Le « quatre-quart » humanitaire

Mise en ligne: 8 février 2007

Un quart de droits de l’homme, un quart de démocratie, pour lier, un quart d’interculturel, un quart d’éducation au développement... Portrait forcé des rapports entre école et ONG, par Pierre Waaub


Vous avez vu la gueule du monde ? Comment voulez-vous, dans de telles conditions, que nos élèves avalent sans broncher l’adhésion à la société que l’Ecole est sensée leur transmettre ? Déjà que l’école démocratique comme institution égalitaire de promotion sociale, ce n’est pas super crédible, alors, leur faire avaler en plus que, d’une part, la société dans laquelle ils vivent porte des valeurs qu’ils ont intérêt à adopter et que, d’autre part, elle s’est entourée de règles qu’ils doivent respecter pour le bien de tous, là, ça risque de faire mal.

Alors, pour faire passer, il faut trouver un truc, un machin capable d’assumer le grand écart entre un monde perçu comme globalement défoncé aux logiques de domination et une société présentée comme localement imbibée d’humanisme démocratique. Heureusement, on peut compter sur l’absence de repères politiques des jeunes : s’ils ne savent rien des idéologies, des rapports de force, des conflits de classes, des enjeux géopolitiques, au moins la plupart d’entre eux ont-ils deux réflexes d’opinion plus ou moins bien conditionnés : le racisme c’est dégueulasse et la guerre c’est pas bien. Heureusement, on peut compter sur les bonnes intentions des adultes qui permettent de se passer des repères politiques pour établir au moins deux certitudes : les droits de l’homme, c’est la base du progrès de l’humanité, et la démocratie, c’est moins pire que la dictature.

Et en plus, c’est nous qui les avons inventés. Le « quatre-quart » humanitaire est prêt : un quart de droits de l’homme, c’est la base, un quart de démocratie, pour lier, un quart d’interculturel, pour rendre appétissant, un quart d’éducation au développement, pour faire passer le petit goût amer. Le produit étant prêt, encore fallait-il lui trouver un diffuseur. Pourquoi les écoles se sont-elles prêtées au jeu ? Comment les enseignants ont-ils été amenés à renoncer à leur métier ?

Le « tous à l’école ! » démocratique

Le prolongement de la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans a imposé par l’Etat avec le label démocratique : donner plus de chances à tous- alors qu’on cherchait aussi à faire baisser les statistiques du chômage des jeunes tout en assurant leur regroupement et leur surveillance, ce qui était de toute évidence préférable à leur éparpillement dans les rues et pouvait donc être considéré comme un moyen de lutte efficace contre la délinquance juvénile.

Cependant, pour l’école, s’il fallait rendre le label démocratique crédible, cela changeait tout : là où l’école pouvait auparavant poser des constats sur des lacunes qui excluaient peu à peu certains jeunes du monde scolaire et les renvoyaient vers des institutions de socialisation liées au monde du travail, elle se voyait dès lors mise en demeure de mettre en place des stratégies susceptibles de remédier à ces lacunes. Pour donner du sens à cette prolongation de la scolarité, il fallait s’atteler à assurer une amélioration des acquis de ces jeunes en amont, une continuité dans leur progression et, en aval, la réussite d’une épreuve certificative qui vaille la peine en termes d’insertion sociale.

Un tel bouleversement de la fonction sociale de l’école ne pouvait se contenter d’une augmentation du financement public simplement proportionnelle à l’augmentation du nombre d’élèves dans les écoles. Il s’agissait en effet d’augmenter la dotation par élève afin de mettre en oeuvre des moyens appropriés, de la formation des enseignants aux pratiques pédagogiques, susceptibles de faire progresser ces élèves. Non seulement cette augmentation de la dotation par élève n’a pas eu lieu, mais, sous-financement de la Communauté française oblige, cette prolongation de la scolarité obligatoire s’est même inscrite dans un contexte de restriction budgétaire et de diminution globale de l’encadrement.

