Le Burundi entre deux suffisances

Mise en ligne: 18 septembre 2015

Entre un président isolé et obstiné et une opposition figée dans une position qui ne lui vaut que le soutien d’inconditionnels, le Burundi patauge, par Louis-Marie Nindorera

Sept ans après la signature de l’accord politique qui consacra le dépôt des armes par le dernier mouvement actif de rébellion armée, le Burundi, petit pays d’Afrique centrale, est de nouveau dans la tourmente. Le 26 avril 2015, à deux mois d’élections générales sensibles, son président, Pierre Nkurunziza, annonçait être candidat à son élection pour un troisième mandat consécutif.

Pourtant, l’Accord pour la paix et la réconciliation au Burundi signé à Arusha, en Tanzanie, en août 2000, grâce auquel le pays vivait en paix depuis huit ans, stipule clairement que « nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels ».
L’annonce de sa candidature entraîna un vif mouvement de protestation dans les rues de Bujumbura, la capitale, pendant soixante jours consécutifs. Les protestations dégénérèrent vite en confrontations meurtrières, la police n’hésitant pas à réprimer les manifestants par des tirs à balles réelles. A la fin du mois de juin, on estimait à 70 morts et à 500 blessés le nombre de victimes de ces troubles.

À la même période, près de 144 mille Burundais, craignant pour leur sécurité, avaient trouvé refuge dans les pays voisins, selon les Nations unies. Sourd aux conseils d’un agrégat de personnalités burundaises et étrangères l’appelant à renoncer à un troisième mandat, le président Nkurunziza força son chemin jusqu’à des élections parlementaires et sa propre réélection, tenues dans des circonstances controversées. Leurs résultats ne furent officiellement reconnus ni par les Nations unies, ni par l’Union africaine.

Après avoir échappé le 13 mai 2015 à une tentative de coup d’Etat militaire, le président Nkurunziza fait face depuis la fin du mois de juillet à l’opposition du Conseil national pour le respect de l’accord d’Arusha et de l’état de droit au Burundi, Cnared. Ce Conseil fait du « refus catégorique du troisième mandat illégal du président Nkurunziza » une de ses cinq missions. Il est monté de bric et de broc avec des acteurs issus de divers partis d’opposition, d’anciens hauts cadres de l’Etat et du parti au pouvoir opposés à un nouveau mandat pour Pierre Nkurunziza ainsi que certaines figures de proue du mouvement associatif burundais. Depuis sa mise sur pied, le Cnared communique et agit comme s’il ne s’adressait exclusivement qu’à une audience d’opposants acquis de manière aveugle au départ sans conditions de Pierre Nkurunziza de la présidence de la République. Invariable, le discours de ce Conseil s’enroule et s’enchaîne autour de l’unique pilier de l’inconstitutionnalité du troisième mandat présidentiel, squatté par Pierre Nkurunziza. Depuis le 26 août, fidèle à sa logique d’opposition très rhétoricienne, cette opposition ne tient d’ailleurs même plus ce dernier comme président du Burundi.

Tranquille et insoucieux, le Cnared ne semble rien entreprendre qui démontre qu’il soit conscient qu’en face de lui le public, y compris parmi les adversaires de Pierre Nkurunziza, forme un spectre éclectique d’individus et de groupes, de par leurs positions, leurs intérêts et leurs états d’âme. Plusieurs des sympathisants du Cnared, lassés des années de pouvoir du parti présidentiel se repaissent des harangues de Léonard Nyangoma, Jérémie Minani et autres porte-voix de l’opposition. L’oreille cousue à la Voix de l’Amérique et à la radio Inzamba, créée pour pallier le saccage et la fermeture forcée le 13 mai 2015 de quatre radios privées indépendantes, ils se rechargent à l’actualité nourrie de la violence répressive du régime, des revers et des impairs de sa diplomatie et des imprécations périodiques du Conseil.

