L’élaboration d’un indicateur vert qui montre le degré de développement atteint en parallèle à la durabilité de celui-cpeut-être n premier pas pour faire face aux carences de l’Indicateur de développement humain, par José Antonio Sanahuja
Le Rapport mondial sur le développement humain est publié par les Nations unies chaque année depuis 1990 et propose une conception du développement humain, un indicateur pour sa mesure, l’Indicateur de développement humain, IDH, et une analyse des différents problèmes politiques, économiques et sociaux et de leur impact sur le développement humain.
D’après le Rapport du PNUD, le développement humain est le processus selon lequel le plus d’opportunités sont offertes aux personnes. Parmi celles-ci, vivre longtemps grâce à l’accès à de bonnes conditions de santé, l’accès à l’éducation et aux ressources nécessaires pour jouir d’un niveau de vie décent. D’autres opportunités incluent la liberté politique, la garantie des droits humains et du respect de soi-même.
Ce concept dérive directement de la notion de développement comme processus d’élargissement des capacités humaines, telle que formulée par Amartya Sen, qui base sa notion de capacités sur l’œuvre du philosophe John Rawls et, en particulier, dans Théorie de la justice. Pour Rawls, les personnes doivent avoir la possibilité de poursuivre des objectifs différents et tous ces objectifs devraient être possibles.
Les capacités d’Amartya Sen font référence autant à ce que la personne peut faire ou être (des options) et ce qu’elle peut en effet arriver à faire ou à être (des buts), et non aux biens dont elle dispose. Vivre longtemps, bénéficier de plus d’éducation, de la dignité et du respect de soi-même, ce sont des éléments qui permettent d’élargir la gamme d’options disponibles pour un individu. Avoir des biens est une condition nécessaire mais non suffisante pour élargir ces options. Et, plus important encore, la gamme d’options possibles et les buts atteints augmentent ou diminuent avec une indépendance relative du montant des biens accessibles en fonction des variables culturelles et distributives ou de la capacité d’une société à assurer la sécurité, la santé. Celles-ci sont toutes des protections que, d’habitude, le marché n’assure pas. L’accès aux biens peut, en somme, poser les bases d’un niveau de vie élevé mais ces biens ne sont pas per se les éléments qui vont constituer ce niveau de vie. Le développement, d’après Sen, doit se centrer sur la personne et non sur les biens, en dépassant ainsi le réductionnisme de l’homo œconomicus.
Les réflexions de Sen et le concept de développement humain s’inscrivent dans la foulée d’une pensée critique autour du développement née au début des années septante qui met en question la préoccupation exclusive pour la croissance de la production de biens. Cette pensée critique a mis l’accent sur des questions liées à la distribution, aux besoins et à l’équité, à savoir les dimensions sociales du développement et la satisfaction des besoins de base, en se centrant davantage sur la personne et ses capacités et non sur les biens auxquels celle-ci devrait accéder.
La notion de développement humain, l’IDH et le classement des pays suivant l’IDH essayent d’être une alternative moins centrée sur l’économie et le PIB qui, disait-on, allait apporter per se le bien être et des opportunités pour déployer les potentialités humaines. Le Rapport sur le développement mondial que publie la Banque mondiale, par exemple, classe les pays suivant le Produit intérieur brut per capita. Cette optique est le but ultime des politiques économiques et d’organisation de la société et dénote sur l’ensemble du savoir commun et du discours politique. Néanmoins, plus de quarante années de politiques de développement de différentes natures ont montré que la croissance a été souvent accompagnée de l’accroissement des inégalités et de la pauvreté, le dégradation environnementale et l’épuisement accéléré des ressources naturelles. Le PIB per capita, qui est uniquement une moyenne nationale, n’inclut pas les coûts environnementaux de la croissance et ne permet pas de refléter l’ensemble des processus.
Le concept de développement humain n’aurait pu défier les notions centrées sur l’économie et le PIB sans proposer un indicateur alternatif qui permet de mesurer, d’évaluer et de comparer des groupes et des pays. L’IDH essaye de couvrir ce besoin, étant un indicateur global, qui va de cinq à zéro, en reflétant des indicateurs partiaux comme la longévité, l’éducation et des revenus réels par tête d’habitant. La longévité est considérée comme le résultat des conditions de santé et de nutrition et s’exprime sous la rubrique « Espérance de vie à la naissance ». L’accès à l’éducation est calculé à partir de la proportion de la population alphabétisée et de la moyenne d’années de scolarité. Le revenu réel, enfin, est calculé à partir du PIB per capita corrigé selon la parité du pouvoir d’achat (PPA) et selon l’utilité marginale du revenu.
