Le conflit burundais est politique, pas ethnique

Mise en ligne: 18 septembre 2015

Marie a une une trentaine d’années et vit en Belgique depuis peu. Elle préfère garder l’anonymat « en pensant aux siens qui sont sur le terrain », propos recueillis par Olivier de Halleux

Comment se porte le monde associatif au Burundi ? A-t-il un impact sur la situation ?

J’avoue ne pas être en contact direct avec le monde associatif au Burundi si ce n’est par les réseaux sociaux. Je sais par exemple que la directrice de la maison Shalom, Maggy Barankitse, qui est la référence du monde associatif au Burundi était en danger, a dû fuir et est en Belgique aujourd’hui. Toute instance ou organisation qui manifeste son désaccord quant au troisième mandat présidentiel est menacée. Celles qui restent dans la neutralité se retrouvent cependant face à l’insécurité comme tout le monde.

Quel regard portez-vous sur la manière dont les médias traitent de la crise actuelle au Burundi ?

Cette crise a fait beaucoup de bruit au début et on en a beaucoup parlé en Belgique. Mais plus les jours passent et moins on en entend parler. A vrai dire, je n’attends pas plus des médias car ils jouent sur le buzz. Etant donné que les médias locaux ont été interdits, les informations que nous recevons sont très souvent incomplètes malgré le travail des reporters sur place.

Vous avez donc l’opportunité d’avoir un double regard sur la situation ; entre ce que les médias occidentaux et burundais proposent et le quotidien de votre famille aux pays, y-a-t-il un contraste ?

Les médias indépendants burundais faisaient un très beau travail avant la crise et au tout début de celle-ci. Comme cela dérangeait, ces médias ont littéralement été détruits et on n’entend plus qu’une seule version des faits, celle du Gouvernement.

Les médias occidentaux continuent à donner quelques informations, majoritairement vraies. Aujourd’hui, les réseaux sociaux informent plus sur ce qui se passe que n’importe quel autre canal d’information. Seul hic, c’est un mélange de vraies informations et de rumeurs. Entre la réalité et ce que l’on voit et entend sur la Radiotélévision burundaise il y a un énorme contraste.

La crise politique actuelle est-elle toujours basée sur le problème dit ethnique ?

A mon avis, un conflit ethnique n’est pas possible. L’armée burundaise a été bien mélangée suite aux accords d’Arusha et l’opposition n’est pas constituée sur des bases ethniques mais plutôt politiques. Les personnes menacées sont tout aussi hutus que tutsis. Ceux qui veulent jouer cette carte savent que les souvenirs sont encore frais mais dans les faits, nous savons tous que c’est une stratégie parmi tant d’autres.
Ceux qui luttent aujourd’hui le font pour que la constitution et les accords d’Arusha soient respectés. Ils luttent surtout parce qu’ils n’ont pas vu de réels progrès économiques, politiques et sociaux depuis l’arrivée de Pierre Nkurunziza au pouvoir en 2005. Malgré le dur passé ethnique du Burundi, je suis particulièrement fière des Burundais qui se battent unis, et qui luttent contre toute tentative de division que certains utilisent pour réveiller les vieux démons qui nous hantent encore…

Quelle est la situation sociale sur place ?

Le Burundi est l’un des pays les plus pauvres de la planète et vit sous perfusion de l’aide internationale. C’est un pays agricole et les paysans constituent l’écrasante majorité de la population, 67% de laquelle vit en dessous du seuil de pauvreté. Je ne raconterai pas toute l’histoire mais en résumé, depuis 1972, le Burundi a connu des massacres et une guerre civile qui a duré dix ans.

Les accords d’Arusha ont adopté des lois qui permettent une diversité ethnique dans les fonctions de l’Etat suivant le pourcentage de chaque ethnie. Contrairement à son voisin le Rwanda, le Burundi a su, grâce à ces accords, passer outre ses problèmes ethniques et l’on observe jusque-là un progrès immense.

Voyez-vous un lien entre le Burundi d’aujourd’hui et le Burkina-Faso d’octobre 2014 ? Pensez-vous qu’un réel changement s’amorce au Burundi et en Afrique en général ?

Je pense que la nouvelle génération burundaise a soif de s’exprimer et de se faire entendre. Plus informée que les précédentes grâce aux nouvelles technologies, cette génération a pris conscience de sa valeur dans la société et veut faire valoir ses droits, même si souvent cela passe par des soulèvements.

Pour le cas du Burundi, ce qui est intéressant aujourd’hui, c’est cette liberté d’expression que nous offrent les réseaux sociaux. C’est devenu une des principales sources d’informations, bien qu’il faille trier.

Je suis particulièrement surprise de cette liberté d’expression car je vois défiler au fil des journées des idées nouvelles, des critiques, des analyses controversées sur la crise, des débats intéressants, des affrontements idéologiques…

Je peux lire à travers ces « posts », une construction d’idées collectives, une volonté de reconstruire le Burundi, une maturité des jeunes qui ne veulent plus se laisser faire. Je pense que le changement qui se produit en Afrique passe par les mouvements sociaux initiés par les jeunes et la société civile. Je pense aussi que les dirigeants africains finiront par comprendre que les intérêts de la population passent avant leurs propres intérêts. J’ose espérer que bientôt, tous ceux qui veulent s’éterniser au pouvoir feront face à une génération consciente qui ne se laissera pas faire et qui luttera pour bénéficier de leurs droits.

Depuis combien de temps êtes-vous en Belgique ?

Je suis en Belgique depuis deux ans et je travaille dans une ONG.

Avez-vous de la famille au Burundi ?

Oui, bien que certains ont préféré quitter le pays durant cette période de crise, il y en a qui sont restés. Ils ne résident pas dans les quartiers les plus touchés où les manifestations ont lieu, ils sont en dehors des affrontements entre les manifestants et la police. Ils vivent néanmoins dans la peur et l’incertitude.

Ils évitent de sortir le soir et ne passent pas beaucoup de temps dans le centre-ville car il peut y avoir des explosions de grenades à tout moment. Il y a aussi la crise économique qui fait rage, beaucoup de personnes ne travaillent plus ou très peu, les revenus se font rares et l’avenir très incertain.

Vous êtes loin du Burundi et de votre famille. Comment vivez-vous cette situation ? En parlez-vous ?

La situation est très difficile à vivre de loin. On se dit qu’on a de la chance d’être à l’abri, mais parfois on se dit aussi qu’on devrait être avec les siens et manifester son opinion comme le font les autres sur place. Si j’en parle ? Il faut dire que c’est devenu mon principal sujet de conversation, même quand je n’en parle pas les autres viennent vers moi et me posent des questions… Oui, j’en parle beaucoup, je vais dans des conférences, dans des manifestations, je discute avec mes compatriotes et avec la famille, on est en contact en permanence.