Dans les années nonante, les enseignants, confrontés à des difficultés croissantes dans l’exercice de leur métier, ont tenté de résister à ces restrictions. Mais les pouvoirs publics en avaient fait leur priorité et il fallait donc briser la capacité de résistance des enseignants. Cet objectif fut atteint au moyen d’une campagne de dénigrement des enseignants, présentés comme un groupe corporatiste déjà perclus de privilèges exorbitants en termes de congés, de congés de maladie et d’horaires de travail avantageux, qui en voulait toujours plus dans un contexte où globalement tout le monde était contraint de se serrer la ceinture. Les enseignants se sont alors repliés sur une position défensive : pour ne pas demander plus, ils se sont axés non sur les aspects matériels de leur profession -temps de travail, salaire, taux d’encadrement, matériel scolaire- mais sur ce qu’ils ont appelé les avancées qualitatives, à savoir l’amélioration de l’efficacité des moyens alloués à l’enseignement. La réponse des pouvoirs publics est contenue dans un décret appelé « Décret missions ».

Le « tout à l’école ! » démagogique

Pour donner l’impression d’une revalorisation d’une profession qui n’avait plus la cote, ce décret cherche à mettre en scène à la fois la complexité et la beauté des missions de l’école : non seulement l’école est l’institution par laquelle tous les jeunes ont accès à l’instruction, aux savoirs, mais elle est aussi l’institution qui a pour mission d’éduquer et de socialiser tous les jeunes. L’école est au centre du dispositif et les enseignants sont ainsi reconnus, symboliquement, dans toute l’importance et la complexité de la tâche qui leur est confiée.

Le résultat de ce décret fut, en insistant sur le rôle d’éducation et de socialisation de l’école, d’en faire des tâches en plus, considérées comme distinctes. L’école devenait par décret la seule institution publique qui se voyait imposer la garantie de bonne fin concernant l’éducation et la socialisation de chaque génération de jeunes. Mais là où, devant un tel élan de générosité décrétale, on aurait pu attendre la mise en oeuvre de moyens nouveaux pour assurer ces tâches nouvelles, on ne vit rien venir.

Pour l’école, cela changeait tout. Là où les enseignants voulaient que les pouvoirs publics reconnaissent officiellement que l’Ecole contribuait aussi à l’éducation et à la socialisation des jeunes, ils se sont vu imposer ces missions en plus et les ont dès lors perçues comme distinctes des apprentissages. Dans un contexte de dévalorisation de leur profession, les enseignants ont vu ainsi se multiplier les attentes des parents, des élèves et des pouvoirs publics. Désormais, aucun fait social ne devait échapper à la compétence de l’école et, pour chacun d’eux, les enseignants étaient censés mettre en place des stratégies préventives, éducatives et répressives susceptibles d’apporter des solutions. Les drogues, l’individualisme, l’inégalité devant l’accès aux nouvelles technologies, le sida, la violence, le racisme, la montée de l’extrême droite, la surconsommation de télévision, les ravages de la publicité, la démotivation des jeunes, le commerce inéquitable, l’éducation à la citoyenneté, l’incompréhensibilité du monde... : tout pouvait être solutionné dans les établissements scolaires par une bonne éducation des jeunes. L’école était bien évidemment incapable de relever, seule et avec moins de moyens, l’ensemble de ces défis et la situation s’est donc détériorée dans les écoles.

La dualisation de l’école

La question de la violence dans les établissements scolaires a mis en évidence la dualisation de l’institution, cette dualisation a été confirmée par un rapport de l’OCDE qui a mis en évidence, derrière les mauvaises performances moyennes de nos élèves, des écarts énormes entre établissements dans l’acquisition des compétences scolaires, et le métier d’enseignant s’est à ce point disloqué et dévalorisé qu’il est devenu de plus en plus difficile de recruter des enseignants, créant une pénurie non seulement d’enseignants mais aussi de candidats aux études d’enseignants. Les conséquences de cette situation sont multiples, mais les plus importantes dans le cadre de cette réflexion sont de deux ordres : la dualisation accrue des établissements scolaires et le recul progressif des apprentissages dans les contenus scolaires.

D’une part des établissements parviennent, grâce à leur réputation sur le marché scolaire, à conserver un public scolaire comparable à celui d’avant la prolongation de la scolarité obligatoire, socialement et en terme de performances scolaires. Ces établissements continuent à centrer leur action sur les apprentissages, mais introduisent peu à peu, dans leur image sur le marché scolaire, des projets éducatifs ambitieux censés répondre aux attentes éducatives de la société. Ces projets contribuent par ailleurs à augmenter la concurrence entre les écoles. D’autre part, des établissements doivent accueillir les élèves qui sont relégués par les autres écoles, perdent peu à peu leur propre public, concentrent les problèmes des publics scolaires en difficulté et sont ainsi contraints d’axer leur action de plus en plus sur l’éducation et la socialisation, renonçant, de fait et malgré eux, au moins partiellement à assurer les apprentissages.