Le classement du PNUD, comparé à celui qu’établit chaque année la Banque mondiale à partir du revenu par tête, exprime le fait que le bien-être et le dénuement sont des variables relativement indépendantes du PIB. La plupart des pays, en effet, montrent des niveaux relatifs de développement humain sensiblement supérieurs ou inférieurs par rapport à leur niveau suivant le PIB. Dans la perspective du développement humain, il n’y a pas de lien automatique entre la croissance économique et le développement humain. Le même classement montre aussi qu’il est possible d’atteindre des niveaux respectables de développement humain même avec des niveaux modestes en matière de PIB si on y met la volonté politique et des politiques appropriées.
L’IDH permet une mesure plus adaptée des résultats réels de la croissance en fonction des personnes et présente un panorama réaliste de la situation mondiale. Il montre, néanmoins, des limites. Il faut rappeler que le concept de développement humain est plus riche que ce que peut refléter l’IDH ou tout autre indicateur plus complexe. Tout d’abord, la composante « revenu » est partielle et insuffisante vu qu’elle ne reflète pas l’accès réel aux ressources productives tels que la terre ou le crédit qui sont, dans bien des pays, des variables clés par rapport à la pauvreté et l’inégalité. Deuxièmement, les valeurs de l’IDH sont des moyennes nationales qui ne reflètent pas les disparités de revenus selon le sexe, l’ethnie et la région. Pour cette raison, l’IDH général doit être complété par des IDH partiels, corrigés par niveaux de revenus, sexe et lieu de résidence, même si dans certains pays les données disponibles sont incomplètes.
Si nous regardons la condition de la femme, par exemple, on observe que tous les pays du monde ont un IDH féminin inférieur au IDH pour l’ensemble de la population. Dans ce panorama de discrimination généralisée de la femme, l’IDH de genre détermine sensiblement le classement général. Les données concernant le revenu, le territoire et même l’ethnie montrent de similaires déséquilibres. Aux Etats-Unis l’espérance de vie des hommes noirs est inférieur à la moyenne mexicaine et celle des femmes blanches est la même qu’en Suisse.
L’IDH, enfin, intègre uniquement certains éléments parmi ceux qui constituent sa définition. Il est hardi de mesurer, par exemple, la liberté humaine. En 1991, le Rapport du PNUD a essayé de définir un indicateur de liberté humaine et un classement en la matière. Le questionnement de certains régimes que cela comportait a soulevé une polémique qui a fait que le PNUD ne revient plus sur la question dans les éditions postérieures de son rapport.
L’espace dans lequel le concept de développement humain est peut-être le plus limité est celui de la durabilité du processus de développement. Etant donné que la composante « revenu » n’intègre pas les coûts environnementaux de la croissance, nous ne pouvons pas inférer si une société est ou non soutenable, c’est-à-dire si dans la satisfaction des besoins de base elle entame ou préserve les capacités de générations futures à satisfaire leurs propres besoins et à maintenir des niveaux appropriés de développement humain.
Un premier pas pour faire face à cette carence peut être l’élaboration d’un IDH vert qui montre le degré de développement atteint en parallèle à la durabilité de celui-ci. Un pas positif dans cette direction serait d’intégrer les coûts environnementaux de la croissance dans le budget de l’Etat, de telle sorte que le PIB aille refléter la dépréciation réelle dont souffre l’environnement -le capital nature- lorsqu’on consomme les ressources à un rythme supérieur à leur capacité à se refaire, de même que si la contamination dépasse le seuil du tolérable par la biosphère. Le revenu résultant, sans doute moindre par rapport à celui présenté par les budgets nationaux, intégrerait l’IDH en rendant mieux la dimension environnementale. Un indicateur de développement humain durable serait une contribution en phase avec des conceptions alternatives du développement qui mettent l’accent sur la durabilité des processus de développement en lien avec la satisfaction des besoins généraux.
Traduit et adapté du « Diccionario crítico de ciencias sociales ».