Le développement contribue à la ruine du développé !

Mise en ligne: 24 janvier 2013

Aminata Traoré, ancienne ministre malienne du tourisme,
a l’ancien Premier ministre belge Guy Verhofstadt

« Peut-on civiliser le commerce
mondial, c’est-à-dire
l’humaniser lorsqu’il n’a été
qu’un acte de barbarie, de dépossession
et d’humiliation
pour la majorité des peuples
du monde et, plus particulièrement,
pour l’Afrique ?
Il n’y a pas de libre échange
possible entre les anciennes
puissances coloniales et leurs
anciennes colonies, à qui les
premières laissent à peine le
choix. Parce que l’Afrique est
sous tutelle, comme vous le
savez : Fonds monétaire
international, Banque
mondiale, Organisation
mondiale du commerce.
Après avoir produit la
pauvreté, il n’est plus
question de lutte contre la
pauvreté, ce qui montre
jusqu’à quel point nous nous
étions trompés de défi.
L’enlisement actuel du
continent africain dans des
conflits armés découle en
grande partie de l’absence du
débat véritable que les élites
politiques ne s’autorisent pas,
parce qu’elles ont peur des
vraies réponses, parce
qu’elles ont peur de vous
contrarier, vous, leurs
généreux donateurs.

« Cette position n’est en rien
un refus systématique de
l’échange de biens et de
services entre les humains,
comme certains s’empressent
de conclure, dès l’instant où
l’on remet en question la
marchandisation du monde.
L’échange dans lequel
vendeur et acheteur se
connaissent mutuellement et
se respectent est familier à
tous les peuples de la terre.
Les marchés locaux ont été et
demeurent, dans beaucoup de
cultures, des lieux de vie et de
convivialité que l’on
fréquente pour voir,
rencontrer, déguster et
acquérir les biens dont nous
avons besoin : nourriture,
vêtements, médicaments,
mobilier.

« La coopération au
développement a consisté à
maquiller la nature prédatrice
du système capitaliste, en
usant du mot développement.
Le développement a enrichi le
développeur et contribue à la
ruine des développés. Vouloir
pour l’autre, proche ou
lointain, ce que l’on souhaite
pour soi-même et les siens, tel
devrait être l’un des principes
régulateurs des rapports Nord-
Sud et, plus particulièrement
entre l’Afrique et l’Europe. Il
n’est pas certain que nous,
Africains, ayons nous-mêmes
compris que nous avons le
droit et le devoir, et la
responsabilité de dire non
quand il le faut. Cela suppose
entre autres une bonne dose
de courage politique dans nos
rapports à nos anciens
maîtres, l’estime de nous-mêmes
et surtout une
perception claire de ce que
l’on pourrait et devrait faire
une fois que nous avons dit
non ou tout au moins la
volonté de penser et
d’imaginer l’alternative ».

Propos tenus à Leuven en
novembre 2002
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