L’expérience du Conseil national de l’enseignement agricole privé en France

Mise en ligne: 21 septembre 2015

Enjeu et démarche, l’éducation au développement est un principe éducatif enthousiasmant, mais l’enthousiasme ne suffit pas, par Madeleine Joubert

Je crois que ce qui est finalement le plus facile c’est de faire partager une conviction : la solidarité internationale est un principe éducatif enthousiasmant ! Manifeste joyeux qu’il faut prouver...

Je viens du monde agricole, j’enseignais en Provence et depuis que je suis à Paris, je travaille à mi-temps comme chargée de mission Coopération internationale pour le Conseil national de l’enseignement agricole privé, CNEAP, c’est-à-dire la branche agricole de l’enseignement catholique français. C’est un enseignement sous contrat avec l’Etat, qui rassemble pour plus de deux millions d’élèves, nos 120 mille enseignants et nos 80 mille cadres éducatifs non enseignants, tous impliqués dans la tâche éducative qui est la nôtre, celle d’une école ouverte à tous, je vous en parlerai plus tard. La spécificité de mon travail pour l’enseignement agricole est que la mission de coopération internationale est définie dans la loi d’orientation comme une mission à part entière de cet enseignement technique particulier. Mon rôle est d’informer et garder cette information à jour sur les possibilités d’être un acteur de solidarité internationale et un éducateur au sens entier et large du terme, c’est-à-dire qui traite de l’éducation au développement au travers de toute autre matière au programme.

Par ailleurs, je siège, au nom du CNEAP, à la Commission nationale Education à l’universel de l’Enseignement catholique. Cette commission, que nous appelons EDU, siège trois fois par an pour faire des propositions et mettre en œuvre des sessions de sensibilisation, des stages de formation spécifique à cette dimension internationale, et pour former nos personnels en matière d’éducation au développement. Ainsi, nous avons travaillé ensemble sur l’exploitation du Sommet de la terre, sur la faim dans le monde et notre rôle, comme enseignants de l’enseignement catholique, sur les grandes orientations du développement durable et de l’engagement des jeunes... Cette commission s’appelait avant Ouverture au tiers monde et éducation à l’universel ; son titre a évolué dans un double sens : vers un élargissement des concepts à traiter d’une part, et la précision de notre mission d’autre part.

Education au développement et à l’universel, qu’est-ce c’est pour nous ?

Dans notre plaquette, en 1998, nous déclarons que l’éducation à l’universel pour une citoyenneté mondiale est un enjeu majeur de notre institution. Cette éducation à l’universel vise large, plus large que les instructions officielles du Bulletin officiel de l’éducation nationale. Dans l’enseignement catholique, toute action éducative a pour but l’instruction, certes, c’est la transmission de savoir —savoirs, savoir faire, savoir être, savoir apprendre— et la formation de tous, maîtres et élèves. Pour nous, c’est enseigner et éduquer. Nous visons l’éducation avec un E majuscule, donc c’est aussi viser une ouverture, ouverture d’esprit, à l’esprit chrétien que nous appelons ouverture à l’universel. En cela, l’éducation à l’universel est une mission, repérée de longue date, elle est l’expression de notre foi, credo valable aussi pour les non-croyants qui travaillent avec nous dans l’enseignement catholique, parce qu’ils partagent notre projet éducatif. Ainsi, l’ éducation à l’universel est l’expression de notre identité, celle de l’enseignement catholique, car elle est en cohérence avec les grandes orientations, avec les principes éthiques que nous défendons dans nos établissements catholiques d’enseignement. Ecole ouverte à tous, à tous les hommes, école qui vise la formation de tout l’homme.

Relevons ici trois articles du projet éducatif de l’enseignement catholique : Nous prônons « une école fondée sur la formation intégrale de l’homme ». Nous prônons aussi « une école fondée sur les capacités de toute personne, à appréhender son univers et à participer à la construction de son milieu ». Enfin, nous prônons « une école fondée sur la préparation des jeunes, à devenir les acteurs de la rénovation sociale ».

Notre référence vient de l’esprit d’une encyclique de Paul VI Populorum progresso qui nous invite à « quitter tout repli frileux » et « à s’engager dans une nouvelle intelligence planétaire ». Un esprit nouveau pour un monde nouveau ! Car en déclarant que « le développement est le nouveau nom de la paix », Paul VI nous donne un mot d’ordre. Le développement dans l’enseignement catholique, c’est l’éducation au développement : enjeu d’importance et mission éducative majeure. Paul VI, en 1967, visait le développement des pays du tiers monde, selon Alfred Sauvy, qu’on a, plus tard, appelés pays en développement parce que le sous-développement fait trop mal ! Maintenant que le quart monde, chez nous, se développe aussi fort et aussi vite que tout le reste, maintenant que les irruptions du mal-développement, partout, au loin comme au coin de la rue, ont élargi le problème à l’échelle locale et mondiale, maintenant, on sait que le développement est un problème global.

