L’ECM en milieu scolaire : quelles opportunités et quelles pratiques ?

Mise en ligne: 8 décembre 2020

Selon Grootaers [1] (2014), l’école remplit trois fonctions principales : 1) elle doit éduquer en formant la pensée critique, en apprenant aux enfants à apprendre et en leur permettant de se réaliser ; 2) elle doit contribuer à la socialisation des enfants en leur inculquant les règles du collectif, en leur permettant d’apprendre à vivre ensemble ; 3) et elle doit préparer l’insertion socio-professionnelle des enfants. Cette deuxième mission de l’école, socialiser les enfants, a depuis toujours été au cœur des parcours d’apprentissage, que ceux-ci se déroulent en milieu scolaire ou non. Déjà dans les sociétés traditionnelles, l’éducation, qui était assurée par la participation des enfants à la vie collective, avait comme objectif principal l’adaptation étroite de l’individu à la société où il/elle devait vivre (Vial, 2009) [2].

Cela s’opérait par imitation. Avec le développement des grandes civilisations, l’éducation s’est professionnalisée et de nouvelles disciplines sont enseignées (lecture, écriture, calcul, etc.) Elles ont conduit certain·e·s à l’apprentissage d’une profession. Mais la finalité de l’éducation reposait généralement toujours dans sa finalité sociale : conformer chacun au monde (Ib.), donner à tou·te·s les futur·e·s citoyen·ne·s des bases communes autour desquelles ils et elles peuvent se retrouver et construire un collectif. Le rôle de l’école comme lieu d’apprentissage de la citoyenneté a toujours été reconnu, implicitement ou explicitement.

Aujourd’hui, ce rôle de l’école comme lieu d’apprentissage du collectif, et donc de la citoyenneté, est explicitement assumé dans de nombreux pays à travers le monde. En Belgique francophone, c’est le décret Missions paru en 1997, définissant les missions prioritaires de l’enseignement fondamental et secondaire, qui met l’accent sur le rôle de l’école comme devant « préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures » (chapitre 2, article 6). Le décret relatif au renforcement de l’éducation à la citoyenneté responsable et active au sein des établissements organisés ou subventionnés par la Communauté française du 12 janvier 2007 vient par la suite rappeler qu’on ne naît pas citoyen·ne, mais qu’on le devient (Être et devenir citoyen, 2007), notamment à travers le parcours scolaire. Avec ce décret, la citoyenneté comme thématique à part entière fait une timide entrée dans les cursus scolaires en Fédération Wallonie Bruxelles (FWB), puisqu’elle devient un sujet qui doit être abordé de manière transversale à l’école.

Depuis 2015, la citoyenneté s’est officiellement invitée dans les cursus scolaires en FWB via le décret relatif à l’organisation d’un cours et d’une éducation à la philosophie et à la citoyenneté. Cet enseignement prend la forme d’un cours d’une heure par semaine dédié (plus une deuxième heure en option), ou d’une formation transversale selon les pouvoirs organisateurs de l’enseignement. La dimension mondiale est pleinement considérée puisqu’elle constitue un des huit objectifs de cette éducation.

Plus récemment, c’est le Pacte pour un Enseignement d’Excellence qui vient confirmer l’apprentissage de la citoyenneté à l’école, puisque l’un des sept domaines d’apprentissages du tronc commun s’intitule « Sciences humaines, éducation à la philosophie et à la citoyenneté, religion ou morale ». L’idée de l’école comme lieu d’apprentissage de la citoyenneté est également renforcée par le Pacte puisque, dès la maternelle, les enseignements doivent encourager les enfants à : construire une pensée autonome et critique ; se connaître soi-même et s’ouvrir à l’autre ; construire la citoyenneté dans l’égalité en dignité et en droits ; et s’engager dans la vie sociale et l’espace démocratique (« Le pacte d’excellence », la new juridique) Prochainement (et depuis la rentrée 2020 en maternelle), les enseignant.e.s de la 1e maternelle à la 2e primaire exerceront leurs élèves à l’« Éveil aux langues ». Ce cours se donnera à raison d’une heure par semaine. Le nouveau référentiel a pour objectif une ouverture à une diversité des langues étrangères. Outre la dimension liée à la dimension linguistique, l’éveil aux langues veillera aussi à sensibiliser progressivement les enfants à d’autres cultures dans le but de contribuer à la création d’une société plus tolérante et plus ouverte.

En reconnaissant le rôle fondamental de l’école dans la construction et l’apprentissage de la citoyenneté, et en ouvrant des espaces concrets et des temporalités pour aborder les thématiques qui y sont liées, ces différents cadres ont également renforcé la pertinence et l’importance de l’éducation à la citoyenneté mondiale.

