La citoyenneté démocratique, le handicap, la migration et la solidarité sont les thèmes qui développe l’association Visions solidaires au Togo, propos de Samir Abi, directeur de l’association Visions solidaires au Togo, recueillis par Cécile Imberechts
Quelles sont vos actions, comment travaillez-vous et avec quels
publics ?
Visions solidaires est avant tout une association togolaise, nos actions sont essentiellement destinées au public togolais quelque soit son âge, son sexe, son appartenance sociale, religieuse ou sa situation géographique. Nos actions s’adressent aussi bien aux Togolais vivant au Togo qu’à ceux de la diaspora.
Nous nous définissons comme une association d’éducation à la citoyenneté et de solidarité active. Notre champ d’intervention principal est l’éducation à la citoyenneté et à la solidarité. Nous développons des outils d’éducation à la citoyenneté ou adaptons aux réalités togolaises des outils créés ailleurs et nous les animons dans l’espace public. Actuellement les thématiques sur lesquelles portent nos actions d’éducation à la citoyenneté au Togo sont la citoyenneté démocratique, le handicap, la migration et la solidarité.
Pourquoi vous définissez-vous comme acteur d’éducation populaire ?
L’éducation à la citoyenneté et à la solidarité fait partie intégrante du champ de l’éducation populaire. Dans sa pratique l’éducation à la citoyenne vise l’émergence d’une citoyenneté active et critique chez son public cible. Elle éveille ainsi les citoyens et libère leur réflexion en vue d’une transformation de leur réalité sociale. Nous nous inscrivons entièrement dans cette démarche de libération de l’esprit, d’émancipation citoyenne et de transformation sociale qui correspond aux finalités de l’éducation populaire.
Quelles sont vos sources d’inspirations par rapport à l’éducation populaire ?
Notre pratique a été énormément influencée au tout début par la pédagogie du jeu développée en Occident. Cette pédagogie, découverte grâce à l’association Starting block, en France nous a permis de pouvoir adapter aux réalités togolaises quelques jeux et animations éducatives sur diverses thématiques. Par la suite, et progressivement, nous nous sommes ouverts à d’autres pédagogies notamment celles d’empowerment grâce à des contacts avec l’Amérique du Nord, et la pédagogie de l’opprimé grâce à la lecture de Paulo Freire et à des échanges avec les mouvements sociaux latinoaméricains. Nous avons récemment découvert le design for change, une toute nouvelle approche éducative créée en Inde que nous essayons d’adapter à notre action au Togo.
Quelles sont les spécificités et les enjeux de l’éducation populaire dans le contexte togolais ?
La société togolaise est multiethnique et malgré le fort impact du système éducatif formel hérité de la colonisation et géré par les ministères en charge de l’enseignement, chaque ethnie a conservé ses méthodes de socialisation. La pratique de l’éducation populaire nous oblige donc à tenir compte de cet élément culturel caractéristique de chaque groupe de la population dans la conception de nos animations.
A part le culturel, la situation politique influence énormément notre démarche sur le terrain. La population togolaise ayant vécu pendant plusieurs années sous des régimes autoritaires, la libération de la pensée et de la parole semble encore difficile dans certains milieux à cause de la peur de l’autorité. Nos animations permettent ainsi de créer des espaces de libération et de construction d’une conscience citoyenne.
Le troisième élément qui affecte notre pratique est la situation socioéconomique au Togo. Dans un pays où la majeure partie de la population est dans la survie quotidienne avec des taux de chômage et de sous emploi record, il est difficile d’enclencher une démarche éducative de long terme. Très rapidement les soucis quotidiens viennent prendre le dessus empêchant le processus de construction et d’éducation de pouvoir se mettre en place harmonieusement pour transformer la société.
L’éducation au développement est un concept utilisé par les ONG pour désigner les actions qui visent la plupart du temps un public situé au Nord. Qu’est-ce que l’éducation au développement pour vous ? Peut-on parler aussi d’éducation au développment dans votre contexte ? Penses-tu que les outils et expériences de l’éducation au développment en Europe peuvent renforcer vos pratiques au Togo et inversement ?
Ce sont beaucoup de questions mais je vais essayer d’être synthétique. La démarche d’éducation au développement en Europe, de ce que nous savons, est une démarche qui va des problèmes globaux à la proposition d’alternatives locales pour changer les causes systémiques des inégalités Nord-Sud. Cette démarche peut être quelquefois culpabilisante pour les citoyens du Nord mais aboutit à une compréhension du sens de la solidarité internationale.
Notre démarche d’éducation à la citoyenneté est complémentaire de la démarche d’éducation au développement mais à la différence que notre approche prend racine dans les problèmes quotidiens que les citoyens togolais vivent. On part des problèmes vécus puis on essaie d’en analyser les causes et les solutions possibles afin de mettre les citoyens en action pour la mise en œuvre de ces solutions. Il nous arrive aussi dans certains contextes d’utiliser la démarche d’éducation au développement en partant du global pour aboutir au local. Mais la première démarche est la plus utilisée car cela prend en compte les réalités directes des populations souvent analphabètes qui ont peu d’accès aux informations sur les problèmes mondiaux diffusés par les médias. Ainsi, au terme de notre démarche d’éducation à la citoyenneté, ils découvrent les causes structurelles de leurs problèmes sociaux et l’impact de la conjoncture internationale sur leur situation.
Toutefois, les outils et expériences d’éducation au développement du Nord nous inspirent énormément. En effet, les techniques d’animations et les expériences vécues quelque soit l’espace où se déroule l’action sont utiles au praticien pour en déduire des leçons sur sa démarche. Nous profitons énormément de l’investissement dans la recherche et la création d’outils pédagogiques des associations du Nord pour après nous approprier leur démarche et les adapter à nos réalités. Il en est de même de nos outils créés en partant de nos expériences et de notre culture togolaise qui lorsqu’ils sont présentés au Nord sont une source d’inspiration pour nos collègues.
Si tu devais partager une expérience inspirante ?
L’expérience la plus inspirante que j’ai vécu est celui d’un périple personnel que j’ai mené après ma licence d’économie à l’intérieur du Togo. Quittant ma famille et les études, j’ai voulu découvrir le Togo profond. En effet, j’ai grandi dans la capitale togolaise et jusqu’à ma majorité je n’avais jamais quitté la capitale. J’ai ainsi décidé de faire ce voyage sans le sous ni préparation à la découverte de mon pays et contre la volonté de mes parents qui voulaient que je finisse d’abord mes études. L’expérience fut difficile mais j’y ai découvert la pauvreté, la confiance en soi, la foi et la richesse de l’hospitalité.
Une nuit, dans un des villages où j’ai été accueilli, le père de la famille qui m’hébergeait me fit comprendre que l’étranger est un trésor pour celui qui l’accueille. En effet, selon cet aîné, nos ancêtres se disputaient l’accueil de l’étranger car ils considéraient que cette personne qui a bravé les dangers de la faune, les forêts, les rivières et les esprits dans son aventure avait sûrement dû apprendre des choses qu’elle pouvait partager avec son hôte si celui ci l’accueillait bien. Tout jeune que j’étais, je fus surpris par cette leçon qui donnait sens à mon aventure. J’ai compris ainsi la valeur éducative de la mobilité et des voyages. Depuis lors je ne cesse d’aller au loin pour apprendre et partager par la suite avec les populations partout où les portes me sont ouvertes.