Le Père Lebret au début des années septante définit des critères de développement humain. Aujourd’hui, après Rio et Johannesburg, on vise un développement durable. Et tout le contexte de l’actualité politique internationale nous interpelle sur la notion de solidarité internationale. Notion, oui, parce que l’éducation au développement, même si elle vise l’éducation à la solidarité internationale, ou la citoyenneté mondiale, peut n’être que principe abstrait ou valeur de référence... Mais ce n’est pas assez. Nous œuvrons à les mettre en œuvre, en pratique, pour qu’enseignants et enseignés soient les acteurs de ce monde à venir que nous voulons meilleur.

C’est aussi une démarche, inscrite dans les instructions officielles de l’Education nationale française ; elle s’appelle alors éducation au développement et à la solidarité internationale... et ce n’est pas tout à fait la même chose que notre éducation à l’universel, mais avec le même type d’évolution qu’il est intéressant de suivre.

Dès 1983, l’Education nationale française souligne la nécessité de promouvoir un dialogue et une éducation : le dialogue sera interculturel et l’éducation sera pour le développement et les droits de l’homme. Pour ce faire, l’Education nationale crée une Journée mondiale du tiers monde, qui deviendra la SECSI ; gros succès avec ce nom auprès des élèves dont l’enthousiasme se dégonfle un peu quand on développe le sigle : Semaine à l’école de l’éducation au développement et à la solidarité internationale.

En 1989, l’éducation au développement devient « un élargissement de l’éducation civique à la dimension internationale », c’est alors « une priorité nationale » qui concerne les différentes disciplines et les thèmes transversaux du deuxième degré seulement !

En 1996, l’Education nationale avance un instrument pour le Partenariat éducatif Nord-Sud —qui n’existe plus aujourd’hui— qui doit s’intégrer dans une dynamique de projet d’école ou d’établissement. Ça y est, tout le monde est concerné, et pas n’importe comment : « en favorisant une démarche interdisciplinaire, où les élèves sont actifs ». L’éducation au développement est donc un vecteur d’innovation pédagogique... pour tous !

Depuis, chaque année, l’éducation au développement et à la solidarité internationale fait l’objet d’une note au Bulletin officiel de l’Education nationale
, la dernière en date de juillet 2003 nous cueille à la rentrée : Quelles sont les nouveautés de ce texte ? Pas beaucoup de neuf dans les thèmes d’action ou de réflexion ni dans les temps forts, ni dans les partenaires qui sont élargis... mais dans les enjeux, des observations sont à relever.

Peu de nouveauté dans les publics concernés : « du plus jeune âge »... jusqu’à l’Université. Notons tout de même que l’Université fera la Semaine de la solidarité internationale en même temps que les autres à partir de 2003...

Peu de neuf sur le comment faire : Itinéraire de découverte, travaux personnels encadrés, projets pluridisciplinaires et démarches transversales... On trouve des exemples d’itinéraire de découverte dans le dossier pédagogique de Planète espérance, et des Itinéraires par degré dans les fiches du CCFD.

Peu de neuf quand la note souligne que cette éducation à la solidarité internationale « s’appuie sur les actions éducatives »... « dans le cadre du projet d’école ou d’établissement » : nous souhaitons répéter avec la note que les actions doivent être en cohérence pour être efficaces et durables, donc inscrites et menées autour, avec, et par le projet de toute l’équipe éducative.

Mais la note stipule, et ça c’est nouveau, que l’éducation au développement et à la solidarité internationale est « de nature à mener les jeunes à s’engager ». Cette nouveauté dans les liens à faire se retrouve dans les enjeux. Rien de nouveau, a priori, dans les enjeux de l’éducation au développement et à la solidarité internationale qui « entend donner une cohérence à la multiplicité d’informations à laquelle les élèves sont confrontés ». Cette confrontation ne concerne pas seulement les élèves, car tous, nous sommes confrontés à cette difficulté de se forger un avis critique sur l’actualité.