En effet, l’apprentissage de la citoyenneté dans les écoles vise généralement à promouvoir la cohésion sociale au sein de la communauté (traditionnellement la Nation) et l’engagement envers cette communauté (autrement appelée citoyenneté active), via l’apprentissage de compétences cognitives (principes et valeurs de la démocratie, normes communes, connaissance des institutions politiques et des modes de gouvernance, esprit critique), socio-affectives (respect de la diversité, empathie, solidarité) et comportementales (engagement démocratique, non-violence, capacités argumentatives). Cependant, force est de constater que la globalisation a brouillé les repères traditionnels de la citoyenneté, et la triade État-Nation-Citoyenneté. Les enjeux auxquels sont confronté·s les jeunes aujourd’hui ne sont plus délimités par les frontières nationales. Les communautés expérimentent des contours plus flous, et sont traversées par les flux migratoires et la diversité culturelle. La complexité des attaches locales, transnationales et globales qui nous habitent transcende le sentiment d’appartenance exclusif à la communauté nationale. C’est pourquoi, une éducation à la citoyenneté n’aurait aucun sens de nos jours sans une ouverture vers le global, sans la reconnaissance que les enjeux que nous devons surmonter pour atteindre plus de cohésion sociale et plus d’engagement dépassent les cadres locaux et nationaux.

L’éducation à la citoyenneté mondiale, comme l’a prévu le décret relatif à l’organisation d’un cours et d’une éducation à la philosophie et à la citoyenneté en 2015, en définissant les objectifs de l’éducation, a donc toute sa place à l’école, puisqu’elle ajoute aux objectifs cognitifs, socio-affectifs et comportementaux déjà développés par l’éducation à la citoyenneté, une dimension globale nécessaire et indispensable aujourd’hui. Aux compétences cognitives déjà mentionnées s’ajoutent la connaissance et la compréhension des enjeux locaux, nationaux et mondiaux ainsi que l’interconnexion et l’interdépendance entre les différents pays et peuples ; aux compétences socio-affectives s’ajoutent un sentiment d’appartenance à une humanité commune et de partage de valeurs et de responsabilités fondées sur les droits de l’homme ; et enfin aux compétences comportementales s’ajoutent l’apprentissage de la manière d’agir de manière efficace et responsable aux niveaux local, national et mondial pour un monde plus pacifique et durable (UNESCO 2015) [3].

Consciente de la pertinence et de la légitimité de l’éducation à la citoyenneté mondiale en milieu scolaire, forte de la Convention de collaboration entre l’État fédéral et la Communauté française relative à l’éducation à la citoyenneté mondiale signée en 2017, et considérant que les décrets qui se sont succédés en FWB ont avancé vers une reconnaissance du rôle de l’école comme lieu d’apprentissage de la citoyenneté, Enabel travaille depuis plus de 20 ans autour de cette thématique, notamment dans le milieu scolaire à travers son programme d’éducation à la citoyenneté mondiale, « Annoncer la Couleur » (FR) / « Kruit » (NL).

Pendant plus de 20 ans, Annoncer la Couleur (ALC) a investi directement les milieux scolaires pour animer et accompagner des projets et des ateliers d’éducation à la citoyenneté mondiale dans les classes.

Cependant, depuis 2019, ALC a reçu comme mandat de renforcer la diffusion de l’expérience acquise à travers le développement de son centre d’expertise, et s’est engagée dans l’expérimentation de pédagogies et projets innovants visant à mieux ancrer l’éducation à la citoyenneté mondiale (ECM) dans le monde scolaire. C’est pourquoi, ALC aujourd’hui n’intervient plus directement dans les écoles, mais concentre son travail de renforcement des pratiques pédagogiques autour de la formation initiale et continue [4] des enseignant·e·s, à l’intention des enseignant·e·s de préscolaire, primaire, secondaire (en ce compris l’enseignement spécialisé et qualifiant) et à destination des départements pédagogiques des Hautes Écoles, en collaboration avec des ONG actives dans le milieu de l’ECM. 

Malgré qu’elle n’intervienne plus directement dans les écoles, l’expérience acquise tout au long de ces années a permis à ALC de développer plusieurs points d’attention qui, portés par l’ensemble des acteur·rice·s actif·ve·s dans l’ECM, peuvent participer à renforcer l’ECM dans le monde scolaire :

