Mundilab, itinéraire d’un projet d’éducation au développement en Espagne

Mise en ligne: 21 septembre 2015

Mundilab a réussi à franchir les portes jusqu’alors inaccessibles des écoles, mais ce n’est pas pour autant la lampe d’Aladdin, par Gema Celorio et Miguel Argibay

La porte infranchissable

Une croissance spectaculaire du nombre d’ONG s’est produite en Espagne, aux environs de 1987. Jusqu’alors, c’était un secteur presque inconnu pour la plus grande part de la société espagnole. Dès le début, nombre de ces organisations, parmi lesquelles Hegoa, ont considéré qu’enseignants et étudiants étaient des groupes cibles en vue d’une sensibilisation sur les inégalités Nord-Sud et d’une formation sur les questions liées au développement, à la coopération et à la solidarité internationale.

Avec nos expositions, nos conférences et nos matériaux didactiques, vidéos, livres et autres jeux, nous prétendions accéder au milieu scolaire. Notre enthousiasme et le poids de notre message n’arrivaient néanmoins qu’à des enseignants pris individuellement. Nos grands efforts pour diffuser la « bonne nouvelle » de la solidarité Nord-Sud trouvaient à peine un écho dans les écoles. Nous n’avons pas su comprendre que ce qui pour nous était habituel constituait un terrain absolument inconnu pour 99 % des enseignants.

La réforme éducative commencée dans les années nonante fut, pour les ONG, un espoir pour avoir une clé d’accès à l’enseignement formel. Ce nouveau scénario semblait être plus favorable : les ONG étaient plus visibles et la réforme rapprochait les intérêts des ONG et ceux des enseignants en donnant un même statut aux formations en matière de valeurs qu’à celles qui traitaient des matières académiques habituelles.

En théorie, des instituteurs et des enseignants devaient transmettre des valeurs issues de l’éducation à la paix et aux droits de l’homme, de la co-éducation ou de l’égalité d’opportunités entre hommes et femmes, de l’éducation à l’environnement… Cela fut une aide précieuse qui a permis d’éveiller l’intérêt des enseignants pour cette démarche et pour collaborer avec les ONG. Notre présence dans les écoles, l’impact de nos messages, de nos outils et de nos propositions pédagogiques continuaient cependant à être davantage un mirage qu’une réalité.

Sans clé ni autorisation pour entrer, nous continuions devant les portes de l’éducation formelle à distribuer des tracts ou des matériaux qui disparaissaient derrière ces mêmes portes, inaccessibles pour nous, sans que nous puissions savoir quel sort était réservé à nos propositions. Nous avons pu, malgré tout, pendant cette période, identifier les éléments qui rendaient difficile la collaboration entre les centres d’enseignement et les ONG.

Les engorgements se produisaient dans les différences de rythme et de priorités des uns et des autres. Les ONG organisent leurs messages en marge des programmes scolaires. Souvent, elles privilégient le message solidaire sur les formes et les méthodes pédagogiques. Les thèmes, les informations intéressantes et les matériaux étaient diffusés quand cela convenait aux ONG sans tenir compte si le moment était aussi opportun pour les écoles.

Les enseignants, pour leur part, s’en tenaient aux programmes et pensaient que les valeurs ou les lignes transversales se trouvaient en dehors de ceux-ci. Valeurs et travail transversal exigent un double effort et dupliquent les contenus et le temps de préparation et de développement. Les propositions des ONG arrivaient au beau milieu des périodes d’évaluation ou alors étaient si abondantes et diversifiées qu’elles accablaient les enseignants qui finissaient par oublier ces matériaux dans un étalage quelconque.

Et, même si cela semble contradictoire avec ce qui vient d’être dit, les écoles continuaient d’ignorer l’existence des ONG, leurs objectifs et leurs propositions pédagogiques. Nombre d’enseignants se plaignaient du manque d’outils sans savoir que ceux-ci existent en abondance. Ceux qui connaissaient les ONG affirmaient que les matériaux existaient mais qu’ils se trouvaient un peu partout et étaient difficilement localisables. D’autres encore demandaient un matériel et des thématiques plus proches du programme qu’ils devaient développer. Il est frappant de voir combien deux collectifs —centres d’enseignement et ONG— qui ont des objectifs et une démarche commune rencontraient autant de difficultés pour se concerter !

