Un projet d’insertion qui traite lui-même de l’insertion des personnes d’origine étrangère, par Vincent Stevaux
Paola Guillén Mercado, vous êtes formatrice et animatrice chez Dora dores, à Huy. Faites-vous de l’éducation au développement ?
Je crois que oui, parce que ce que je comprends de l’éducation au développement est qu’elle cherche à changer le regard que portent les gens du Nord sur les réalités du Sud. Grâce à nos projets, nous cherchons à provoquer un changement de perspective de la part de gens à qui ils sont destinés sur la situation des migrants, situation que la majorité des habitants de Huy ignorent.
C’est un projet qui cherche à provoquer du changement social et je crois qu’il correspond à la perspective de l’éducation au développement. Ceci dit, à Dora dores, on ne parle pas d’éducation au développement, on parle surtout de projets, comme celui de l’école des devoirs, où on parle de citoyenneté et de la réalité des enfants d’autres nationalités afin de mieux se comprendre.
Dora dores est une toute petite association et la majorité du travail est faite par des volontaires. Si je parle à la coordinatrice d’éducation au développement, elle sera sans doute surprise et ne pensera certainement pas que son action peut s’inscrire dans un concept comme celui de l’éducation au développement.
Dora dores travaille avec des personnes d’origine étrangère. Nous offrons toute une série de services : assistance sociale et juridique, cours de français (basiques, moyens et avancés) mais également des accompagnements à des personnes qui développent des projets d’insertion socio-professionnelle.
Mon projet s’inscrit dans cette dernière catégorie puisqu’il constitue pour moi un projet d’insertion professionnelle, et qu’en plus, cerise sur le gâteau, il traite lui-même de la problématique de l’insertion socio-professionnelle des personnes d’origine étrangère. Il consiste en fait à faire des portraits de vie et à récolter les récits de vie des migrants, que l’on va associer dans une exposition avec leur portraits photographiques ou vidéo.
Au début, mon projet ne plaisait pas beaucoup et j’ai mis presque deux ans à trouver un espace où le monter et un financement, pour le matériel, pas pour mon travail. Avec la crise des migrants, la ville de Huy a finalement montré de l’intérêt. Elle finance les photos et m’offre un espace au centre culturel pour interpeller les visiteurs provenant de Huy et des environs sur la thématique des migrants et leur difficulté à s’intégrer socialement et professionnellement. Je travaille, via les contenus de l’exposition, les préjugés et la discrimination que les migrants vivent chaque jour dans leur insertion socio-professionnelle à Huy.
Pourquoi suivez-vous cette démarche ?
Avec ce projet d’exposition sur les migrants et leur réalité, on cherche à provoquer un changement social sur un thème spécifique. En parlant des migrants et de leur insertion socio-professionnelle, on veut changer le regard que les gens de Huy portent sur eux, casser leurs préjugés. Pour ça, il faut parler de la problématique, la rendre visible, mais aussi montrer que derrière les migrants, il y a d’abord et avant tout des gens comme vous et moi, comme eux. Nous invitons d’ailleurs à l’exposition les collèges et les écoles, ainsi que la population de Huy, pour essayer de toucher le plus de gens possible. On fait beaucoup de publicité et on espère générer de la solidarité parce que derrière chaque migrant il y a un bagage personnel, une histoire riche d’enseignements que tout le monde ignore.
Comment vous y prenez-vous ?
On utilise des photos des migrants accompagnées de récits de vie composés d’éléments qui montrent la personne et son chemin personnel et professionnel. Je suis X, ma profession est Y, voilà ce que je fais aujourd’hui ici et pourquoi je ne peux pas faire ce pour quoi je suis formé. Afin de déconstruire les préjugés, on doit faire que les visiteurs entrent dans l’intimité de la personne et de son parcours. Une fois que c’est fait, on génère le plus souvent de l’empathie.
On a fait une vidéo aussi. Tout le monde voulait y être ! Ensuite, l’exposition donne des informations générales sur la migration. On s’est d’ailleurs appuyé sur d’autres organisations, comme le Ciré qui nous a fourni pas mal d’outils sur les préjugés, pour augmenter notre crédibilité et montrer qu’on n’est pas seuls mais qu’on appartient à un réseau. Dans l’expo, il y aura d’ailleurs des informations en provenance d’autres organisations sur la thématique, comme le fait objectif que la Belgique est le mauvais élève européen pour ce qui est de l’insertion professionnelle des migrants, par exemple. Quelque chose ne va pas et nous devons en prendre conscience pour changer cette situation. Les gens doivent s’en rendent compte.
Avant j’avais des doutes que ce que nous faisions était de l’éducation au développement, surtout par manque d’information sur ce que cette appellation recouvrait comme activités. Conceptuellement, on n’aborde pas ce type de discussion chez Dora dores. C’est seulement après avoir eu des discussions avec des gens d’Iles de paix que nous nous en sommes rendu compte. Quand Dora dores est entré en contact avec Iles de paix, pour nous aider dans la mise en place de l’atelier de citoyenneté dans l’école des devoirs, ils nous ont parlé d’éducation au développement, de la terminologie et des concepts. C’est nous qui avons été les chercher et pas l’inverse.
Dora dores n’était pas connu ou reconnu au-delà de ceux qui connaissaient concrètement ses actions mais, maintenant, ils voient ce qu’on fait et Iles de Paix et le Cncd ont même financé plusieurs représentations de notre pièce de théâtre et sont apparemment contents de travailler avec nous. A partir de la pièce, nous avons réfléchi avec des élèves des écoles de Huy sur la thématique des migrants. Les contacts avec Ile de paix et le Cncd ont permis à Dora dores d’acquérir un certain statut et d’avoir accès à certains espaces comme les écoles ou le centre culturel. Avant ça, pendant deux ans, nous avions essayé en vain d’intéresser quelqu’un avec ce projet mais une fois qu’on est venu à travers Iles de paix et le Cncd, ça a été tout de suite plus facile. Pas facile au point d’avoir des budgets suffisants mais tout de même.
Quand j’y pense, ça me fait enrager de sentir que des petites associations comme Dora dores, qui ont pourtant un impact si grand sur la situation de nombreux migrants, ne soient pas suffisamment appuyées. Ils m’ont offert ce que trop peu de gens ou d’associations font : ils m’ont accueillie, m’ont fait confiance, m’ont donné un espace professionnel qui correspondait à mes besoins, à mes attentes et à ma formation sans me demander mon diplôme.