Portrait de l’éducation au développement dans un cadre scolaire

Mise en ligne: 8 février 2007

Synthèse des travaux de l’Université européenne en éducation au développement sur école et éducation au dépeloppement, par Adélie Miguel Sierra

Dans le cadre d’un projet européen d’échanges en matière d’éducation au développement (DEEEP), la Plateforme des ONG portugaises a organisé en 2003 la cinquième université européenne à destination des animateurs en éducation au développement sur le thème « Education au développement et milieu scolaire ».

Cent vingt participants d’organisations d’Europe de l’Ouest, de nouveaux pays adhérents et de pays du Sud ont partagé, pendant une semaine, leurs expériences, analyses, méthodes, évaluations et questionnements afin d’améliorer et de renforcer les collaborations entre les acteurs de l’éducation formelle et ceux de l’éducation non formelle.

ITECO a été chargée de la mission périlleuse, mais passionnante, de présenter une synthèse transversale des différentes productions élaborées par l’ensemble des participants.

Je comparerais cette synthèse à une photo. Lorsqu’on prend une photo d’un paysage, on obtient une image partielle de celui-ci ; un autre photographe pourrait capter un autre angle de vue, d’autres éléments du paysage. Le profil du photographe détermine aussi la qualité de la photo, de ses couleurs, de son format. De plus, le paysage ne reste pas figé, il évolue, se transforme : un même arbre est différent au printemps et en hiver. Donc la photo fige à un moment donné une situation en évolution constante. Certaines personnes n’aiment pas être prises en photo, d’autres courent pour se placer au centre de l’image. Une fois la photo réalisée, on peut l’oublier dans un tiroir, l’archiver dans un album, la montrer à sa famille et amis. On peut aussi revenir, quelque temps plus tard, sur le lieu de prise de vue et refaire des nouvelles photos actualisées.

Eléments contextuels

Réfléchir à l’articulation entre éducation au développement et milieu scolaire exige une analyse préalable du système scolaire, des acteurs qui y sont impliqués et des missions qui leurs sont attribuées, et ce dans un contexte de mondialisation qui est soumis à une pensée et des choix dominants.

Le mouvement pédagogique belge Changements pour l’égalité -CGé-, anciennement Confédération générale des enseignants, intégrant dans son travail depuis de nombreuses années ces questionnements, nous propose un cadre d’analyse [1]. En voici quelques axes : Les acteurs de l’école, à l’origine d’interactions conflictuelles multiples.

Les acteurs de l’école ne se réduisent pas aux seules personnes présentes de façon permanente sur le terrain, à savoir élèves, enseignants et éducateurs, directeurs. Aujourd’hui, plus que jamais, les entreprises, le monde associatif, les parents et d’autres estiment avoir leur mot à dire sur les contenus et les méthodes de l’apprentissage ainsi que sur l’organisation de cette entreprise -encore publique- et la qualité de ses produits. Il existe différents acteurs qui sont intéressés par l’un ou l’autre aspect du monde scolaire et qui essaient d’influencer l’évolution de l’école. Celle-ci se situe donc au coeur d’interactions conflictuelles et est le résultat de pressions multiples et diverses.

L’école, au carrefour des champs économique, social, culturel et politique : Toute société doit produire, faire de la richesse et être efficace (champ économique), être unie et faire du lien - champ social, être juste, donner du sens et défendre des valeurs d’égalité, de tolérance (champ culturel) être organisée et faire de la loi (champ politique).

L’école se trouve à l’intersection de ces champs qui ont chacun une attente précise par rapport à celle-ci : instruire et produire des travailleurs compétents et compétitifs est l’attente du monde économique ; socialiser et former des citoyens solidaires et responsables est le souci des ONG, des associations sociales et politiques ; éduquer et conduire à la pleine réalisation de la personne est porté par les médias, les associations familiales et le secteur culturel.

Les quatre grandes missions de l’école reflètent ces attentes multiples et contradictoires de la société par rapport à l’école :

  • « Promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves » est l’expression de la préoccupation du champ culturel.
  • « Amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle » est une préoccupation qui relève du champ économique.
  • « Préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures » est l’expression de l’attente du champ social.
  • « Assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale » exprime une volonté de tendre vers l’équité.

L’école est ainsi de plus en plus tiraillée entre ces différents acteurs. Ceux qui se situent dans la logique de la mondialisation et de la pensée unique attendent de l’école plus de stratégie de distinction et de compétitivité. Et ceux qui pressentent l’urgence d’une réaction internationale proposent que l’école soit le lieu d’une prise de conscience de la citoyenneté mondiale dans toutes ses composantes.

Ainsi, les enseignants se trouvent confrontés à des injonctions contradictoires :

Faire réussir tout le monde ou sélectionner ? Réparer la société ou préparer à la société ?

En tenant compte de ces éléments contextuels, les participants de l’Université européenne d’été ont proposé différents niveaux de réflexion et de recommandations.

Quelle vision du monde et du développement défendons-nous ? La question du développement n’est pas neutre. Le type de société pour lequel nous nous battons doit être en permanence discuté au sein de notre entourage, de nos organisations, entre mouvements sociaux du toute la planète.

Nous voulons contribuer à la construction d’une société qui vise une répartition équitable des ressources qui favorise aussi la participation et la prise de décisions de l’ensemble des populations. Cela suppose une reconnaissance de la diversité comme source de richesse, des rapports entre femmes et hommes équitables, une prise en compte de notre environnement de manière durable. Tout en tenant compte de la diversité, nous souhaitons aussi contribuer à la consolidation d’une identité commune des citoyens basée sur la co-responsabilité, l’analyse critique et la solidarité.

