Des Accords d’Arusha aux tambours de l’ingoma, pistes et tracés sur la carte burundaise
Quinze ans de stabilité
Signés en 2000 sous l’égide de Nelson Mandela, les accords d’Arusha (du nom de la ville tanzanienne où ils furent signés) ontdonné au Burundi depuis lors une forme de stabilité politique. A présent, Gouvernement et opposition s’accusent l’un l’autre de renier ces accords.
Etre homosexuel au Burundi
Les événements du Rwanda en 1994 et l’investissement en faveur du Burundi de ce qu’on appelle la « communauté internationale », sous l’égide de figures politiques telles que Nelson Mandela et Jimmy Carter, pour ne citer qu’eux, ont pu conduire à de vraies négociations et à des solutions qui ont finalement abouti aux accords d’Arusha.
Alors que le Rwanda voisin prenait durablement, après l’abominable génocide des tutsis et des opposants hutus, la voie de la dictature militaire, le Burundi démontrait qu’il était possible de reconstruire un « vivre ensemble » démocratique, même sur les cendres encore chaudes du conflit. Les Burundais ont su sortir les cadavres de leurs placards. Ils ont eu le courage de se parler en face des questions les plus épineuses. Ils ont su négocier en dépassant les clivages et les haines et construire les conditions d’un retour à la démocratie. Ce processus est un vrai exemple pour l’Afrique.
Certes le président Nkurunziza a très vite eu des détracteurs, mais le système fonctionnait. Le pays a connu des progrès observables. Je ne peux m’empêcher cependant de rappeler la lamentable loi pénalisant les homosexuels que Nkurunziza a absolument tenu à faire passer, malgré les pressions internationales. Je le rappelle car cela a beaucoup déçu en Europe et en Amérique. C’était sans doute un signe évident du besoin de détourner l’attention de la population burundaise des vrais problèmes en s’attaquant à des concitoyens homosexuels (donc fragiles) érigés en épouvantails.
Mais malgré tout sous la présidence Nkurunziza des médias indépendants ont pu se déployer et faire un remarquable travail d’information. Ils ont donné souvent la voix au peuple, la parole « aux sans voix », et ça c’est un vrai apport essentiel à la construction d’une démocratie qui fonctionne. Des associations vraiment indépendantes ont également pu voir le jour, donnant corps à la société civile, apprenant aux petites gens à participer aux décisions de la vie commune, et à faire entendre leurs voix.
Toutes ces choses étaient prometteuses d’avenir pour le pays. Il est désolant et révoltant que Pierre Nkurunziza et ses complices n’hésitent pas à mettre à bas tous ces acquis pourtant si essentiels pour l’avenir du pays.
Michel Elias, Vous restez debout, Iwacu, juin 2015.
Etre journaliste au Burundi
Les journalistes ont rarement les honneurs d’un peloton d’exécution. Quand ils dérangent, ils disparaissent opportunément dans un accident de la route ou croisent des malades mentaux, des malfrats ou une balle perdue. Le genre de balle, tellement perdue qu’elle peut s’égarer dans votre quartier, frapper par erreur à votre porte pour se perdre malencontreusement dans votre fauteuil.
Ainsi, à la faveur d’une nuit agitée, le Burundi s’est retrouvé dépouillé par des « malfaiteurs non identifiés » de toutes les radios indépendantes. Si le groupe de presse « Iwacu » venait à disparaître lui aussi, faute de moyens de survie, alors au Burundi ne résonnera plus que la voix monocorde des médias officiels qui pourra se répandre sans souffrir la moindre contradiction.
Dorcy Rugamba, Partir avec les honneurs ou rester sous les huées, Iwaçu, juin 2015
Maintenant, au bout du désastre qui a frappé la parole en plein cœur à travers la destruction des stations de radios et de télévisions indépendantes, il est question, il est urgent, il est impératif de rassembler, comme dit la Bible, « le petit reste » autour d’une mission essentielle : informer, informer même la peur au ventre, informer un pistolet sur la tempe, informer pour raconter les luttes de l’ombre et de la lumière, informer pour écouter l’autre, informer pour ne pas jeter l’éponge mais jeter les ponts entre ceux qui, aujourd’hui comme hier, se regardent en chiens de faïence. Et, en les synthétisant, faire des idées des uns et des autres des boulevards pour l’avenir de ce pays sept fois meurtri.
Nestor Nkurunziza, Si demain je me tais encore…, Iwacu, juin 2015.
Il n’y a pas de transition démocratique possible sans une presse qui donne la parole à toutes les composantes de la société et qui surveille les politiques du pouvoir. C’est sur ces piliers du journalisme d’intérêt public et de vigilance que se construit une société ouverte et libre. L’attaque frontale des autorités burundaises contre la presse est dès lors l’aune à laquelle se juge sa nature autoritaire. Le pouvoir se dévoile lorsqu’il voile l’information.
Aujourd’hui, bien que le Burundi semble éloigné des priorités des grands de ce monde englués dans les crises en Ukraine ou en Syrie, personne ne peut ignorer ce qu’il s’y passe. Les journalistes burundais, malgré la répression, continuent d’informer. Et ils sont relayés par un réseau international, bâti durant des années de coopération et d’échange avec d’autres journalistes, des ONG, des universités, devenus moins étrangers à ce pays que ceux qui prétendent aujourd’hui y confisquer le pouvoir.
