Déconstruire stéréotypes et clichés

Mise en ligne: 1er décembre 2016

...est-ce faire de l’éducation au développement ?, propos de Fabienne Richard recueillis par Seydou Sarr

Fabienne Richard, vous êtes directrice du Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles. Est-ce que votre travail pour le respect des droits humains permet de penser que vous faites de l’éducation au développement ?

Nous pensons effectivement faire de l’éducation au développement, si on se fonde sur la définition qui en est donnée. Nous travaillons sur la question de l’excision et des mutilations génitales féminines en général, sans oublier les violences de genre. Mais mis à part le gros volet qui est l’accompagnement spécifique des femmes excisées et des petites filles à risque, nous avons aussi une démarche de sensibilisation dans les écoles et en direction du grand public. Dans cette approche, notre volonté est surtout de déconstruire les stéréotypes autour de l’excision. Le constat est qu’il y a beaucoup de racisme de la part de personnes qui traitent très souvent les parents, en majorité des Africains, de barbares, parce qu’ils ont excisé leurs enfants. Il y a tout un amalgame entre culture, religion et race, qui renvoie l’image d’une Afrique barbare, où la pratique de l’excision est un acte ordinaire et banal. Nous pensons que pour mieux lutter contre l’excision, il faut aussi expliquer d’où cette pratique vient et pourquoi elle perdure. Ce volet pédagogique et de sensibilisation occupe une place importante dans notre démarche envers le public belge et européen.

Déconstruire les clichés va de pair avec le développement de l’esprit critique. Tout n’est pas mauvais ailleurs et tout n’est pas parfait ici. Je citerais comme exemple la réaction de femmes migrantes choquées par la façon dont les personnes âgées sont « déposées » et traitées dans les maisons de repos en Europe. Venant d’une culture où les parents et grands-parents sont pris en charge en famille jusqu’à leur mort, ces femmes ne comprennent pas et trouvent cela inadmissible. C’est sur des éléments comme ceux-ci que nous essayons de développer un esprit critique, sur les autres, mais aussi sur nous-mêmes.

Un deuxième point sur lequel nous travaillons et qui se rapproche de l’éducation au développement, c’est le rôle de la diaspora dans le développement des pays d’origine. En ce qui concerne notre champ d’action, notre travail sur l’excision concerne surtout les pays de l’Afrique sub-saharienne. Nous pensons qu’il est important de mettre en valeur cette diaspora et encourager la participation des migrants au développement de leurs communautés d’origine.

Vous travaillez beaucoup avec des migrants installés en Belgique. Quel rôle attribuez-vous à cette diaspora dans le domaine qui vous concerne ?

Nous pensons que les ressources humaines et matérielles de la diaspora doivent être davantage prises en compte. Sur la thématique de l’excision, la contribution des migrants est essentielle pour comprendre la culture et les rouages de la société. C’est d’ailleurs dans ce sens que nous avons mis en œuvre un projet au Sud du Sénégal. L’objectif de ce projet n’est pas seulement de maintenir les liens entre la communauté peule de cette région et ses ressortissants vivant en Belgique, mais aussi d’ouvrir un dialogue constructif sur les coutumes et pratiques qui posent problème, comme l’excision, par exemple. Par le biais de lettres vidéo filmées, les uns et les autres échangent leurs points de vue sur ce qui pourrait contribuer au développement de leurs communautés. Les migrants ayant beaucoup appris de leur pays d’accueil, un pont s’est créé entre le Nord et le Sud, avec les migrants comme interface culturelle.

Nous avons des collègues français de l’association Equilibres et populations, qui travaillent aussi sur la question de l’excision, en collaboration avec la diaspora malienne. Ils ont réalisé un projet très intéressant avec des Maliens de la région parisienne, qui ont participé au tournage d’une série de films sur l’abandon de l’excision dans des villes et villages du Mali, notamment à Kayes. Les films ont été ramenés à Paris et servent de support pour la sensibilisation sur l’excision. Cet exemple montre bien qu’on peut casser les clichés et comprendre que ce qui est bien ne vient pas toujours du Nord. Dans ce cas-ci, on voit bien qu’en matière de lutte contre l’excision, les choses avancent aussi au Mali et que parfois c’est la diaspora qui peut être la plus attachée à la pratique, malgré un cadre législatif et judiciaire qui l’interdit, car les familles migrantes craignent que les filles nées en Europe ne pourront plus se marier avec un homme du pays si elles ne sont pas excisées. C’est aussi la preuve que même dans le contexte très local et communautaire des villages, les choses bougent dans le sens du changement dans les pratiques coutumières.

Vous avez évoqué des lettres vidéo filmées. De quoi s’agit-il exactement ?

L’idée de lettres vidéo filmées nous a été conseillée par le Sireas, une association qui travaille en Belgique avec des migrants sur la prévention du sida. L’expérience a fait ses preuves comme mode d’expression sur ce sujet très délicat à aborder, que ce soit avec des migrants ou avec des Belges ou des ressortissants européens. Sur des questions aussi sensibles que l’excision ou le sida, la caméra permet de libérer la parole.

