Essaimer l’ECMS en milieu scolaire

Mise en ligne: 8 décembre 2020

Bien que traitant de thématiques bien différentes dans nos ONG respectives, nous avons choisi d’écrire cet article à quatre mains pour faire part de nos expériences dans l’accompagnement des jeunes et de leurs enseignant.es dans la mise en action autour d’enjeux mondiaux, tels que décrits dans les objectifs du développement durable.

Pendant longtemps, les ONG ont essayé d’ouvrir les yeux des jeunes sur des réalités mondiales qui paraissaient parfois bien éloignées de leur quotidien par le biais d’interventions ponctuelles dans les classes.

… Comme si le monde allait changer en 50 minutes chrono ! Nous avons pris conscience qu’il fallait dépasser ce « consumérisme » d’informations et accompagner les jeunes à devenir des citoyens et citoyennes du monde.

Par le biais d’une approche systémique de notre société mondialisée, nous avons eu l’ambition de leur donner des clés de compréhension des enjeux internationaux et de les conscientiser au fait qu’un autre monde est possible et qu’ils et elles peuvent en être un.e des acteur.rices de changement.

Passer de la consommation d’informations à la mise en action

Dans les années 90, l’ECM en milieu scolaire, appelée éducation au développement à l’époque, prenait souvent la forme d’une intervention ponctuelle dans les classes dans le cadre d’un projet de partage ou de solidarité envers les plus « pauvres ». La rencontre n’était souvent qu’une simple information pour sensibiliser les élèves aux inégalités mondiales en vue d’une récolte de fonds pour aider une organisation à soutenir ses partenaires du Sud. Les enseignant.es n’étaient que très peu impliqué.es dans la démarche pédagogique, la finalité de l’intervention étant financière.

Une réflexion s’est imposée au sein des ONG actives en éducation : Quels étaient les réels objectifs pédagogiques visés par ce type d’intervention ? Quel était notre rôle en tant qu’agents de la société civile initiateurs de changement ? Quels leviers pouvions-nous actionner pour arriver à nos fins ?

Suite à la création de son Pôle Jeunes en 2007, Entraide et Fraternité a mis en place un module inductif pour analyser ce queles jeunes pensaient du développement. Divers constats en sont ressortis. Les jeunes n’étaient pas indifférent.es aux problèmes du monde et étaient demandeur.ses de comprendre ses enjeux. Cependant, un sentiment d’impuissance, voire de fatalisme, les animait. Face à cette constatation, il fallait réagir et penser à une manière de les accompagner dans leur réflexion et dans leur rôle en tant que citoyen.nes.

Partir de leur quotidien, de leurs représentations, faire en sorte qu’ils et elles se sentent concerné.es, les informer et les aider à comprendre le monde qui les entoure, leur permettre de rencontrer et d’agir à leur niveau. Bref, leur permettre de s’émanciper d’une pensée unique pour devenir à leur tour des acteurs et des actrices critiques et engagé.es pour un monde plus solidaire.

Notre meilleure alliée pour y parvenir : l’école, et plus particulièrement les enseignant.es. Nos ONG se lançaient alors le défi de conscientiser les enseignant.es et les jeunes à devenir des agents démultiplicateurs de nos actions et, à leur tour, sensibilisateurs autour des grands enjeux que nous défendions.

La mise en place d’un dispositif pédagogique en partenariat avec les écoles

Mettre les jeunes au centre de la démarche était incontournable et établir des partenariats avec les enseignant.es, une nécessité. Inspiré de l’approche « Voir – Juger – Agir » de Joseph Cardijn, un continuum en trois étapes s’est élaboré au sein de nos ONG.

Une première étape de sensibilisation permet de ressentir une situation, de découvrir un contexte et de partir des représentations des élèves. Une seconde étape de conscientisation consiste à travailler la situation, à recevoir et à chercher des informations pour comprendre, débattre, faire des liens et rencontrer des témoins afin de partager des avis. Une troisième étape invite à déterminer l’action que l’on veut mener et devenir acteur ou actrice de changement.

