Une rencontre d’acteurs de la société civile du Togo, Benin, Côte d’Ivoire, France et Belgique sur l’engagement citoyen, par Vanessa Stappers et Cécile Imberechts
C’est dans le cadre d’une rencontre internationale autour de l’éducation populaire organisée par Visions solidaires qu’ITECO est allé à la rencontre d’acteurs de la société civile du Togo et d’ailleurs -Benin, Côte d’Ivoire, France, Belgique- en vue d’échanger réflexions, pratiques et expériences à partir des enjeux actuels de développement, de solidarité et d’engagement citoyen.
Portée par une poignée de permanents et quelques dizaines de volontaires qui œuvrent activement au renforcement du pouvoir d’agir des populations, Visions solidaires est une association togolaise d’éducation à la citoyenneté solidaire qui se rapproche de l’éducation au développement et de l’éducation populaire tant par les valeurs qu’elle défend, les approches méthodologiques qu’elle utilise et les types d’action qu’elle mène sur le terrain.
Parmi ses modes d’actions : la sensibilisation, le plaidoyer et l’interpellation politique et la recherche action ; le tout alimenté constamment par différents groupes de travail thématiques portant sur l’inclusion des personnes porteuses de handicap, le social watch et la veille démocratique, les migrations et d’éducation à la citoyenneté. L’empowerment, l’éducation populaire, la pédagogie des opprimés et la pédagogie du projet sont quelques-unes des approches mobilisées pour la réalisation de ses actions.
Pour son travail de sensibilisation et d’éducation à la citoyenneté, l’association utilise également des outils bien connus des acteurs de l’éducation au développement en Belgique comme le jeu de la ficelle, le jeu des chaises et Politiki, pour ne citer qu’eux. Visions solidaires fonctionne entièrement sur fonds propres, c’est assez rare pour être souligné.
L’académie Milawoe, point d’orgue des activités de Visons solidaires, a pour objectif de promouvoir l’éducation populaire. Organisée pour la première fois en 2013, l’académie a pour principe de se dérouler chaque année dans des régions différentes du Togo en vue d’ancrer ces rencontres dans des réalités locales variées et de se rendre accessible à un maximum de personnes. Cette année, à Kara, au nord du Togo, une centaine d’acteurs d’horizons différents - animateurs, enseignants, syndicalistes, juristes, acteurs sociaux- ont ainsi pu participer aux ateliers d’échanges proposés.
Pour ITECO, l’académie s’est déroulée en deux temps : trois jours ont d’abord été consacrés à la préparation de l’académie et la formation des volontaires. Il s’agissait principalement d’approfondir des thématiques (fondements de l’éducation populaire, méthodes et posture de l’animateur, systématisation d’expériences) et d’expérimenter des démarches, méthodes et techniques qui permettraient de construire ensuite les ateliers de l’académie.
Dans un deuxième temps, trois jours ont ensuite été consacrés à l’académie proprement dite durant laquelle des ateliers d’échanges ont eu lieu autour de thématiques comme la pédagogie inclusive pour les personnes moins valides, les méthodes de l’éducation populaire et la posture de l’animateur, la défense des droits humains au Togo.
De cette expérience, et au-delà des très belles rencontres humaines, ITECO a pu ramener quelques réflexions et questionnements qui semblent traverser les pratiques d’éducation à la transformation sociale bien au-delà des frontières.
Une des questions revenues fréquemment lors des ateliers portait sur la difficulté d’être reconnu -et de se reconnaître soi-même- comme légitime auprès des publics concernés et surtout face à des experts. Une partie des demandes de renforcement des animateurs portait ainsi sur l’art oratoire, l’éloquence, la maîtrise des contenus thématiques, la posture de l’animateur, l’écriture et la communication.
L’expérience des participants et des animateurs a cependant permis de pointer et de valoriser quelques sources de légitimité importantes liées aux démarches et méthodes utilisées par ceux-ci. En effet, qui mieux que les acteurs de terrain, au cœur des problèmes rencontrés par les populations –notamment grâce aux programmes de veille démocratique- pourraient relayer leurs besoins et revendications ?
La nécessité d’asseoir la légitimité des acteurs de terrain par le rôle qu’ils jouent, les voix qu’ils portent et les démarches qu’ils utilisent est ainsi venu réaffirmer l’importance de valoriser et de théoriser les expériences de terrain et leurs potentialités.