Les dangers du « tout à l’école ! »

L’école a, de tout temps, assuré l’éducation et la socialisation des classes d’âges qui lui étaient confiées. En effet, au travers des apprentissages, les jeunes pouvaient acquérir peu à peu à l’école les savoirs et les outils qui leur permettaient de se positionner dans la société. C’est en se basant sur les savoirs établis et en leur apprenant à analyser, critiquer et argumenter que l’école cherchait à former les générations successives. Bien sûr, l’école n’était pas à la pointe des savoirs chauds, en débat, et paraissait dès lors fort conservatrice, mais du moins donnait-elle une possibilité d’accès aux savoirs établis qui permettent de se positionner dans le débat.
Par contre, comme c’est le cas la plupart du temps dans les projets éducatifs, quand l’école donne aux élèves l’illusion de pouvoir s’exprimer d’emblée sur des savoirs chauds, sans avoir au préalable mis en place les savoirs établis sur lesquels repose le débat, seuls les élèves qui disposent dans leur environnement familial de ces éléments sont à la hauteur des attentes de l’école, disposent des outils qui permettent de donner l’illusion du savoir et seront en mesure de prendre part au débat. Les autres ne pensent plus, ils acceptent le formatage ou le rejettent, peu importe, mais restent en dehors du débat.

Dans ce contexte, l’éducation revient en fait à donner aux élèves une partie des arguments du débat, ceux qui plaident tous dans le sens qui a été fixé comme étant l’objectif à atteindre. Il s’agit moins de comprendre les enjeux du débat interculturel que de convaincre les élèves que le racisme, c’est mal ; il s’agit moins de comprendre les enjeux géopolitiques mondiaux que de convaincre que les pays en développement ont besoin d’aide ; et le reste est à l’avenant. Bien sûr, la plupart du temps, le formatage va dans un sens qui nous convient, ces démarches nous semblent dès lors légitimes et nous acceptons même d’y collaborer. Mais sans garantie de pérennité... Avec les mêmes techniques, on pourrait tout aussi bien tenter de convaincre du contraire, et c’est d’ailleurs le cas dans certaines classes et dans certaines écoles.

Quand l’école ne joue plus son rôle, quand les enseignants n’exercent plus leur métier, ce qui fait défaut est irremplaçable pour ceux qui ne peuvent compter que sur l’école pour le leur apporter et l’écart se creuse un peu plus entre les catégories sociales. Si les enseignants ont quelque chose d’essentiel à apporter en matière d’éducation, c’est bien l’apprentissage de l’ensemble des éléments qui permettent aujourd’hui à une personne de pouvoir affirmer une opinion en sachant pourquoi.

Education et socialisation

En s’engageant sur le terrain de la prévention et de l’éducation, outre qu’elle délaisse une fonction que personne d’autre n’est en mesure d’assumer pour l’ensemble des jeunes, l’école prétend agir en lieu et place de professionnels qui disposent, eux, des outils, de l’expérience et de la légitimité nécessaire. Quand une association antiraciste s’adresse aux jeunes, ceux-ci écoutent les arguments de militants antiracistes et le savent. Quand l’école fait la même chose, elle outrepasse ses droits et perd toute légitimité, y compris concernant les savoirs établis. En fait, le modèle globalisant des missions de l’école apparaît plus comme un renoncement des pouvoirs publics à assumer et financer collectivement la prise en charge globale de l’éducation et la socialisation auprès du secteur non marchand, en transférant la responsabilité, sans le financement, des conséquences de ce renoncement sur les enseignants. On refile le tout à l’école, sans le personnel, sans les compétences et sans les moyens financiers et en plus, cela la discrédite.

Le contexte des ONG

Dans le même temps et sur une ligne parallèle, alors que les écoles perdaient peu à peu la légitimité que pouvait lui donner la symbolique de l’institution -l’école démocratique comme instrument de promotion sociale-, les ONG perdaient la légitimité que leur donnaient leurs militants. Soutenue par une gauche engagée, leur action subissait certes les aléas des échéances électorales, mais ce qu’elles perdaient en moyens financiers quand la droite gagnait, elles le gagnaient en légitimité démocratique dans leur combat. Les ONG n’étaient pas de bons employeurs, mais, au moins, leur positionnement était clair.