Pas de nouveau non plus dans l’autre enjeu de l’éducation au développement et à la solidarité internationale qui « vise à faire prendre conscience aux élèves de l’interdépendance des régions du monde dans le processus de mondialisation » en orientant, en particulier, leur curiosité vers la réalité économique, sociale et culturelle des pays en développement : on vise bien là les nouveaux droits économiques, sociaux et culturels préconisés par toutes les grandes instances internationales. Et nous proposons à nos enseignants de participer à l’Université d’été du CRID à Angers, pour se former sur ce sujet.

Nouveauté pourtant, tout de suite après, en liant l’éducation au développement et à la solidarité internationale aux « questions d’environnement et plus généralement de développement durable ». Nouveauté surtout, dans le premier enjeu énoncé, mais pas dans les premières lignes du paragraphe qui reprend les notions traditionnelles : l’éducation au développement et à la solidarité internationale vise à « faire comprendre les grands déséquilibres mondiaux » et à « permettre la réflexion sur les moyens d’y remédier ».

A ce stade, je voudrais rappeler un de nos principes éthiques cités : « Nous prônons une école fondée sur les capacités de toute personne, à appréhender son univers et à participer à la construction de son milieu ». Nous visions juste : ampleur de la tâche et précision de la mission !

Mais continuons avec la note, et voici le nouvel enjeu fixé par le texte : « Afin que tous les peuples et toutes les personnes aient le droit de contribuer au développement et d’en bénéficier ». Il s’agit bien de partager les bénéfices du développement, pas seulement les ravages du développement mais surtout de contribuer —tous !— à ce développement par un droit à exercer, une responsabilité de décider de quel développement on parle, vers quel développement on agit, et de veiller au comment on met en œuvre ces choix. L’éducation au développement vise à former à cette perspective, nouvelle forme de responsabilité citoyenne et de vraie solidarité. Nous prônons « une école fondée sur la préparation des jeunes à devenir les acteurs de la rénovation sociale ».

Si l’éducation au développement et à la solidarité internationale est bien un principe éducatif enthousiasmant
, comment faire tout ça ?

Pour les établissements agricoles, nous publions un Bulletin rapide d’information de coopération internationale. Une correspondance de messages par internet relie les 200 établissements à la mission nationale avec un appui téléphonique tous les matins. Pour promouvoir les idéaux et les activités des ONG d’éducation ou de coopération au développement ; ainsi, tout naturellement, du CCFD dans sa double mission —lutter contre la faim dans le monde et œuvrer à l’éducation au développement en France—, mais aussi avec la fédération Artisans du monde, Peuples solidaires...

Nos éducateurs peuvent faire un choix dans tout ce que notre commission met à leur disposition : nous avons abondamment documenté les ressources citées par la note officielle, mais par ailleurs, notre rôle de pilote en matière d’éducation au développement nous conduit à approfondir et enrichir le volume et la nature des propositions sélectionnées par les membres de la commission —qui compte, en interne, nos différents mouvements et services d’Eglise mais aussi, et c’est une de nos richesses, des personnalités extérieures, es qualité... Nous soutenons activement les grandes campagnes nationales ou européennes sur les thèmes de l’éthique sur l’étiquette, le commerce équitable, le développement durable... et nous en proposons à l’initiative de nos membres : Ainsi, l’Union générale sportive de l’enseignement catholique, avec ses partenaires, a mis en place Planète espérance, qui en mai 2004 réunira dans un effort sportif, nombre d’élèves dans trois pays pour co-financer neuf projets de développement dans le monde.

La documentation proposée, dans la démarche de projet, ou dans la mise en pratique avec les appuis —partenaires et outils pédagogiques— reprend le fil de l’Education nationale française qui donne une liste de ressources, dont une note d’instructions pédagogiques —sur le site du Haut conseil de la coopération internationale, par exemple ( www.hcci.gouv.fr ). Nous travaillons en lien avec le Programme Terre d’avenir ( www.pfeadsi.org ) : leurs recueils d’expériences annuels et les livrets d’outils pédagogiques sont très appréciés, ainsi que la base de données de la plate-forme très riche, pour y puiser des idées et des pratiques autour des thèmes de réflexion ou d’action : la note souligne trois thèmes forts : l’éducation pour tous, le développement durable et la diversité culturelle. Les migrants, cités avec le FORIM, sont un thème de travail d’actualité forte dans les établissements.

Des temps forts sont repris dans notre calendrier pour tisser un lien pédagogique entre toutes les opportunités, dans l’ordre chronologique. Des acteurs —enseignants et éducateurs et chaque élève— et des partenaires, car le texte conseille d’une part « de s’attacher le concours des collectivités territoriales » : il s’agit bien de travailler en cohérence avec les orientations du pays au sens de la loi Voynet par exemple, et parce que toute la coopération internationale scientifique, culturelle ou technique, ne sera que décentralisée avec le département ou la région.