La clé maîtresse

Entre 1995 et 1997, après moult réunions avec des ONG et des responsables d’établissements scolaires, nous nous sommes rendus compte des obstacles qui empêchaient la collaboration fluide entre écoles et ONG. Nous avons compris que pour que les enseignants n’aient plus de craintes et gèrent au mieux les propositions des ONG, les méthodes, les contenus et les matériaux pédagogiques, c’est eux qui devaient avoir le contrôle de la démarche. Nous, les ONG, nous devons nous mettre à leur disposition et non l’inverse.

Nous avons délimité une aula spéciale pouvant être installée et gérée dans les écoles et qui, grâce à ses conditions techniques, documentaires et pédagogiques, faciliterait la pratique de l’éducation au développement. A cette aula laboratoire nous avons donné le nom de Mundilab.

Mundilab a été conçu comme un projet éducatif intégral qui comprenait la passation d’accords préalables avec des institutions publiques, avec la direction de chaque école et la création d’un espace spécifique et d’un mobilier ad hoc. Il devait être doté de différentes ressources techniques, documentaires et pédagogiques, comme un magnétoscope, un ordinateur connecté à internet, un projecteur, des livres, des vidéos et des cédéroms, des fiches, des cartes, des puzzles, des graphiques… Il fallait aussi une sensibilisation des enseignants, une participation des ONG et des associations, et également assurer un suivi de l’expérience.

Il a fallu faire du lobbying pour obtenir le feu vert et l’appui de différentes institutions de l’enseignement ou liées à la coopération internationale, comme la Commission européenne, la Direction de coopération et le Département d’éducation du Gouvernement régional basque, des administrations communales… Et finalement, ce fut le Département d’éducation régionale lui-même qui a suggéré dans quelles écoles on devait installer ces aulas expérimentales.

Six écoles ont participé à la première étape expérimentale. Le projet devait compter sur l’appui explicite de la direction du centre scolaire. Chaque école a désigné une personne chargée de faire la coordination et de dynamiser le projet. Il fallait aussi l’investissement d’au minimum quatre enseignants pour couvrir le programme. Nous essayions de dépasser le cadre des initiatives individuelles des enseignants pour arriver à un investissement de l’ensemble du corps enseignant.

Une personne spécialisée en gestion et coordination fut libérée par le Département d’éducation et mise en renfort d’Hegoa dans le travail de coordination avec les écoles. L’aula Mundilab fut appuyée financièrement par la Direction de coopération du Gouvernement régional basque et par la Commission européenne, ce qui a permis une dépense de 12 mille euros par aula.

Les écoles ouvraient leurs portes pour l’installation d’une aula dans laquelle des lignes transversales et des valeurs autant que des contenus programmatiques et académiques pouvaient être travaillés. Pour ce qui est des contenus et des messages, chaque école s’est engagée à demander la collaboration d’ONG pour le développement des nouveaux projets éducatifs reliés à Mundilab. Cette clé maîtresse ouvrait une porte aux enseignants pour qu’ils abordent la pratique de l’éducation au développement ainsi qu’elle ouvrait une autre porte aux ONG pour qu’elles puissent participer directement ou indirectement dans le processus éducatif.

La première année, les laboratoires ont été installés, les cours de formations ont été réalisés et on a essayé de familiariser l’équipe de chaque école à l’utilisation du laboratoire. Lors de la seconde année, le moment de l’expérimentation est venu lorsque élèves et enseignants ont commencé à travailler d’une manière différente. De même, certains des projets élaborés dans chaque école ont été systématisés.

Les expectatives de croissance prévoyaient de doubler le groupe initial. Dans le cas de l’enseignement primaire, elles se sont largement réalisées. Bientôt, le projet a pu impliquer l’ensemble du corps enseignant. Si, au début, Mundilab comptait sur cinq enseignants dans chaque école, deux années plus tard leur nombre était passé à plus de quarante. Cela veut dire que la plupart de leurs quatre cents élèves, dans chaque école, ont travaillé à Mundilab sur des thèmes d’éducation au développement. Dans le secondaire, les chiffres ont triplé voire quadruplé, dans la plupart des cas, en passant de cinq à quinze ou vingt enseignants, ce qui représentait 150 à 200 élèves par établissement.

