Comprendre les problématiques mondiales et les inégalités Nord-Sud, partir à la découverte de l’autre, s’investir dans un projet citoyen afin de faire évoluer positivement la société : voici quelques raisons, parmi tant d’autres, qui poussent certains jeunes et leurs professeurs à participer à des projets en partenariat avec des ONG de coopération au développement. Les séjours d’immersion font partie de ces projets d’école et permettent aux élèves et à leurs accompagnateurs de partir dans un pays du Sud, à la découverte des modes de vie et des cultures ainsi qu’à la rencontre des populations et des élèves de ce pays. Et quoi de plus passionnant que la découverte pour comprendre le monde ?
Ces voyages peuvent être organisés par une seule et même ONG, mais ils peuvent aussi avoir lieu dans le cadre d’un projet regroupant plusieurs organisations comme Move with Africa qui est le fruit d’une collaboration entre La Libre Belgique et pas moins de 7 ONG différentes. Mais dans tous les cas, le voyage n’est que le point d’orgue d’un processus d’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire bien plus long.
Un projet « séjour d’immersion » est bien loin de vacances passées à se dorer la pilule au soleil. Pour les groupes accompagnés par Iles de Paix, le processus s’étend sur un ou deux ans, au cours desquels un parcours de formation est mis en place. Celui-ci se divise en 3 phases : la formation, le voyage et finalement le témoignage.
Cap sur un récit d’expérience, rythmé par les témoignages de Berangère, Mehdi, Charlotte, Anthony, William et Isabelle. Ces cinq élèves et cette enseignante de l’Institut Sainte-Ursule (ISU) de Namur ont participé au séjour d’immersion encadré par l’ONG Iles de Paix à Natitingou au Bénin, en avril 2019.
Avant son voyage au Bénin, le groupe de l’école secondaire de Namur, composé d’une quinzaine d’élèves, de trois enseignants et de trois accompagnants Iles de Paix, s’est longuement préparé, lors de sa période de formation. Comme l’écrivaient les enseignants au début du projet : « sensibiliser les jeunes à la diversité culturelle, découvrir l’Afrique… ça s’apprend ! ».
Il s’agit de l’étape la plus longue du projet, durant laquelle les participants ont l’occasion de prendre part à plusieurs week-end et journées d’ateliers. Ces ateliers abordent de nombreuses thématiques telles que l’interculturalité, la coopération au développement, les inégalités mondiales et les interdépendances, les stéréotypes ou encore l’histoire, la géographie et la culture du pays qui sera visité, en l’occurrence, le Bénin. Les séances de formation peuvent prendre des formes variées : présentations, animations, ateliers, jeux, moments de recherche, mises en situation, etc.
L’apprentissage de concepts et notions nécessaires à ce qu’ils vont découvrir est donc une composante essentielle de cette première étape, mais ce n’est pas la seule ! Car en réalité, dans un tel projet, il ne s’agit pas seulement d’une expérience vécue par chacun, individuellement, mais bien d’une expérience personnelle et collective. L’identification des besoins de chacun et du collectif, le partage des émotions et des ressentis, la construction d’une confiance et d’une cohésion au sein du groupe, etc. sont quelques-uns des « ingrédients » indispensables à la bonne réalisation du projet.
C’est en alliant ces deux composantes, la dynamique de groupe et les connaissances, qu’il est possible de découvrir les biais dont nous sommes inconsciemment porteurs, de s’ouvrir aux autres et à des réalités différentes, pour finalement faciliter les rencontres et les échanges qui auront lieu au cours de la deuxième étape du processus : le voyage d’immersion.
Un processus donc long, mais important. Isabelle en est convaincue : « enseigner, c’est transmettre, des savoirs, certes, mais surtout transmettre des valeurs et des « savoir être ». Cela passe par des projets où on vit les choses ensemble. »
Le voyage d’immersion se déroule généralement sur une période de 10 à 15 jours. Il est souvent l’évènement le plus marquant de tout le projet. L’ONG, dans ce cas-ci, Iles de Paix, s’occupe de préparer le séjour sur place, elle gère donc l’intendance et le planning.
C’est l’heure pour le groupe constitué d’élèves (comprenant entre autres Berangère, Mehdi, Charlotte, Anthony et William), d’enseignants (dont Isabelle) et d’accompagnants de s’envoler vers le Bénin. Le voyage est l’occasion pour les étudiants de l’Institut Sainte-Ursule de Namur de découvrir plusieurs aspects du quotidien béninois. Au programme, diverses activités pouvant être reprises sous différentes catégories : culture, agriculture familiale durable et alimentation responsable, valeurs et approches d’un projet de solidarité, temps de réflexions et échanges, etc.
La découverte des habitants d’un pays inconnu passe par une immersion dans leurs mœurs, leurs traditions et leur quotidien. Ainsi, quelques temps avant le départ, les étudiants belges sont mis en contact avec des jeunes de leur âge, scolarisés dans une école de Natitingou, ville située au Nord du Bénin. Ces échanges individualisés permettent à chaque jeune de tisser des liens particuliers avec les étudiants béninois. Grâce à leurs contacts privilégiés, au cours du séjour, ils en apprennent beaucoup sur le quotidien d’autres jeunes vivant au Bénin. Ils ont l’occasion non seulement de participer à certains cours scolaires à leurs côtés, mais aussi de passer une nuit au sein des familles de leur correspondant. Riches d’interculturalité, d’échanges d’expériences et de dialogues, ces moments à la rencontre de l’autre font partie des plus intenses pour les jeunes. Berengère raconte : « Annick, ma correspondante, m’a accueillie chez elle comme si j’étais un membre de sa famille. Je suis d’ailleurs encore en contact avec elle aujourd’hui ». Mehdi ajoute : « J’ai noué de belles relations amicales. Le respect des différents cultes et croyances est une des leçons que je retiens », tandis qu’Anthony, lui échange encore avec « plusieurs correspondants, surtout par rapport à l’actualité. Je prends toujours de leurs nouvelles ».