Le texte, d’autre part, oriente vers des intervenants extérieurs qualifiés, qui devront offrir toute garantie au regard du service public. Nous préconisons d’ouvrir l’école à tout partenaire choisi, à toutes les associations de solidarité internationale ou locale, et particulièrement le CCFD, qui élabore, pour et avec nos enseignants, des documents pédagogiques d’extrême utilité. Avec le Secours catholique- Caritas, la DCC, le SDC... dont les témoignages au retour de coopération sont toujours percutants auprès des élèves. De plus, pour effectuer ce choix d’intervenants extérieurs, nous rappelons qu’une aide privilégiée se trouve dans la maison diocésaine.

On le voit, enjeu et démarche, l’éducation au développement est un principe éducatif enthousiasmant, mais l’enthousiasme ne suffit pas. Il faut s’y former, et là nous prenons appui sur les différentes structures de formation de formateurs qui travaillent à ces objectifs, organismes agricoles ou d’enseignement général. Ainsi, nous avons travaillé, ensemble, et ce n’est pas toujours si facile, car nos démarches sont si proches que chacun nous nous accrochons à nos différents modes de fonctionnement, mais n’est-ce pas là, déjà, une pratique inter-culturelle à développer ?... C’est pourquoi nous avons proposé, en commun, depuis l’an 2000 des sessions annuelles de formation spécialisées « accompagner à l’international dans le cadre scolaire », avec un suivi de deux jours au bout d’un an de mise en pratique. Le succès de ces stages tient autant à ces rapprochements inédits qu’au mutuel enrichissement des expériences partagées et des solutions apportées aux questions communes... ( cf. fiche de PTA recueil n° 7 : www.pfeadsi.org/expdb/ scripts/ indx.php ?mode=loc&tot=o ).

Nombreuses sont nos écoles, nos établissements techniques —avec mention particulière pour l’enseignement agricole— qui mènent avec succès des projets européens Comenius : échanges linguistiques ou des projets de partenariats européens sur des thèmes qui promeuvent les valeurs propres à l’éducation au développement et la solidarité internationale dans le sens d’éducation à l’universel que nous prônons : l’Europe est alors un chemin privilégié pour réaliser les objectifs éducatifs ; certes les établissements s’appuient sur les structures régionales mais l’appui technique des membres de la Commission EDU n’est pas négligeable, et valorise leurs actions quand à leur tour les porteurs de projets deviennent des tuteurs pour les candidatures à déposer... Cette même démarche est utilisée, en région ou lors des rencontres nationales, pour toutes les campagnes de solidarité internationale : capitaliser, valoriser et échanger les pratiques en établissements est un chantier toujours en cours, c’est aussi dans cette tâche que nous avons encore beaucoup de progrès à faire...

Nous avons offert et réalisé, en région, des séminaires ou des colloques sur les sujets spécifiques tels que la mondialisation, le développement durable, la citoyenneté, le vivre ensemble, et des opérations de sensibilisation, selon chaque public et chaque région, soit en Centre de formation pédagogique auprès des futurs enseignants, soit en formation continue, en journée, séminaire de trois jours, ou conférences avec ateliers, à la demande...

Récemment, nous avons entamé un nouveau cycle de formation de personnes-ressources en éducation à l’universel dont les modules alternent formation théorique, approfondissement de connaissances, techniques d’animation et expériences élargies aux Universités d’été locales, au Forum de Barcelone ou à Ostende avec le DEEEP ( www.deeep.org ) !

Enfin et non des moindres, la Résolution européenne du 8 novembre 2001 sur l’éducation au développement ( www.deeep.org/resolution/ index.htm ) est pour nous une direction commune et un objectif clair, non seulement pour le travail quotidien de nos éducateurs, mais un éclairage particulier et volontariste : non pas une nouvelle matière à enseigner mais bien une autre manière d’enseigner. Ce document repris et distribué doit être mieux connu et servir de base aux partenariats éducatifs tissés entre les équipes scolaires de tous les pays et de tous les niveaux. C’est dans ce sens et pour activer sa mise en oeuvre réelle que nous avons un projet d’éducation au développement pour l’éducation des adultes, Grundtvig 2, avec des partenaires grecs, polonais et irlandais, qui vise à échanger les bonnes pratiques d’associations de professeurs, éducateurs, travailleurs sociaux, élus locaux, associations de parents et praticiens d’éducation au développement. Madeleine Joubert est chargée de mission pour le Conseil national de l’enseignement agricole privé en France