnement par le développement et l’artificialisation croissante de notre économie. Ceci pour satisfaire les standards et la surconsommation d’une oligarchie et d’une classe sociale mondiale « petroleuse » et technophile. Avec ou sans pic de production, le stock restant du pétrole suffirait à achever un bouleversement climatique hors de contrôle et fatal.
Errare humanum est, perseverare diabolicum est.
La compétitivité commande au rééquipement permanent quand il ne s’agit pas déjà d’une obsolescence organisée par la consommation jetable, les modes ou les gadgets technologiques dépassés avant tout amortissement comptable. C’est aussi le gaspillage organisé de 80 % des ressources de la planète au profit de 20 % de la population mondiale. Ce mode de vie se réalise au mépris des générations bien présentes et de toutes celles à venir.
Malgré cette débauche matérialiste, les indicateurs qui mesurent le bien-être dans les régions phares de ce monde se sont effondrés depuis les années septante. Pourtant l’activité économique a continué de croître. En fait les coûts de la croissance (accidents, guerres, santé) engendrent une augmentation du PIB qui couvre le spectacle d’une récession bien cachée de notre qualité de vie.
Pour la planète, notre unique maison, l’évidence et la conscience de la catastrophe ont beaucoup progressé. Elle s’illustre par les images satellites de la déforestation, de l’étalement urbain et du mitage des campagnes, auxquelles s’ajoutent de très nombreuses statistiques environnementales et de multiples rapports toujours plus explicites : le climat et toute la biodiversité auxquels nous sommes intrinsèquement liés sont au rouge.
La mondialisation s’arc-boute sur une intensité carbone qui dénature et déracine les économies. Sa décroissance rapide est devenue aujourd’hui une question de vie ou de mort. Il ne s’agit plus de lointaines générations futures, nous y sommes.
Maintenant, à partir de l’inventaire et l’évaluation des dommages, des nécessités et capacités, il faut choisir entre la récession économique aveugle et explosive en cours ou alors s’engager dans la décroissance heureuse et une désintensification carbone aussi fulgurante que drastique. Ce moment ressemble de plus en plus à L’An 01 que Gébé a dessiné en 1972.
Il reste vraiment très peu de temps pour ce choix que les « à-quoi-bonistes » et autres cyniques ont déjà fait, ils attendent, voire appellent la marée, persuadés d’être épargnés par ce mouvement de chasse.
Plus discrètement, les élections législatives tenues le même jour en France et en Belgique ont connu plusieurs précédents pour l’objection de croissance. Une tribune pour un signal et un espoir. En moins d’un mois, sans avoir vraiment les moyens de mener campagne, avec un effectif incomplet, nous avons dépassé les suffrages de nombreuses listes dans plusieurs cantons. Preuve en est que les idées ont compté et qu’une conscience a pu s’exprimer.
Votre point de vue peut-être entendu dans une société développée, comme la notre, qui a, en grande partie, relevé les défis de la survie pour l’ensemble de ses membres, mais il risque de se voir rejeté d’emblée au sein des sociétés économiquement plus faibles, où des pans entiers de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté...
Le développement, ça commence par une route qui ouvrira la voie à tous les démons de la modernité. Avant même de parler développement, on pourrait déjà parler d’une redistribution plus équitable, de l’annulation de la dette du tiers-monde, du respect des autres modes de vie.
Il faut un autre rythme au monde. Il n’est pas pour autant question d’abandonner des groupes humains en détresse à leur sort. Un moratoire sur le développement ne correspond pas à un démantèlement de tous les développements.
Il ne faut pas confondre les situations de crise, de famine, de guerre avec des modes de vie en adéquation avec leur environnement, qui éprouvé depuis des générations sont pérennes avec moins d’un dollars ou deux par jour, critère qui les associent abusivement au seuil de pauvreté.
Que proposez-vous et en synthèse et que faites-vous pour y arriver ?
Il y a un champ qui s’ouvre pour le peuplement de l’imaginaire de l’après-croissance. Celui-ci semble heureusement refleurir dans les consciences, chez les créatifs culturels, parmi les mouvements associatifs et collectifs, un peu partout et sous toutes les formes, en premier s’y apparentent la consommation locale et paysanne, l’économie sociale, les mouvements cyclistes, anti-pub, anti-consumméristes, etc. Ils apportent un peu d’éclaircies dans les perspectives.
Dans un premier temps il faut inspirer une nouvelle éthique de la consommation mais ne pas tarder à la réguler et soutenir une sortie rapide des énergies fossiles. La consommation responsable passe d’abord par une consommation locale.
De très nombreuses personnes n’ont jamais pris l’avion, et pas mal d’entre elles n’ont même pas de GSM, ni même de connexion électronique. Pourtant ils ne se préoccupent pas de savoir s’ils sont objecteurs de croissance.
Nous appelons à la renaissance du local par la relocalisation massive des activités, de notre alimentation, et de la consommation en général. Résoudre les nuisances du commerce international et s’affranchir des technologies qui nous empoisonnent insensiblement à l’instar de la grenouille qui se laisse surprendre dans la casserole du film d’Al Gore.
Les réseaux d’économie sociale et les petites entreprises peuvent organiser la récupération, la réutilisation et l’entretien de toutes sortes d’objets de consommation courante (vêtements, outillage, mobilier, vélo). Les liens de la communauté retrouvée et une inventivité décloisonnée feront le reste.
À la recherche de l’équilibre, pour partager et prendre le temps de la réflexion, les personnes interessées peuvent s’organiser dans de nombreuses associations ou plus ponctuellement ont pris le temps de la rencontre lors de la Démarche de l’après-croissance en juillet et août entre Maubeuge et Liège, qui a précèdé les troisièmes Etats généraux de la décroissance équitable du fin août à Royère de Vassivière, près de Limoges, en France.