Quelle éducation pour quel développement ?

Nous prônons une éducation pour le développement, qui vise la transformation sociale, sur le développement, qui met à la portée des citoyens des instruments d’analyse des mécanisme à l’oeuvre dans la société, comme développement, qui favorise la participation et le bien-être des populations.

C’est une éducation qui

  • Dénonce les injustices sociales.
  • Propose une approche interculturelle basée sur le respect des différences et le renforcement des capacités des individus et des groupes sociaux.
  • Vise un développement durable (le modèle dominant actuel détruit la démocratie, la justice et l’environnement dans le monde).

C’est une éducation qui propose des processus d’apprentissage qui

  • Favorisent la participation des gens.
  • Diversifient les méthodes d’apprentissage afin de tenir compte de la diversité des modes.
  • Partent des réalités des personnes tout en les articulant avec la complexité du monde.
  • Favorisent l’esprit critique.
  • Favorisent l’action.

C’est une éducation qui se veut une espace permanent en évolution grâce a la mise en place d’une démarche d’évaluation, de suivi et de systématisation des pratiques et des processus.

Comment bousculer les systèmes d’éducation formelle ? Malgré nos contextes spécifiques, nous constatons que les systèmes éducatifs formels ne favorisent pas l’émergence d’une citoyenneté critique, responsable et solidaire.

Les ONG en partenariat avec d’autres acteurs, internes au système ou externes, doivent mettre en place des stratégies de lobbying pour accompagner et provoquer à moyen terme des changements structurels.

A court terme, les ONG peuvent et doivent valoriser la plus-value de l’éducation au développement dans les structures existantes -décideurs, autorités éducatives, programmes scolaires.

Comment accompagner les établissements scolaires ?

Une des stratégies est de provoquer des changements au sein même des écoles. Cela exige de la part des ONG :

  • L’identification de l’ensemble des acteurs impliqués.
  • L’écoute et l’analyse de leurs besoins et attentes.
  • La prise en compte de leurs contraintes et potentialités.
  • Une stratégie claire.
  • Une flexibilité dans la planification.
  • Une ouverture a la communication et au dialogue.
  • De l’humilité.
  • De tenir compte des points de vue des acteurs, en particulier celui des enseignants.
  • De la cohérence entre notre discours et notre pratique.

Nous devons être conscients que le changement

  • est une question d’apprentissage,
  • est un processus (pas un événement),
  • prend du temps,
  • provoque des remises en question
  • peut être douloureux.

Acteurs du processus éducatif en milieu scolaire, les élèves et les enseignants sont les principaux protagonistes du processus. Ils doivent participer aux prises de décision et dans la mise en oeuvre des actions. Les ONG ont pour rôle de soutenir et d’accompagner les enseignants qui développent des projets dans leurs écoles. Elles ne doivent pas se substituer à eux.

Il faut donc

  • Créer des espaces de dialogue.
  • Etablir des partenariats et des projets sur le long terme (ne pas favoriser des interventions ponctuelles).
  • Construire en commun des activités qui suscitent des changements de valeur, qui s’ouvrent à de nouvelles connaissances et qui amènent de nouvelles aptitudes.
  • Démontrer que l’éducation au développement n’est pas une nouvelle discipline mais qu’elle est transversale à l’ensemble du curriculum.
  • Travailler sur les représentations que nous avons des autres, plus particulièrement celles que nous avons sur les minorités et les exclus.
  • Proposer des ressources pédagogiques de qualité qui s’intègrent dans un processus plus large (les outils soutiennent l’action éducative et pas l’inverse).

L’ensemble des acteurs scolaires -décideurs, parents, directions- doivent être impliqués dans les processus de changement de l’école, notre rôle est de les motiver et de le mobiliser à travers des espace de dialogue.

L’ évaluation pour évoluer

L’évaluation doit s’inscrire dans nos pratiques de manière permanente. Elle vise leur amélioration et facilite l’échange de nos apprentissages. Elle n’est pas considérée comme un contrôle mais bien comme un outil de formation.

Mise en place de travail en partenariat. Nous devons développer des collaborations entre les autorités éducatives, les décideurs politiques, les ONG, les familles et les écoles. Afin d’appuyer des processus de changement dans les écoles et d’amener, dans leur sein, de contenus, des méthodes et des outils qui abordent la problématique du développement ; ces partenariats doivent se construire autour d’une identité forte tout en restant ouverts à d’autres acteurs potentiels.

Sur le plan international, nous encourageons la mise en place de partenariats entre ONG du Nord et du Sud afin d’échanger et d’apprendre des expériences menées en milieu scolaire dans différentes pays et de construire des stratégies collectives de changement.

Lors de l’Université européenne d’été différentes propositions concrètes ont émergé afin d’opérationnaliser l’ensemble de ces recommandations en tenant compte des ressources pédagogiques, humaines et financières nécessaires. Si nous voulons poursuivre un travail de qualité ces ressources devront, à l’avenir, être consolidées. Les défis sont importants, mais nous constatons aussi une grande volonté de la part des éducateurs du monde scolaire et du monde des ONG de décloisonner les espaces afin de se renforcer mutuellement.

Grâce à l’admirable accueil des ONG portugaises, nous avons pu, éducateurs d’horizons divers, renforcer nos utopies tout en élaborant des stratégies concrètes de collaborations.

[1Extrait de la fiche du RED « L’éducation au développement en milieu scolaire : quelles pratiques aujourd’hui ? ».