Au moyen de bricolages institutionnels dans un premier temps, bénéficiant ensuite des sous emplois créés dans les plans de lutte contre le chômage, elles revendiquèrent ensuite la pérennisation des emplois créés et devinrent des possibilités de travail à temps plein pour leurs militants les plus assidus. Ce fut l’âge d’or des ONG. Ce qu’on faisait en plus du reste avec les moyens du bord, on put enfin le faire à temps plein et avec des moyens. Mais les ONG se préoccupèrent dès lors plus de construire des dossiers qui avaient les faveurs des pouvoirs publics afin de stabiliser les emplois et les subsides que de renouveler leur base militante et, de mouvements politiques organisés dans le but de tenter d’infléchir les politiques des pouvoirs publics, elles devinrent organisations « parapubliques », au point de former peu à peu un véritable secteur économique, inscrit dans les logiques politiques de l’Etat et fournissant un travail rémunéré à un nombre important de professionnels. Véritable filière d’orientation, voire de tremplin vers des carrières administratives ou politiques, le secteur non-marchand compte de moins en moins de militants et embauche de plus en plus sur des critères fixés par les pouvoirs publics plutôt qu’en fonction de l’engagement politique des candidats dans les causes qu’ils sont censés défendre.

La disparition progressive de la base militante a eu plusieurs conséquences. Le public spontané de ces associations, leurs désormais clients, a eu tendance à se révéler clairsemé, mettant les associations en concurrence les unes avec les autres sur des budgets de plus en plus étroits et diluant un peu plus l’aspect militant et politique de leur objet au profit d’un positionnement stratégique qui avait pour composantes la nécessité de se profiler correctement par rapport aux cahiers des charges des pouvoirs publics et la volonté de se positionner sur un marché le plus large possible, donc le moins marqué politiquement et le plus proche possible de ce qui est « à la mode ». Au lieu d’infléchir les politiques des pouvoirs publics, ces associations en deviennent au contraire les vecteurs. Dans ce contexte, la demande des écoles tombait à pic ! Quelle autre institution pouvait permettre aussi bien de rejoindre à la fois le cahier des charges des pouvoirs publics et le public jeune le plus large qui soit ?

Le consensus humanitaire

La boucle est bouclée. Les écoles ne forment pas des citoyens, elle éduquent les jeunes à la pensée consensuelle, mettant en scène une société entièrement dévouée au « quatre-quart » humanitaire. L’idéal du citoyen critique et engagé s’est transformé en modèle de citoyen responsable. Les mots en disent parfois plus qu’on ne le voudrait. De même, les associations ne militent plus, elles se positionnent sur des marchés et postulent pour des parts de budget public. Les revendications du secteur non-marchand se limitent de plus en plus à des revendications corporatistes axées sur les salaires et les conditions de travail, certes légitimes, mais néanmoins impuissantes à infléchir les politiques néo-libérales dans leurs domaines d’intervention. Il y a donc convergence d’intérêt entre les associations et l’école : retrouver son public et un mode de financement plus stable pour les associations ; profiter de l’aubaine pour se payer à peu de frais un encadrement complémentaire et crédibiliser à bon compte leurs projets éducatifs pour les écoles.

En fait, une simple opportunité de territoire. Si les associations et les pouvoirs publics se sont intéressés à l’école pour y mener leurs projets de prévention et d’éducation, ce n’était ni parce que techniquement elles étaient l’endroit idéal, ni parce que les enseignants étaient particulièrement qualifiés pour, mais uniquement parce que c’était le dernier endroit où on pouvait avec certitude rencontrer l’ensemble de la classe d’âge qui avait d’ailleurs l’obligation légale de s’y trouver.