  1. La place de l’ECM à l’école ne pouvant plus être remise en question au vu du monde incroyablement interdépendant dans lequel nous vivons, il faut travailler à ce que le secteur scolaire en général puisse facilement appréhender la plus-value de l’ECM et soit convaincu de son utilité. Pour ce faire, il y a nécessité à traduire les compétences qui peuvent être acquises dans le cadre de l’ECM en langage clair auquel les acteurs du monde scolaire sont habitués. C’est pourquoi ALC a réalisé en 2017, sur base des travaux de l’Unesco, un travail de référentiel des compétences développées en ECM à l’âge de l’obligation scolaire, les enseignant·e·s peuvent y puiser des ressources et des informations claires et adaptées aux capacités des enfants, selon leur tranche d’âge.
  2. Le travail de formation des enseignant·e·s semble primordial. En effet, tant que l’éducation à la citoyenneté mondiale n’est pas une discipline obligatoire à l’école, elle ne peut être approchée que par les acteurs de l’ECM (ONG, asbl, etc.), ou bien par l’enseignant·e lui-même, qui décide de se l’approprier. Puisqu’il y a bien plus de professeur·e·s que d’acteurs de l’ECM, il semble évident qu’approcher les enseignant·e·s pour les amener à devenir eux mêmes/elles-mêmes des ambassadeur·rice·s de l’ECM dans les classes, est une démarche à renforcer. C’est pourquoi ALC a choisi de se concentrer sur la formation initiale des (futur·e·s) enseignant·e·s et des formateur·rice·s par le biais de la formation des enseignant·e·dans les hautes Écoles pédagogiques, et de travailler pour que les formations qu’elle dispense soient reconnues et validées par l’ensemble des organismes de formation des différents réseaux d’enseignement.
  3. Pour avoir une chance de s’ancrer dans les écoles, la formation en ECM doit s’aligner sur les préoccupations et les besoins des enseignant-e-s. Les enseignant·e·s sont généralement demandeur·se·s de formations sur des thématiques précises (migration, développement durable, commerce équitable, etc.),-, ils sont aussi à la recherche d’idées concrètes pour aborder ces thématiques en classe, et intéresser les élèves. C’est pourquoi, ALC a développé plusieurs axes qu’il reprend systématiquement dans ses formations : une introduction à l’ECM, un partage de données concrètes sur les thématiques abordées, une série de ressources pédagogiques pour aborder les thématiques (expérimentées par les professeur·e·s pour pouvoir les reproduire en classe), et un temps pour penser la manière dont les enseignant·e·s peuvent transposer l’enseignement reçu en un projet à réaliser avec les élèves. Pour ce faire, ALC a notamment développé : 1) une plateforme qui rassemble plus de 700 ressources organisées par thématique et par tranche d’âge qui peuvent être utilisées en classe ; 2) un manuel pédagogique axé sur la pédagogie du projet pour aider les professeur·e·s à implémenter concrètement des projets en classe.
  4. Les effets de la formation des enseignant·e·s, les projets mis en place dans les écoles, doivent être alignés sur les objectifs transformatifs de l’ECM. En effet, l’ECM a d’abord vocation à faire réfléchir sur le monde qui nous entoure, à questionner ce qui peut sembler évident, à mettre à jour les structures de domination qui nourrissent les disparités et les inégalités. L’ECM vise à transformer les individus, mais aussi les structures sociales pour qu’un projet de société basé sur plus de justice sociale et de durabilité puisse émerger et être porté par des jeunes qui ont compris le rôle qu’ils et elles sont amené·e·s à jouer comme citoyen·ne·s. En fonction de l’âge et des compétences psycho cognitives des enfants, un projet mené dans le cadre de l’ECM ne devrait pas simplement aboutir à un changement de pratique ou de comportement (par exemple, trier ses déchets, ou consommer plus équitable). Cet enseignement devrait surtout ? amener à une compréhension des dynamiques globales qui rendent possibles les inégalités, les dominations, les disparités, pour permettre aux jeunes de comprendre comment et où agir plus globalement pour participer à un nouveau projet sociétal. C’est pourquoi il est également important dans les formations, de mettre l’accent sur un bagage plus théorique, ce bagage permettra aux formateurs et formatrices d’aborder par la suite les problématiques qu’ils/elles choisiront de traiter dans une perspective systémique et transformative.
  5. Pour renforcer les effets transformatifs de l’ECM, les formations dispensées et les projets menés en classe doivent s’aligner sur certaines préoccupations du courant dit “critique” de l’ECM,principalement : 1) aborder les problématiques de l’ECM à partir d’une posture décoloniale, c’est-à-dire questionner les systèmes hégémoniques et déconstruire les hiérarchies épistémologiques ; 2) aborder les stéréotypes et les préjugés à partir d’une posture désessentialisée, c’est-à-dire reconnaître le caractère construit des représentations culturelles. C’est pourquoi ALC a particulièrement veillé à intégrer ces préoccupations dans la manière dont les formations sont construites.

Ensemble, ces différents points d’attention peuvent favoriser l’ancrage de l’ECM dans le monde scolaire, et faire de l’ECM une éducation incontournable pour préparer les élèves à leur rôle de citoyen·ne dans un monde globalisé, dans lequel les enjeux dépassent largement les frontières nationales. Affronter les défis de demain, renforcer la cohésion sociale et construire un monde durable où chacun·e a sa place requiert d’inventer des solutions innovantes, et un vrai engagement de la part de chacun·e.
L’ECM a toute sa place dans le monde scolaire pour répondre à ces objectifs.

[2Vial J. (2009). Histoire de l’éducation, Presses universitaires de France : Paris.

[4Toutes les formations données par ALC sont reconnues par l’IFC ou les fédérations de pouvoirs organisateurs de l’enseignement en FWB.