Quelques Bases de la pensée de Paulo Freire

Mise en ligne: 21 février 2022

Fiche Pédagogique Par Julia Petri.

Conscience primaire (initiale / naïve / magique) :

Caractéristique de l’obscurantisme dans lequel était plongée la société. Polarisation des centres d’intérêt de l’homme autour des aspects les plus végétatifs de sa vie. Son champ de perception est strictement limité à ces préoccupations élémentaires, à ce qui est vital pour lui. Sa vie n’a pas de consistance historique.

Conscience en éveil (post-primaire/pré-critique) :

Cette conscience se caractérise par un certain simplisme dans l’interprétation des données ; par la tendance à juger qu’autrefois , c’était le bon temps, par la sous-estimation de l’homme du peuple ; par un penchant au grégarisme, caractéristique de la massification ; par l’inaptitude à la recherche scientifique, et un goût excessive pour les explications fabuleuses ; par la fragilité du raisonnement ; par un degré élevé d’émotivité ; par le recours à la polémique plutôt qu’au dialogue ; par les explications magiques.

Conscience critique / politique :

Se caractérise par une approche en profondeur des problèmes posés ; par la substitution de réponses logiques aux explications magiques ; par un effort pour contrôler les a priori et être toujours prêt à réviser ses positions ; par le fait de se débarrasser le plus possible des idées préconçues dans l’analyse des problèmes et de tout mettre en œuvre pour éviter les fausses interprétations ; par le refus des abandons de responsabilité ; par le rejet des attitudes quiétistes ; par la rigueur du raisonnement ; par la pratique du dialogue et non de la polémique ; par l’accueil des valeurs nouvelles et le maintien des idées anciennes, non en raison de leur caractère de nouveauté ou d’ancienneté, mais en tenant compte surtout de leur authenticité ; par une permanente remise en question.

Conscientisation :

La conscience critique/politique (individuelle/personnelle), et l’action collective pour le changement social :
« Il nous paraît enfin essentiel d’attirer l’attention des lecteurs sur un point important, qui est encore peu mis en lumière dans cet ouvrage et qui fait depuis lors l’objet d’analyses plus approfondies de notre part.

Nous voulons parler de concept de conscientisation, que nous aimerions préserver de toute interprétation de caractère subjectif ou psychologique.

Il ne peut y avoir de conscientisation – niveau plus élevé que la simple prise de conscience – hors de l’action transformatrice, en profondeur, des hommes et des femmes sur la réalité sociale. Il ne peut y avoir de conscientisation en dehors de la relation dialectique : Homme/Femme-monde ; et nous ne pouvons ni la réaliser, ni la comprendre, si nous nous laissons aller à des illusions idéalistes ou à des équivoques objectivistes.

Ainsi, lorsque nous mettons l’accent que la nécessité d’une conscientisation, nous ne considérons pas celle-ci comme une solution magique, miraculeuse, qui serait capable d’humaniser les hommes et les femmes tout en laissant intact et vierge le monde où on leur interdit d’exister.

L’humanisation des hommes et des femmes qui est leur libération permanente, ne s’opère pas à l’intérieur de leur conscience, mais dans l’histoire qu’ils doivent constamment faire et refaire. » (Paulo Freire : « l’Éducation comme la pratique de la liberté ». 1971)

L’éducation instituée et « bancaire »

Paulo Freire dénonce (« Pédagogie des opprimés ») la conception « bancaire » de l’éducation selon laquelle l’enseignant.e a pour tâche de « déposer le savoir dans la tête des élèves ».

Selon le modèle classique, le savoir est prodigué de manière verticale et autoritaire ("Banking style"). Dans ce cas, le/la professeur.e est le/a seul/e dépositaire du savoir légitime, et l’impose à ses élèves. Ce type d’éducation repose sur une vision de l‘homme/femme comme objet malléable, que l’on maintient dans l’état de "conscience magique" ou de "conscience naïve".

La forme scolaire est à l’image de la société : inégalitaire, injuste pour les opprimés.

La dialectique entre changement social/politique et changement éducatif est nécessaire (théorie conflictuelle).

Freire ne prétend pas transformer la société en transformant l’éducation. C’est une caricature. Il ne résume pas le changement à la transformation de l’éducation, mais en fait une condition essentielle.

La pédagogie de Freire s’inscrit dans un projet politique global de changement de la société (libération des opprimés, humanisation de la société).

L’éducation traditionnelle est celle des dominants ; elle est l’instrument privilégié de la perpétuation du système. Elle permet de décrédibiliser et dévaloriser à leurs propres yeux la culture des opprimés, en leur montrant, par comparaison, leur ignorance d’un certain savoir érigé comme seul savoir valide.