Tout cela n’est guère encourageant. S’il ne faut parler que de l’éducation au développement, constatons qu’elle grenouille aujourd’hui dans tous les établissements scolaires sous forme de bons sentiments et de soutien au modèle du citoyen responsable, qui consomme, mais équitable, et qui s’engage, mais pour aider. Là où des associations étaient indésirables, elles sont à présent obligatoires et une part non négligeable du discours gauchiste sert aujourd’hui de liant consensuel. Le consensus humanitaire est devenu le fond de commerce commun d’animateurs d’ONG cherchant à stabiliser leur emploi et d’enseignants cherchant, pour leurs élèves, des occupations pas trop dévalorisantes sur le marché scolaire.

Dans ce contexte, l’éducation au développement, indépendamment de la qualité de ses formateurs et de leurs interventions, indépendamment même du contenu de ses interventions, est incapable de produire autre chose que le sentiment d’une récréation offerte par l’Etat à un public somme toute captif, au mieux déjà convaincu, le plus souvent indifférent, parfois même, on le serait à moins, furieux des tentatives de manipulation que constituent forcément des interventions ponctuelles dont les messages sont déjà formatés.

De leur côté, rares sont les enseignants qui dépassent le stade de la consommation d’animations clés en mains et exploitent les contenus de ces animations et les questions qu’elles soulèvent auprès de leurs élèves. Les animations des associations ne s’appuient pas sur les contenus de cours, mais les remplacent.

Altermondialisme et renouveau militant

Bien sûr, le portrait est forcé et nombreux sont ceux, enseignants comme associations, qui, conscients des travers du système, cultivent en eux le sentiment rassurant de l’utiliser à leurs propres fins. Mais on ne sortira de ces constats démobilisateurs qu’en tenant compte du contexte décrit ci-dessus. Il me semble pourtant que les ONG d’éducation au développement et les enseignants sont aujourd’hui en mesure de mettre sur pied des partenariats à moyen terme qui permettraient, d’une part aux enseignants de s’appuyer sur les contenus de leurs programmes pour relier l’éducation au développement à l’apprentissage de savoirs et d’outils qui soient en mesure de mettre les jeunes en position d’analyse critique du discours des ONG et, d’autre part aux ONG, de stabiliser leur financement sans renoncer totalement à leur projet politique.

Le mouvement altermondialiste a le mérite de poser à nouveau la question en termes de choix politiques. Les ONG et les enseignants doivent aujourd’hui faire un choix important : soit continuer à surfer sur la vague du « quatre-quart humanitaire », soit renouer avec un engagement politique et, ensemble, élaborer des outils et des contenus susceptibles de s’intégrer dans les apprentissages sur lesquels repose l’exercice d’une citoyenneté critique. En bref, renouer avec un engagement militant, tout en restant des professionnels. Il s’agit cependant moins d’une rupture avec les pouvoirs publics que de les prendre au mot puisque l’ensemble des contenus nécessaires sont inscrits dans les programmes et que, tant l’éducation à la citoyenneté que l’éducation au développement, sont inscrits dans les missions de l’école. Le plus difficile sera certainement d’apprendre à se connaître et à se respecter mutuellement, chacun aujourd’hui cherchant surtout à faire reposer sur l’autre les causes de l’échec évident de ce système.

Le contenu de ces partenariats est donc à négocier, en tenant compte, et donc en connaissant, les contraintes réciproques des partenaires, en évaluant régulièrement ces partenariats et en les faisant évoluer en conséquence. Il s’agira aussi de redéfinir le territoire des uns et des autres, les enseignants renouant avec leur métier en renonçant aux techniques et aux contenus des animations éducatives pour se consacrer pleinement aux apprentissages, les animateurs en différenciant clairement leurs interventions même si, par pure opportunité de territoire, elles prennent place dans les écoles. Les partenariats doivent donc prioritairement viser à redéfinir les rôles et les territoires des partenaires tout en reliant leurs interventions.

Organiser la complémentarité donc : entre, d’une part, des enseignants militants qui restent des enseignants et appuient les projets éducatifs sur les apprentissages des programmes scolaires, de préférence en équipes interdisciplinaires, et, d’autre part, des animateurs d’ONG qui rencontrent leur public cible sur le territoire de l’école, hors des cours, mais en coordination avec les apprentissages mis en place par les enseignants. Si éduquer sans instruire est un projet totalitaire, il est forcément aussi illusoire de croire que l’on peut faire de l’éducation au développement sans faire de la politique. Le tout est de ne pas préjuger de ce que les jeunes doivent en penser et de leur montrer clairement le caractère politique des contenus scolaires ou associatifs.