Hier, les jeunes animant la contestation de la rue se puisaient par milliers dans ce vivier. La verve légaliste et hargneuse de l’opposition les galvanisait, les envoyant chaque jour au casse-pipe et, pour plusieurs dizaines d’entre eux, à la mort. Les reporters de presse filmaient, photographiaient, interviewaient, transportant leur témérité et leur cause aux quatre coins d’un monde solidaire. Le discours public de l’opposition politique burundaise, taillé pour la presse, donc simple, ponctuait ces reportages et la méthode faisait recette. Mais aujourd’hui, ceux qui bravaient dans la rue les charges mortelles de la police se sont tassés sous la lourde chape de plomb coulée par l’appareil répressif. D’autres poursuivent avec pugnacité leur résistance, commandant le pilonnage du régime de leurs claviers, à travers les réseaux sociaux, usant abondamment de la diatribe et de la satire. L’actualité burundaise s’étant vidée de ses récits épiques, la presse internationale s’est déployée sur d’autres fronts plus mouvementés. La presse privée nationale est muselée. Mais le discours des partis d’opposition politique, lui, reste inchangé, toujours aussi simplet, comme s’il s’adressait encore à une presse qui n’est pourtant plus là ou aux manifestants qui ont déserté les rues.

Il est difficile d’imaginer le Cnared devenir le fer de lance d’un mouvement qui parviendra efficacement à rapprocher le Burundi d’une solution pacifique et consensuelle tant qu’il aura si peu d’égards envers :

1) Les supporters et les 1.961.510 électeurs de Pierre Nkurunziza, selon le décompte officiel de la commission nationale électorale, eux-mêmes partagés entre, (a) d’un côté, des hutus -groupe ethnique majoritaire- écorchés vifs de la domination et de la répression violente du pouvoir dominé jusqu’en 1993 par la minorité ethnique tutsie, constamment dans leurs tranchées à guetter et à voir en toute menace ou attaque, d’où qu’elle surgisse, les agressions fatales d’une « minorité nostalgique et revancharde », et (b) de l’autre, des citoyens modérés ou passifs et retournables.

2) Les Burundais hostiles à la reconduite de Pierre Nkurunziza mais soucieux de ne pas être instrumentalisés par une opposition opportuniste et peut-être elle-même en partie sectaire, qui n’a absolument rien démontré de la valeur ajoutée potentielle qu’elle représente pour un Burundi post-Nkurunziza meilleur.

3) Les chancelleries occidentales et les institutions intergouvernementales politiques ou financières sous leur influence (Nations unies, Union européenne, Banque mondiale, FMI) : Dans une sous-région fertile en dépassement de mandats présidentiels, elles se retrouvent coincées entre les contradictions de leurs positions et leur antipathie à l’égard d’un homme, Pierre Nkurunziza qui, sur le plan des attitudes et des aptitudes personnelles, représente à leurs yeux l’antithèse du leadership moderne, qu’il soit de l’école de la démocratie ou de celle du développement. Ces chancelleries rejoignent les Burundais perplexes sur l’alternative que représente cette opposition qui ne propose aucune voie de compromis bancable. Disposées au compromis entre Burundais, elles veulent vite remettre sur selle une coopération sans avoir de rattrapage coûteux à faire sur des concurrents bilatéraux, telle la Chine qui ne s’épuise pas en considérations byzantines pour rempiler avec les pouvoirs établis, fussent-ils mal réélus.

4) La diplomatie continentale et régionale africaine qui, faute d’habilitation à donner des leçons en matière de respect des constitutions, attend désespérément des propositions de résolution du conflits tirées ou inspirées des théories prônant le partage du pouvoir ou autres.

Après s’être obstiné à forcer son passage vers les élections et son maintien au pouvoir, Pierre Nkurunziza se retrouve aujourd’hui dans un isolement diplomatique sans précédent dans les annales du Burundi. Qu’à cela ne tienne, il double les promesses mirifiques de développement, malgré des capacités à mobiliser des ressources qui s’annoncent plus compliquées que jamais. Face à lui, l’opposition s’enferme dans son Église du réveil, en sommeillant sur l’inconstitutionnalité du mandat de Pierre Nkurunziza. Occupée à répéter en boucle l’illégalité du mandat et de la position officiels de Pierre Nkurunziza, l’opposition a tort de se croire elle-même dispensée du devoir de convaincre de sa propre légitimité. Pour l’heure, sa vision du changement semble être limitée à celle qui doit impérativement se faire sur le trône. Son appel au changement, à l’alternance prend dès lors les airs d’un appel à une simple rotation des privilèges.