Jean-Paul Marthoz, Le Burundi, au centre du combat universel pour la liberté, Iwacu, juin 2015
Une maison dont on ferme les fenêtres se met à sentir mauvais. Et lentement, insidieusement, les ténèbres s’y installent. Ce qui doit occuper l’esprit, tous les esprits, c’est la rénovation, pour que de nouveau, la multiplicité des voix sur ce que vivent nos concitoyens permette d’entrevoir la sortie du tunnel, la sortie de la crise politique actuelle. Les médias cessent d’être un problème, mais font partie des solutions à la crise. Il faut redonner son droit de Cité à la parole, pour éviter le dialogue des armes, le fracas des armes. J’ai la faiblesse de penser que l’espace médiatique est l’arène civilisé où ce dialogue du peuple avec lui-même est possible pour donner du sens – dans le sens de direction et de signification – à la vie politique.
Fabien Cishahayo, Manifeste pour le droit d’aboyer, Iwacu, juin 2015
Etre refugié au Burundi
Du point de vue foncier, la menace peut être appréhendée tant à l’égard du Burundi que de ses voisins. Au niveau interne, dans le pays d’origine des réfugiés, il s’impose de rappeler qu’au-delà des efforts fournis par le régime Nkurunziza dans la pacification et la réconciliation entre Burundais ces dix dernières années, force est de constater que certains problèmes hérités des crises de 1972 et 1993 sont demeurés sans solution. Au nombre de ces arriérés non résolus aujourd’hui, on peut noter la problématique des terres abandonnées par les réfugiés en 1972 et 1993, particulièrement à l’intérieur du pays. Puisque s’exiler signifie abandonner à nouveau derrière soi la terre – assise d’activités agropastorales et principal lieu de résidence – il y a lieu de soutenir que les déplacements des populations observées actuellement au Burundi pourraient non seulement annihiler les efforts déjà consentis à ce jour pour régler le problème des terres dans le pays, mais aussi multiplier des conflits de nature foncière, étant donné que les terres jadis récupérées par leurs propriétaires sont à nouveau abandonnées par ces derniers et rien n’excluent qu’elles soient à nouveau conquises par les spoliateurs d’hier.
Au niveau externe, il est question de jeter un regard sur les mêmes conséquences dans les pays d’accueil. En effet, le Rwanda comme la RDC font souvent face à des contentieux de nature foncière de différents ordres. Si au Rwanda, le problème se pose en termes d’insuffisance des terres face à une démographie de plus en plus croissante5, en RDC par contre la question se présente sous la forme de conflits de propriété foncière entre différentes communautés principalement dans la plaine de la Ruzizi6, principale zone d’accueil des réfugiés burundais en RDC. Puisque la présence des réfugiés dans les États précités impliquera nécessairement une demande des terres (installation des camps des réfugiés, pâturages, champs des cultures), il est à craindre que cette nouvelle donne n’exacerbe ce conflit. À cet effet, il est important de rappeler que la plaine de la Ruzizi a toujours été le théâtre de conflits fonciers à connotations ethniques très meurtriers et dont le dernier en date s’est soldé par le massacre d’une trentaine de personnes la nuit du 6 juin 2014 à Mutarule [1].
Paterne Murhula Batumike, Réfugiés burundais : des risques sécuritaires et fonciers pour la région, Grip, août 2015
Battre le tambour au Burundi
La tradition ingoma obéit à des rythmes et à des gestes très codifiés. Le tambour ne peut être battu – ni même touché – que par des hommes, avec deux baguettes . Chaque groupe compte au moins neuf à onze tambourinaires, toujours en nombre impair, dont un enfant ou un adolescent, afin de perpétuer le savoir ingoma. Ils jouent pieds nus et disposés en arc de cercle autour d’un tambour central, qui donne la cadence. La danse rituelle au tambour royal, à laquelle peuvent participer des femmes, associe le battement des tambours à de la poésie héroïque, des chants traditionnels et des chorégraphies, individuelles ou collectives, utilisant des gestes précis et des figures parfois acrobatiques. Les tambours rejoignent et quittent le lieu de la danse sur la tête des percussionnistes, posés sur un coussin. Une fois le spectacle commencé, certains sont battus sur un rythme continu, tandis que les autres suivent la cadence ordonnée par le tambour central, duquel s’approchent ensuite alternativement les tambourinaires, seuls ou par groupe de deux ou trois, pour exécuter leur danse au rythme du groupe. Ces chorégraphies spectaculaires et pleines de rigueur, le son puissant et le rythme impétueux des percussions (qui sont censés réveiller les esprits des ancêtres et chasser les esprits maléfiques) soudent la communauté. La danse rituelle au tambour royal se pratique aujourd’hui dans toutes les communes du pays, dans les écoles et les établissements d’enseignement supérieur.
Cécile Manciaux, Qu’est-ce que l’ingoma ?, Jeune Afrique, juin 2015.
[1] « Conflit foncier entre ethnies en RDC : une trentaine des tués à l’Est », Jeune Afrique, 8 juin 2014.