Dans les années suivantes, d’autres écoles sont venues s’ajouter jusqu’à atteindre le chiffre de 17 dans l’année 2002-2003. Plus de la moitié de ces écoles travaillent depuis plus de quatre ans dans le projet. Dans chaque école secondaire, le projet couvre plus de quarante enseignants et plus de 400 étudiants. En primaire, les chiffres sont semblables, mais impliquent toutefois l’ensemble des élèves et des enseignants de chaque école.

Après une journée de vulgarisation du programme Mundilab, plus de trente demandes d’adhésion ont été enregistrées, venant des écoles qui voulaient reproduire une aula ayant les mêmes caractéristiques que Mundilab, ou, à tout le moins, utiliser les méthodes participatives d’apprentissage et d’enseignement et aborder la formation aux valeurs comme le fait Mundilab. La clé maîtresse avait bien fonctionné !

La lampe d’Aladdin

Mundilab est donc une clé maîtresse mais pas la lampe d’Aladdin. Nos vœux ne sont pas exaucés du seul fait de la frotter. Parmi les projets d’éducation au développement mis en œuvre dans son cadre il y a un peu de tout, comme pour le fromage belge. Les uns sont approfondis, bien structurés et puissants. D’autres sont plus simples. Certains se développent bien et atteignent leurs objectifs, d’autres ont du mal à prendre.

A Hegoa, nous avons cru nécessaire de compter sur une évaluation du projet et nous avons proposé qu’elle soit faite par la Direction d’innovation pédagogique du département d’éducation du gouvernement régional basque. Ses résultats ont été présentés en 2003. Par ailleurs, la branche basque de l’Unesco ainsi que la coordination des ONG basques ont fait un rapport sur l’éducation au développement, présenté en 2004, dans lequel, entre autres initiatives, elles ont soulevé le saut qualitatif que Mundilab a représenté dans le cadre des pratiques d’éducation au développement. D’après ces deux rapports, Mundilab a répondu à presque tous les obstacles identifiés dans le diagnostique :

  • Il garantit la continuité de l’éducation au développement. Il y a un engagement de la part de la direction et du corps enseignant. L’aula reste pour toujours dans les écoles.
  • On dispose de temps et d’espace pour la formation des enseignants.
  • Nombre de ressources pour la pratique de l’éducation au développement sont concentrés dans un même espace.
  • Les enseignants peuvent expérimenter de nouvelles méthodes participatives sans se sentir forcés à changer brusquement.
  • Les enseignants peuvent expérimenter le travail interdisciplinaire.
  • La gestion du laboratoire Mundilab permet de rendre optimale la gestion des agendas et des calendriers des écoles et des ONG.
  • Les matériaux et les propositions d’éducation au développement des ONG peuvent être recueillis et utilisés de manière efficace dans un même espace.
  • Les enseignants entrent en contact avec les ONG et autres mouvements sociaux.
  • Chaque école produit plusieurs programmations d’activités d’éducation au développement par an.
  • Les étudiants apprennent à contraster des informations, à rechercher, à interpréter, à être critiques, à mettre en doute, à collaborer, à utiliser des nouvelles technologies, à réfléchir en termes de valeurs.
  • Pour les jeunes, Mundilab est stimulant, intéressant, différent.

    Avec ce projet, nous avons réussi à entrer dans les écoles et à rendre plus fluide la relation entre celles-ci et les ONG
    . D’après les réunions organisées avec les enseignants, d’après les visites en classe, il semblait que Mundilab avait résolu certaines des difficultés de relation entre écoles et ONG, ainsi que celles liées à la pratique de l’éducation au développement au sein de l’éducation formelle. Maintenant, la difficulté consiste à normaliser et à étendre cette modalité de travail. Dans ce dessein, les institutions devraient continuer à appuyer ce type de projet, ce qui semble improbable. Malgré l’évaluation positive faite par le département d’éducation du gouvernement régional basque, aussi bien l’éducation au développement que la formation aux valeurs n’est toujours pas une priorité pour les autorités de l’enseignement. On aura beau frotter et frotter la lampe, si le génie fait la sourde oreille à nos propositions… Gema Celorio et Miguel Argibay sont responsables d’éducation au développement à Hegoa, au Pays basque espagnol