Aucun type d’éducation n’est neutre. C’est ainsi que tout cursus qui ignore les problèmes de racisme, sexisme, d’exploitation des personnes, et toute autre forme d’oppression, soutient le statu quo.

L’éducation comme pratique de la liberté

Paulo Freire considère la pédagogie comme une pratique de transformation des hommes et des femmes et de la société.
Pour lui, l’éducation est une " pratique de la liberté " et une " pédagogie des opprimés ".
Cette démarche est le processus de « CONSCIENTISATION ». Il s’agit de réaliser, dans le processus d’alphabétisation, un « dévoilement » de la réalité à partir de « mots ou de thèmes générateurs ».

L’éducation « conscientisante » contre l’éducation « bancaire »

L’éducation libératrice consiste en des actes cognitifs et non pas en des transferts d’information. C’est une situation d’apprentissage dans laquelle l’objet à connaître (loin d’être la fin en elle-même de l’acte cognitif) est l’intermédiaire des acteurs cognitifs, l’enseignant d’un côté et les élèves de l’autre. Ainsi, la pratique de l’éducation posant les problèmes implique dès le départ que la contradiction enseignant-élève soit résolue.

Les relations dialogiques, indispensables à la capacité des acteurs cognitifs de coopérer dans la perception d’un même objet de connaissance, sont autrement impossibles.

Le postulat : tant que les hommes et les femmes seront éduqué.e.s comme des opprimé.e.s, leur prise de conscience individuelle et le changement collectif sera difficile.

« Ce qui nous parait indiscutable, c’est que, si nous voulons la libération des hommes et des femmes, nous ne pouvons pas commencer par les aliéner ou les maintenir dans l’aliénation. La libération authentique, qui est l’humanisation en marche, n’est pas une chose qu’on peut déposer dans les hommes et les femmes. (...) C’est une praxis qui suppose l’action et la réflexion des hommes et des femmes sur le monde pour le transformer ».

Dans ce sens, l’éducation libératrice, conscientisante, ne peut plus être l’acte de déposer, ou de raconter, ou de transférer ou de transmettre des "connaissances" et des valeurs chez les élèves, simples patients, mais un acte cognitif.

(...) L’antagonisme entre les deux conceptions, l’une "bancaire" qui est au service de la domination, l’autre, conscientisante qui est au service de la libération, prend corps précisément ici. Alors que la première, nécessairement perpétue la contradiction éducateur/élève, la seconde réalise son dépassement.

Le dialogue : la méthodologie de Conscientisation / alphabétisation

à l’origine de la pensée de Freire : une méthodologie d’alphabétisation avec diverses « étapes » qui sont restées identiques, avec cependant des changements dans leur ordre et leur contenu en fonction des conditions socio-économiques des divers lieux de formation :

1) Le relevé de l’univers-vocabulaire des groupes avec lesquels on travaillera. Cela se fait au cours de rencontres non formelles avec les habitants/groupes à atteindre ;

2) Le choix des mots dans l’univers-vocabulaire. Critères de choix : richesse syllabique ; difficultés phonétiques (les mots choisis doivent répondre aux difficultés phonétiques de la langue et être placés dans un ordre croissant de difficulté) ; la teneur pragmatique du mot

3) Création de situations existentielles typiques du groupe avec lequel on va travailler. C’est la première codification de ces mots en images visuelles, qui encourage les gens « submergés » dans la culture du silence à « émerger » comme créateurs conscients de leur propre culture ;

4) Élaboration de fiches-indicatrices pour le débat. C’est le décodage des mots et des thèmes générateurs par un « cercle culturel » sous l’animation discrète d’un/e coordonnateur/ice, qui n’est pas un/e enseignant/e au sens habituel du terme, mais un/e enseignant.e-enseigné.e en dialogue avec des enseigné.e.s-enseignants ;

5) Recodage créateur : élaboration des fiches comportant la décomposition des familles phonétiques correspondant aux mots générateurs. Cette fois explicitement critique et conçu en vue de l’action, au cours duquel les anciens analphabètes commencent à rejeter leur rôle de simples « objets » de la nature et de l’histoire sociale pour entreprendre de devenir les « sujets » de leur propre destinée.

« Je crois que de renoncer à la tâche d’enseigner sous le déguisement du facilitateur fait partie d’une idéologie paternaliste. »

- Macedo

« Exactement. Le vrai problème derrière l’acte de faciliter reste voilé à cause de sa nature idéologique. à la fin, le facilitateur renonce à son devoir d’enseigner – qui est un devoir dialogique. En vérité, l’enseignant qui devient un facilitateur rejette le travail fantastique de placer un objet comme médiateur entre lui ou elle et les étudiants. C’est cela, le facilitateur échoue à assumer son rôle comme un éducateur dialogique qui peut illustrer l’objet de l’étude.