Nous avons donc emprunté cette démarche pour avoir des échanges et des témoignages sur la pratique de l’excision dans la communauté peule du Sud du Sénégal. Des petits films débats ont été réalisés ici en Belgique et à Vélingara au Sénégal.

Le face-à-face est plus facile à mettre en place, étant donné que le dialogue est virtuel et différé. Nous avons été agréablement surpris par la sérénité, l’engagement et la détermination des femmes qui ont témoigné sur leurs cas personnels, expliquant, sans détour et sans hésitation, les aspects les plus profonds et les plus intimes de ce qu’elles ont vécu.

Les témoignages filmés de migrantes excisées, qui n’ont pris conscience de leur situation qu’avec l’émigration, ont eu un effet certain sur celles qui sont restées au village. Les réactions, elles aussi filmées, de villageoises avouant les drames vécus à cause des mutilations génitales, montrent que le dialogue peut contribuer à lever les tabous sur la question.

A quels publics vous adressez-vous quand vous faites de la sensibilisation sur les mutilations génitales féminines ?

Nous intervenons régulièrement dans les écoles secondaires mais cette année, nous avons aussi visité une classe de dernière année primaire. Dans ce cas précis, les deux animateurs, un homme et une femme, ont utilisé comme support, le conte raconté aux enfants. Avec un public de cet âge-là, il faut en effet éviter d’aborder un sujet aussi sensible de manière frontale.

Nous avons aussi comme autre support, la bande dessinée Diariatou face à la tradition, toujours en direction des écoles. Avec des pages pédagogiques à la fin de la BD. Un outil pour les enseignants qui peut ainsi prolonger et approfondir le sujet avec les enfants.

Nos actions sont également tournées vers d’autres publics comme les professionnels de la santé, du secteur social, juridique ou judiciaire. On voudrait bien toucher d’autres publics, dont notamment les acteurs et actrices du développement et de la coopération au développement. Plusieurs des pays africains concernés par l’excision figurent parmi les pays prioritaires de la coopération technique belge. En Afrique de l’ouest en particulier, il y a beaucoup à faire pour la lutte contre l’excision et les mutilations génitales féminines. Quand on constate que la prévalence en Guinée Conakry est de 97% de femmes, on se dit que cette problématique devrait interpeler les acteurs de la coopération belge. Bien souvent, quand il y a un projet à mettre en œuvre, les appels à manifestation d’intérêt se font dans des délais très courts, qui ne permettent pas de faire des propositions bien étudiées et évaluées. C’était le cas en mai 2016 quand il a fallu, en quinze jours, faire des propositions sur ce qui pouvait être fait dans le domaine de la santé de la reproduction au Burkina Faso. Malgré notre expertise dans ce domaine et notre expérience sur le terrain dans ce pays (j’y ai personnellement travaillé pendant quelques années en tant que sage-femme), nous ne nous sommes pas sentis en mesure de présenter un dossier de qualité en si peu de temps, pour une action aussi importante.

Votre travail comporte également un important volet éducation ?

Le projet Vélingara au Sénégal, que je viens de mentionner, ne concerne pas que la lutte contre l’excision. Il y a aussi un important volet sur l’éducation, d’où d’ailleurs sa dénomination, le Pacte pour l’éducation. Nous estimons que le meilleur déterminant à long terme pour la santé, l’autonomie et l’indépendance financière des femmes, c’est la scolarisation, et le plus loin possible dans les différents cycles de l’école. L’école, c’est le meilleur cadeau qu’on puisse faire à une jeune fille, à tout enfant d’ailleurs.

Le projet a donc un double objectif : la scolarisation et la lutte contre l’excision et les mariages forcés ou précoces. L’initiative a été accueillie de façon positive dans les villages bénéficiaires. Ce qui est bien, c’est que parents et enseignants acceptent d’en faire une priorité.

La mise en œuvre du projet montre que l’action touche à différentes problématiques : l’éducation, la lutte contre la pauvreté, la santé reproductive (les mutilations génitales féminines peuvent avoir des conséquences graves dans le domaine de la reproduction), les inégalités de genre. Autant de questions qui figurent parmi les priorités définies dans les Objectifs du développement durable. Ce cas montre bien que nous avons encore beaucoup à faire en matière d’éducation au développement.

Dans le cadre de vos activités, vous organisez aussi des formations ? Ont-elles un rapport avec l’éducation au développement ?

Les formations et rencontres-débats que nous organisons se limitent à nos thématiques qui sont les mutilations génitales et les violences de genre en général. Nous n’avons jamais organisé de formations qui n’avaient pas un lien avec les violences faites aux femmes ou les questions d’égalité entre hommes et femmes. C’est dans la manière de présenter le sujet qu’on inclut le volet Nord-Sud et qu’on explique les enjeux de la lutte contre ces mutilations et les avancées dans ce domaine.