Au-delà de la rhétorique juridique et du réquisitoire sur les violations des droits de l’homme - qui n’émouvront pas le médiateur ougandais, Yoweri Museveni, vétéran des mêmes pratiques - le livre blanc du Cnared contre le régime est précisément blanc. Entre, d’un côté, un Pierre Nkurunziza isolé et obstiné dans sa marche solitaire, et de l’autre, une opposition, figée dans une position qui ne lui vaut que le soutien d’inconditionnels sans apport de dividendes, le Burundi patauge. Quoi qu’ils clament, Pierre Nkurunziza et ses associés savent que leur position confine le pays dans l’impasse et des régressions en tous genres.

L’opposition n’a pas l’air de se rendre compte des impasses de son jeu et de son propre isolement. Tout se passe comme si elle s’était convaincue, à tort, qu’elle est automatiquement renforcée chaque fois qu’un nouveau fait d’actualité vient affaiblir la position de Pierre Nkurunziza.

Dans la spontanéité des protestations de rue des mois de mai et juin derniers et la répression brutale et médiatisée qu’elles entraînèrent, des voix s’élevèrent de tous les continents pour demander, une nouvelle fois, à Pierre Nkurunziza de renoncer à sa candidature pour un troisième mandat présidentiel. Les partis d’opposition, par rejet sincère du système DD ou par pur opportunisme, saisirent la balle au bond, réclamant à tue-tête le renoncement de Pierre Nkurunziza. La stratégie de l’opposition s’enraye à ce stade depuis lors.

Pour espérer fédérer au-delà des artilleurs de Facebook et Twitter, les ténors du changement devraient davantage s’affirmer en source de vision et en force de proposition, si tant est qu’ils aient une vision et des propositions à faire. Ils devraient s’efforcer de donner un contenu clair et détaillé à l’agenda qu’ils proposent pour le dialogue politique, qui aille au-delà du simple départ de Pierre Nkurunziza. Les dix années de pouvoir de ce dernier laissent derrière lui une nébuleuse informe de citoyens aujourd’hui divisés sur des clivages factices. Les acteurs prétendant représenter une alternative crédible à Nkurunziza doivent prouver à leurs concitoyens leurs connaissances et leur compréhension des défis et des épreuves de leur quotidien. Mieux, ils doivent les convaincre qu’ils peuvent sortir du fatalisme et de l’immobilisme auxquels on les accoutume et résigne, et ce en les éveillant au potentiel en eux-mêmes pour défier les problèmes qui s’abattent sur eux, d’un bout à l’autre des années et des générations. Des acteurs déterminés à porter ce changement doivent prouver leur capacité à construire et articuler clairement leur vision des changements et des mesures politiques et économiques nécessaires pour le Burundi. Ils doivent aussi pouvoir déconstruire avec la même clarté les impasses et les perversions rédhibitoires du régime qu’ils combattent.

Gagner leur légitimité commence par cette communion dans la vie du peuple au nom duquel ils prétendent vouloir prendre le pouvoir. En ultime étape, elle doit impérativement se consacrer dans les urnes. Le dialogue, prôné par tous, doit se construire autour d’un énoncé clair des pratiques et des systèmes de gouvernance à mettre sur place et des mesures transitoires et conséquentes à prendre pour que le quotidien de l’État burundais et des citoyens burundais eux-mêmes soit rapidement affranchi des pratiques obscures qui minent tout, jusqu’aux conditions d’un scrutin qui donne réellement le libre choix aux Burundais de donner leurs voix aux élus qui offrent le plus à leurs yeux les garanties d’une vie et d’une citoyenneté meilleures. Tout cela est-il possible dans un compromis politique qui sauve la face de chaque partie ?