Théoriser à partir des pratiques de terrain est un enjeu central dans l’éducation populaire latino-américaine. Or, parmi les objectifs et les enjeux de l’académie, celui de valoriser les savoirs expérientiels et d’apprendre collectivement de nos pratiques était fixé. Nous nous sommes donc fait le porte-voix de nos collègues latino-américains, en proposant une méthode de systématisation d’expériences développée par le Centre pour l’éducation d’adultes d’Amérique latine, Ceaal. Aux sources de l’intérêt manifesté par les acteurs pour ce type de méthode : le besoin de pouvoir évaluer et valoriser leurs actions à travers la prise en compte des singularités de celles-ci (autant pour le contexte que pour les publics et la mise en œuvre).
Analyser les expériences de terrain et partager les apprentissages qui en découlent, en vue de continuer à inspirer des acteurs sociaux différents sont autant de préoccupations qui semblent alimenter les réflexions et pratiques des acteurs rencontrés sur place. Agir, tester, oser, expérimenter, créer, innover, renouveler, inspirer… sont autant de mots revenus régulièrement pour qualifier les démarches qu’ils défendent en vue de pouvoir créer du changement social.
Enfin, par l’aspect profondément ascendant qu’elles proposent, ces méthodes de systématisation d’expériences semblent également avoir permis aux participants de contribuer au sentiment de confiance en leurs propres savoirs et compétences.
Si le concept d’éducation pour tous se trouve défendu depuis longtemps puisque considéré comme un prérequis fondamental à la démocratie -tous capables !- l’éducation par tous, quant à elle, apparait souvent comme plus difficile à appréhender et à mettre en pratique.
Une tension qui semble traverser les pratiques d’animateurs dans les contextes éducatifs d’ici et d’ailleurs est en effet celle qui se joue entre la « posture transmissive » –il faut leur apprendre– et la « posture de facilitation » qui pourrait être résumée par cette belle phrase de Paulo Freire : « Personne n’éduque personne, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde ». Il faut croire que nos histoires éducatives ont la vie dure, et que se réfléchir en tant qu’animateur-facilitateur dans des approches participatives demande un sérieux effort de créativité, dans un monde où, à des degrés divers, les relations sociales, et donc pédagogiques, sont imprégnées de verticalité et d’autorité.
L’académie visait dans ses contenus le partage d’expériences et de méthodes de l’éducation populaire : deux ateliers ont ainsi été intégralement consacrés à la découverte de l’éducation poulaire dans sa dimension politique –visée de transformation sociale– et méthodologique. Certains participants ont été surpris de découvrir qu’ils faisaient de l’éducation populaire sans le savoir ; approches, méthodes et pratiques de l’éducation populaire sont belles et bien vivantes aux quatre coins de la planète mais ne se retrouvent pas toujours accompagnées des mêmes dénominations. Si les ateliers ont permis d’explorer des méthodes participatives, ils ont aussi permis de faire découvrir aux acteurs togolais des méthodes et des acteurs venus d’ailleurs, et de consolider, théoriser et légitimer des pratiques existantes.
Un élément est toutefois apparu important à réfléchir pour cette belle initiative qu’est l’académie Milawoe : l’éducation populaire y est en effet envisagée comme fin plutôt que comme moyen, alors qu’il nous semble que les acteurs de l’éducation populaire, même s’ils ne se nomment pas comme tels, sont présents et fortement engagés dans ce qu’ils font. Etant donné que les enjeux sociaux et démocratiques ne manquent pas au Togo, l’événement pourrait constituer une belle opportunité de rencontre et de partage autour de luttes ou de thématiques concrètes. Les ateliers d’échanges pourraient en effet inviter les participants à prendre une part plus importante dans la définition des problématiques et l’élaboration de pistes concrètes d’action pour y répondre.
La mise en réseau d’acteurs par la rencontre et l’échange d’expériences est une belle opportunité de consolidation des mouvements sociaux. Permettre de mieux faire connaître les initiatives convergentes dans la région est aussi un des objectifs de l’académie, et nous espérons qu’elle pourra contribuer encore longtemps à renforcer cet aspect des luttes sociales en Afrique de l’Ouest.