Comme enseignant, j’ai la responsabilité d’enseigner, et dans la mesure où j’enseigne, j’essaye toujours de faciliter. En premier lieu, je suis convaincu que quand nous parlons de dialogue et d’éducation, nous parlons, par-dessus tout, de nous rendre capable d’approcher l’objet de la connaissance. Afin de commencer à comprendre la pratique du dialogue, nous devons mettre de côté le fait de comprendre le dialogue comme une simple technique. Le dialogue ne représente pas un faux chemin que je tente d’élaborer ou de réaliser pour produire l’implication de la naïveté d’autrui. Au contraire, le dialogue caractérise une relation épistémologique. Dans ce sens, le dialogue est la voie de la connaissance et ne doit jamais être vue comme une simple technique pour impliquer les étudiants dans une tâche particulière. Nous devons rendre ce point vraiment clair. J’engage un dialogue pas nécessairement parce que j’aime l’autre personne. J’engage un dialogue parce que je reconnais le caractère social et non pas individualiste du processus de connaissance. Dans ce sens, le dialogue se présente comme un indispensable composant pour nous deux – enseignant et apprenant - d’enseignement et de connaissance. »
- Paulo Freire

La radicalité chez Paulo Freire

« Je fonde ma posture radicale sur la défense des intérêts humains légitimes. »

L’ensemble de l’œuvre de Paulo Freire est traversé par la notion de radicalité depuis ses premiers ouvrages L’Éducation, pratique de liberté (1967) et Pédagogie des opprimés (1968) jusqu’à Pédagogie de l’autonomie (1996).

« La radicalisation exprime un attachement de plus en plus profond de l’homme au choix qu’il a posé » (1967 : 49) ; elle désigne « l’enracinement des hommes dans les options qu’ils ont prises » (1968 :15).

« Une des questions centrales à laquelle nous devons nous confronter est celle de la transformation des postures rebelles en postures révolutionnaires qui nous engagent dans un processus radical de transformation du monde. La rébellion est un point de départ indispensable, une explosion de la juste colère, mais elle n’est pas suffisante. La rébellion qui dénonce doit se prolonger jusqu’à une position plus radicale et critique, révolutionnaire, fondamentalement annonciatrice. La transformation du monde implique la dialectisation entre dénoncer la situation déshumanisante et annoncer son dépassement, c’est-à-dire, au fond, annoncer notre rêve. » (1996, p.93).

Sur l’éducation populaire selon Paulo Freire

« La seule manière qu’a une personne d’appliquer, dans le contexte qui est le sien, une des propositions que j’ai faites, c’est précisément de refaire ce que j’ai fait, autrement dit, ne pas me suivre. Pour me suivre, il est essentiel de ne pas me suivre. »

1. IL N’Y A PAS D’ENSEIGNEMENT SANS APPRENTISSAGE
2.ENSEIGNER N’EST PAS TRANSFÉRER LA CONNAISSANCE
3. ENSEIGNER EST UNE SPÉCIFICITÉ HUMAINE

Enseigner exige une rigueur méthodique
Enseigner exige une posture de chercheur
Enseigner exige le respect des savoirs des apprenants
Enseigner exige l’esprit critique
Enseigner exige esthétique et éthique
Enseigner exige l’incarnation des paroles par l’exemple
Enseigner exige risque, acceptation du nouveau et rejet de toute forme de discrimination
Enseigner exige la réflexion critique sur la pratique
Enseigner exige que l’identité culturelle soit reconnue et assumée

Enseigner exige la conscience de l’inachèvement
Enseigner exige la reconnaissance que nous sommes des êtres conditionnés
Enseigner exige le respect de l’autonomie de l’être qui apprend
Enseigner exige du bon sens
Enseigner exige humilité, tolérance et lutte pour la défense des droits des éducateurs
Enseigner exige l’appréhension de la réalité
Enseigner exige joie et espérance
Enseigner exige la conviction de ce que le changement est possible
Enseigner exige de la curiosité

Enseigner exige assurance, compétence professionnelle et générosité
Enseigner exige de s’engager, de « se mouiller » de prendre parti
Enseigner exige de comprendre que l’éducation est une forme d’intervention dans et sur le monde
Enseigner exige liberté et autorité
Enseigner exige de prendre consciemment des décisions
Enseigner exige de savoir écouter
Enseigner exige de reconnaître que l’éducation est idéologique
Enseigner exige la disponibilité et une ouverture d’esprit pour dialoguer
Enseigner exige de vouloir du bien aux apprenants