Notre solution : Proposer un accompagnement personnalisé en vue d’une mise en projet adaptée.

Soucieuses de développer un accompagnement personnalisé à chaque réalité de classe ou d’école, nous tenons à rencontrer l’équipe pédagogique désireuse de travailler avec nous, afin d’identifier les attentes et les collaborations possibles préalablement aux interventions en classe.

Des animations, menées par des permanent.es ou des volontaires de nos ONG, sont organisées en classe afin de susciter la réflexion collective, de mettre en questionnement les élèves, de leur apporter des pistes de réponses.
Cette intervention, par des acteurs externes à l’école, est souvent fort appréciée, tant des élèves que des enseignant.es, car elle renforce la parole de l’enseignant.e et ancre le discours dans une réalité contemporaine !

En fonction des intérêts formulés par la classe, nous proposons aux enseignant.es des outils pédagogiques et des conseils méthodologiques pour poursuivre la réflexion avec leurs élèves. De par notre connaissance du réseau associatif, nous les aidons à créer des synergies en trouvant des partenaires ou en leur permettant de faire des rencontres qui les aideront à cheminer dans leur réflexion. Le fait d’interagir avec des témoins donne du corps et de la pertinence à la réflexion et permet de passer du conceptuel au relationnel.

Conscientisé·e·s et outillé·e·s, les élèves et leurs enseignant.es ont alors la liberté d’approfondir le sujet qu’ils et elles veulent traiter en lien avec les animations. La classe ou l’école est amenée à faire preuve de créativité dans le développement de son projet pour faire entendre son message.

Si le résultat n’est pas la finalité à nos yeux, que le cheminement pour y arriver nous paraît plus important, il est bon de célébrer le travail accompli et de se féliciter pour la part, si petite soit-elle, que chacun.e a prise en semant des graines de citoyenneté à son échelle.

Quelques expériences du terrain

La Croix-Rouge de Belgique a, entre autres, pour mission de diffuser le droit international humanitaire auprès des autorités et de la société civile belges. En milieu scolaire, notre approche est centrée sur une prise de conscience des conséquences humaines et environnementales de la guerre sur la dignité humaine.

En 2015, la Croix-Rouge de Belgique a lancé son appel à projet « La guerre, ça me regarde ! », devenu « La guerre, ça nous regarde ! » depuis. Des écoles, tant de l’enseignement primaire que du secondaire ordinaire ou spécialisé, y ont répondu. L’objectif de cette campagne annuelle est d’inciter les jeunes et leurs enseignant.es à se mobiliser pour plus de respect de la dignité humaine en temps de guerre et de migration, en diffusant le message que « Même la guerre a des limites ! ».

« À cet âge, les enfants peuvent déjà comprendre ce qui se passe ailleurs et éprouver de l’empathie, ce qui nous permet de travailler sur la question de la citoyenneté. Le projet s’est construit progressivement à partir de mes idées mais aussi, et surtout à partir des propositions et des réactions des enfants. Les élèves se sont réellement sentis concernés et voulaient toujours en faire plus. La plupart d’entre eux ont découvert une réalité qu’ils ignoraient. »

Hélène Derckenne,
institutrice à l’école fondamentale libre Saint-Joseph de Cheratte

À Entraide et Fraternité, le choix s’est porté sur un travail par module de 3 à 6 étapes afin de toucher à la fois l’enseignant.e et le.la jeune. Une préparation se fait en collaboration avec les enseignant.es. Nous partageons les contenus, les envies, les objectifs à atteindre. L’équipe éducative se forme ensuite à l’utilisation de nos outils par notre pratique pour pouvoir s’en servir de manière autonome l’année suivante.

Plusieurs modules sont disponibles en fonction des l publics et des motivations avec une base commune, la solidarité internationale comme moteur. Un module aborde la souveraineté alimentaire ; un autre vise à réfléchir sur la transition ; un troisième prépare aux voyages d’immersion ; un quatrième, destiné à l’enseignement primaire, est consacré aux droits de l’enfant ; un dernier, destiné au premier degré différencié, public souvent délaissé par les animations en école, incite à la réflexion sur les inégalités et la précarité au Nord et au Sud.