Dans cette région rurale du Nord-Bénin où la majeure partie de la population vit du travail de la terre, ce séjour d’immersion est également mis à profit pour que les jeunes Belges et leurs enseignants se penchent spécifiquement sur la problématique de l’agriculture familiale durable et de l’alimentation responsable, au travers de rencontres avec des agricultrices et agriculteurs locaux. Grâce aux diverses visites au sein des communes accompagnées par Iles de Paix, Berangère, William, Mehdi, Charlotte, Anthony et le reste du groupe découvrent d’une part l’agriculture familiale durable et les techniques maraichères mises en place dans certains villages, et d’autre part des valeurs et approches incontournables pour Iles de Paix dans ses projets de solidarité (self-help, autonomie, dignité, durabilité, formation, essaimage, etc.).
Près de deux ans plus tard, ces découvertes dans les domaines de l’écologie et de la consommation responsable pousseront Charlotte à s’investir dans des projets durables : « J’ai créé un grand potager pour nourrir ma famille de légumes locaux et ne plus rien acheter en supermarché en termes de sucreries. Je participe à des ateliers pour pouvoir fabriquer mes produits ménagers et j’essaye de favoriser les petits producteurs locaux. D’ailleurs, je travaille actuellement dans une boucherie artisanale où le gaspillage est interdit ». Berangère raconte aussi que « depuis mon retour, je consomme plus local et fais surtout attention aux fruits et légumes de saisons. En Europe, nous vivons dans un monde de surconsommation où il nous faut tout et tout de suite. Au Bénin, ils vivent plutôt en fonction des saisons ». Pour William, en revanche : « Le séjour ne m’a changé du tout au tout, je ne suis pas devenu Mister Ecolo 2019 ». Ce sont plutôt les questions d’inégalités Nord-Sud qui l’ont marqué : « Le voir de mes propres yeux, ça m’a marqué pour toujours ».
Car un séjour d’immersion, c’est aussi une remise en question de sa propre perspective sur le monde et sur ses habitudes. Les moments de réflexion et de partages de vécus sont importants lors d’une telle expérience. De nombreuses soirées du séjour sont d’ailleurs réservées aux débriefings, afin de mettre des mots sur les impressions et les apprentissages, de pouvoir les exploiter au mieux. Anthony explique : « Je garde une trace écrite de mon voyage, que je compte relire dans quelques années. Ça me permettra de me remémorer plein de moments qui ont constitué mon voyage » Mehdi, de son côté, témoigne : « Ce voyage m’a permis de faire un travail sur moi-même. Le fait d’être coupé des réseaux sociaux [ndlr. les jeunes voyageait sans GSM] m’a permis de profiter de chaque instant. Ce sont souvent les choses simples qui rendent le plus heureux, quelque chose que je ne réalisais pas forcément avant mon départ au Benin. Aujourd’hui, je suis quelqu’un de plus engagé, de plus responsable. »
À la suite de tout ce processus, chacun en tire des apprentissages différents et de manière plus ou moins ancrée. Certains sont interpellés par une meilleure compréhension des inégalités Nord-Sud et sont plus enclins à la solidarité internationale. D’autres s’investissent dans des projets durables et respectueux de l’environnement. Dans tous les cas, les élèves qui ont participé à l’expérience deviennent des ambassadeurs. En effet, de manière générale, Iles de Paix observe une augmentation de la confiance qu’ont ces jeunes dans le fait qu’ils peuvent agir, se mettre en action pour aider les populations du Sud.
Ce genre de projet permet également l’acquisition de nouvelles représentations, de nouveaux comportements et réflexes citoyens, ainsi que de nouvelles compétences transversales : travail d’équipe, respect mutuel, prise de parole en public, etc.
Isabelle, qui a continué de côtoyer la plupart des jeunes conclut : « A l’ère du numérique et de l’hyper connectivité, on croit connaître les choses parce qu’on a été abreuvé d’images. Or, il n’y a de véritable connaissance qu’au travers du vécu et du partage. La réalité s’avère plus complexe : difficile pour certains de lâcher l’immédiateté et d’en gérer la frustration… Pari un peu fou : nous avions osé miser sur l’immersion complète, loin des réseaux, afin de vivre « l’ici et maintenant ». Peu à peu, nous découvrions ce qui se cache derrière ces modules colorés [ndlr. Symbole de l’ONG Iles de Paix], connus de tous : des maraîchers enthousiastes et fiers de leur parcelle, des femmes qui portent à bras-le-corps l’avenir de leur famille, un accompagnement bienveillant vers l’autonomie et la liberté. Cette fois-ci encore, les rencontres et les visites éveillent parfois les consciences, provoquent l’enthousiasme de certains, incitent à la réflexion, même si d’autres restent, malheureusement, tétanisés par leurs peurs… Mais, je me dis que cette fois-ci encore, les graines de l’ouverture et du respect ont été semées et que le temps et la patience les feront germer… et si certaines graines s’étiolent, elles auront au moins eu le mérite d’être plantées. »