On n’est pas condamné à la pauvreté dans les collines

Mise en ligne: 18 septembre 2015

Déjà 240 mille affiliés à des coopératives et des mutuelles de santé dans les collines burundaises, propos de Deogratias Niyonkuru, lauréat du prix Roi Baudouin pour le développement

Nonante pour cent de la population au Burundi vit de l’agriculture sur les collines. Adisco —Appui au développement intégral et à la solidarité sur les collines— a accompagné la création de coopératives et de mutuelles de santé pour plus de 240 mille affiliés —explique Deogratias Niyonkuru, lauréat du prix Roi Baudouin pour le développement 2014-2015— dans le but de contribuer à l’émergence et à l’expansion d’un mouvement social capable de porter son propre développement et d’influencer les politiques en faveur des couches modestes de la société burundaise. Adisco veut aussi libérer les gens du sentiment qu’ils sont condamnés à vivre dans la pauvreté.

Comment y arrivez-vous ?

Nous misons pour cela sur ce que nous appelons des ferments, c’est-à-dire des hommes et des femmes représentatifs de leur communauté et reconnus par elle, moins pour leur expertise purement technique que pour les valeurs humaines qu’ils incarnent. Après avoir suivi une formation transformatrice que nous appelons psycho humaine, ces figures de référence constituent autour d’elles des groupes d’autopromotion et de solidarité (dénommés IGG en kirundi) d’où naissent divers projets à la fois individuels et communautaires.

Avec quels financements ?

Nous ne recherchons pas des financements externes pour les groupes d’autopromotion et de solidarité, car nous savons que cet argent facile et apporté sans efforts aux communautés génère rarement un développement durable. Toutes les initiatives locales sont entièrement autonomes sur le plan financier. Elles fonctionnent grâce à divers outils de mobilisation des ressources internes : des cotisations pour les mutuelles de santé, des prises de parts sociales pour les coopératives ou encore un système de tontine africaine pour les IGG. Nous aidons aussi les gens à s’organiser pour trouver ensemble des solutions aux problèmes de production, de commercialisation et de transformation de leurs produits. Néanmoins, le processus d’appui à une coopérative et une mutuelle a besoin d’être accompagné quelques années avant de devenir financièrement autonome.

Quelle est la situation des Objectifs du millénaire au Burundi ?

Cela reste hypothétique, comme dans la grande majorité des pays d’Afrique. Néanmoins, on peut noter deux avancées importantes : la mortalité infantile a fortement diminué grâce à la gratuité des soins de santé pour les enfants de moins de cinq ans et pour les femmes qui accouchent. On va aussi atteindre pratiquement la scolarisation de la quasi totalité des enfants grâce à des mesures de gratuité de soins dans l’enseignement primaire. Grâce au travail que nous sommes en train de faire, l’accès aux soins de santé de la population va nettement s’améliorer et, m’me sans forcément atteindre les OMD, on aura fait des pas importants. Pour le reste, malheureusement, nous ne devons pas nous faire d’illusions, la situation n’est pas très brillante. Il s’agit de se questionner sur ces OMD. En eux-m’mes ils représentent des éléments intéressants, des points de repères importants. Mais le plus important, ce sont les processus qui permettent d’y arriver. Je vous ai expliqué par exemple que grâce à la gratuité on va certainement réduire fortement la mortalité infantile, mais pour combien de temps ? Ce sont des systèmes qui sont essentiellement financés par les coopérations extérieures. Donc, oui, il faut atteindre les OMD, mais comment les atteindre ? Est-ce qu’on passe par des mécanismes durables ? Est-ce qu’on les atteint par des mécanismes solidaires ? Ou par des mécanismes de dépendance à une organisation philanthropique qui peut se retirer ? C’est cela la question.

Comment améliorer dès lors la coopération Nord-Sud ?

On peut se demander si la coopération Nord-Sud, telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, peut véritablement porter le nom de coopération ou alors s’il ne faudrait pas plutÙt parler des programmes construits dans le Nord et qu’on essaie d’imposer au Sud. Je me suis amusé à lire plusieurs documents de lutte contre la pauvreté de quelques pays africains. On retrouve dans ces textes exactement les m’mes mots utilisés pour plusieurs pays, simplement parce qu’on fait du copier-coller de textes insidieusement imposés par le FMI et la Banque mondiale. Si l’on veut améliorer la coopération, il faut écouter les populations et les acteurs locaux, qui connaissent mieux que quiconque ce qui fonde leurs besoins et leurs priorités. C’est là-dessus qu’il faut vraiment bâtir un travail de coopération.

Extrait de Champs de visions et du Croco.