Tous ces modules sont adaptables, en fonction de la réalité de l’école et du public et proposent un échange avec un témoin de terrain pour permettre de croiser les regards et les pensées ; une rencontre riche d’échanges pour une meilleure compréhension de l’autre et de sa réalité. Une réelle force à nos yeux !

« Ce projet collait très bien avec le profil des élèves qui nous sont confié.es. Il
a permis de les valoriser, de renforcer les liens dans le groupe classe et d’amplifier leur esprit de solidarité. Aussi,leurs parcours scolaire et familial, souvent chaotiques, laissent des blessures qu’il faut tenter de panser au quotidien. Et le meilleur remède est de les amener à réfléchir et agir. En effet, c’est dans l’action que ces jeunes souvent laissé.es pour compte, se sentent valorisé.es et reconnu.es. »

Katarina Morabito, Institut Sainte-Union de Dour

Des résultats pour un meilleur impact

Tant à la Croix-Rouge de Belgique qu’à Entraide et Fraternité, nous sommes convaincus que ce travail fait sur du moyen ou du long terme est porteur de sens et de changement. Rencontrer les élèves et les enseignant.es à plusieurs reprises et les accompagner dans leur engagement permet vraiment un approfondissement des acquis et un meilleur ancrage des valeurs que nous portons. Le temps écoulé entre les étapes laisse murir la réflexion et incite à faire des liens entre les concepts et la réalité.

De plus, un accompagnement de longue durée permet d’instaurer un climat de confiance avec les enseignant.es et accroît leur motivation à aller plus loin voire à recommencer l’aventure avec d’autres jeunes.

Au fil de nos interventions, nous percevons de réels changements chez les jeunes : un intérêt accru, une participation active, une implication soutenue, un regard critique avisé, mais aussi de l’empathie. S’il est difficile de mesurer l’impact de changement de comportement à long terme, il est certain qu’enseignant.es, jeunes et ONG ressortent grandis de toutes ces expériences valorisantes.

Un partenariat solide, une collaboration gagnante

Développer ces binômes « Corps professoral – ONG » permet de mutualiser nos compétences spécifiques et d’allier nos forces respectives au cœur d’un projet commun : développer la citoyenneté mondiale.

Nos interventions sont jugées pertinentes dans le cadre des programmes scolaires. Elles aiguisent l’esprit critique des jeunes inondé.es d’informations véhiculées dans les médias et colportées par les réseaux sociaux. Elles permettent d’accroître des sentiments de respect et de solidarité. Elles suscitent l’envie de se mettre en mouvement pour faire changer les choses ! Les approches pédagogiques mises en œuvre peuvent être réutilisées/transposées dans différents cours où plusieurs thèmes sont en lien avec nos interventions.

Tout n’est pas rose même dans le meilleur des mondes

Cependant, mener un projet de classe ou d’école n’est pas toujours un long fleuve tranquille. Bien qu’un cadre institutionnel propice à développer la citoyenneté en milieu scolaire en FWB existe à travers les décrets « Missions » et « Citoyenneté », l’organisation de l’institution scolaire représente parfois un frein. Certain.es enseignant.es n’osent pas se lancer dans l’aventure ou ne se sentent pas suffisamment soutenu.es en interne dans leur démarche. Il est souvent plus aisé pour un titulaire de l’enseignement primaire de se lancer dans un projet de grande envergure, que pour un.e professeur.e du secondaire, parfois cantonné.e dans une seule discipline et pour qui travailler en interdisciplinarité est un vrai challenge.

Nous touchons souvent des enseignant.es concerné.es par ces enjeux mondiaux et convaincu.es par nos pratiques. Nous souhaiterions rentrer dans des écoles qui ne nous connaissent pas encore et ainsi développer de nouvelles collaborations enrichissantes.

En conclusion, nous semons de petites graines, que nous ne voyons pas toujours grandir, nous espérons que la société pourra récolter les fruits de notre passage à condition que le terreau soit fertile et que ces petites graines soient bien arrosées.