Evaluation ou systématisation ?

Mise en ligne: 12 juillet 2012

Toutes deux sont complémentaires et partent de l’expérience comme moteur de l’action

Lors de la semaine de formation et d’échanges qui s’est déroulée en novembre 2002 au pays basque espagnol, l’organisation brésilienne Etapas et ITECO ont co-animé l’atelier sur la systématisation d’expériences : Comment peut-on apprendre de nos actions ?

Au Nord, nous parlons de la logique d’évaluation, de résultats, de sensibilisation sur le développement. Au Sud, les premières réflexions portent sur la systématisation, l’analyse des processus, sur le changement social porté par des groupes sociaux. Comment définir alors un modèle éducatif qui répond aux besoins et contextes aussi diversifiés ? Quelles sont les motivations pédagogiques qui réunissent des éducatrices et des éducateurs de différents coins du monde ?

L’atelier de systématisation d’expériences a constitué un espace pluriel de discussion à l’intérieur duquel et, à partir des expériences des participants, les concepts d’évaluation et de systématisation se sont profilés dans un processus de réflexion élargi, ce qui a permis la constitution d’un bagage de connaissances et l’analyse des différences d’approches entre l’éducation populaire et l’éducation au développement.

Voici les principaux apports de l’atelier : Nous concevons l’évaluation et la systématisation comme deux éléments complémentaires ayant beaucoup d’aspects en commun. Cette complémentarité peut générer une richesse pour l’évaluation et pour la systématisation, mais elle peut générer aussi certaines tensions dues à la difficulté à bien placer la frontière existante entre elles. Nous avons essayé de répondre donc à six questions fondamentales :

1 Quels sont les éléments en commun et les éléments spécifiques de l’évaluation et de la systématisation d’expériences ?

  • L’évaluation et la systématisation d’expériences sont complémentaires et partent de l’expérience comme moteur de l’action.
  • Toutes deux comportent une manière de traiter de l’information.
  • Toutes deux comportent une analyse critique de la pratique et de l’expérience.
  • Toutes deux représentent un mécanisme de rétroaction.
  • Toutes deux sont un exercice d’abstraction.
  • Toutes deux comportent une socialisation de l’information.
  • Toutes deux cherchent à améliorer la pratique éducative.
  • Toutes deux permettent l’acquisition d’apprentissages nouveaux. Les éléments spécifiques sont résumés dans le tableau comparatif suivant :

La systématisation est le processus qui peut contribuer à analyser les contradictions entre le discours et la pratique et à comprendre les facteurs qui rendent possible ou difficile le développement des capacités et des pratiques pour le changement. Ainsi, la systématisation peut donner forme à des demandes qui surgissent dans différents sommets, comme le Forum social mondial, par exemple, et contribuer à proposer des stratégies d’action en vue de mettre en pratique des propositions.

2. Quelles sont les conditions nécessaires pour mettre en oeuvre une systématisation d’expériences ?

  • On doit tenir compte de l’utilité et de la finalité de la systématisation.
  • Il doit exister de la cohérence et de la clarté dans la proposition politique (intentionnalité).
  • Lorsqu’on est en présence de plusieurs expériences, une proposition commune qui permette d’unifier le travail doit être présentée.
  • Il faut disposer ou créer des espaces de participation. Il est important de créer des espaces et des mécanismes d’échange et d’articulation avec d’autres organisations.
  • Il faut qu’il y ait accès à l’information.
  • Il faut avoir une proposition méthodologique (tracer un chemin) qui permette de récupérer de manière critique le processus et l’interpréter (tenir compte des aspects spécifiques de la systématisation).

3. Quelles sont les stratégies nécessaires pour créer une culture de la systématisation ?

  • Il faut la présence d’une volonté politique ( qui combine des intérêts individuels et des besoins institutionnels ) exprimée, entre autres, en temps et en ressources. Cela comporte donc d’aborder la question de la politique de développement institutionnel.
  • La formation en équipes en matière de systématisation doit être identifiée comme étant un besoin primordial. Cette formation doit contribuer à créer une conscience, à proposer des connaissances en rapport à la méthodologie et à générer une réflexion critique.
  • La construction d’argumentaires pour sensibiliser et négocier avec les agences de coopération et autres bailleurs de fonds. La systématisation suppose un éclairage sur le rôle des organisations. Des stratégies sont ainsi nécessaires qui rendent possibles la réflexion et le positionnement sur le plan institutionnel interne et externe. Ces stratégies supposent aussi de travailler sur base de l’importance et de la conviction que l’on peut apprendre de nos propres expériences pour qualifier et améliorer nos rôles et la nécessaire incidence là où les décisions sont prises. En synthèse, la systématisation est une question politique et non purement technique.
  • Récréer et adapter nos outils de planification et ses indicateurs.
  • Apprendre en faisant, fidèles à un des principes de base de l’éducation populaire, à travers des exercices.
  • Générer un débat sur les théories qui sous-tendent les cadres méthodologiques et techniques de nos propositions.

4. Quelles sont les limites, les possibilités et les modalités de participation dans un processus de systématisation d’expériences ?

Limites

  • Ce que l’on entend par participation.
  • Les différents degrés de participation dans l’expérience.
  • Les différentes dimensions dans l’expérience, en termes géographiques, de temps, de genre.
  • Ne pas avoir participé concrètement à l’expérience
  • Le danger de manipulation et de partialité dans la maîtrise de l’information. Possibilités
  • La confrontation démocratique —argumentation, contreargumentation et négociation— va dans le sens du renforcement de capacités.
  • La légitimation et l’institutionnalisation des apprentissages.
  • Le renforcement des capacités des acteurs et leur appropriation des processus.

Modalités

  • Etablire des critères : -Tenir compte des acteurs en présence mais aussi des absents -Expérience, accès à l’information et connaissance des processus vécus.
  • Identifier les différents niveaux de participation —directe et indirecte— et établir les différentes modalités de travail.
  • Existence d’espaces d’évolution, de validation et de confrontation.

5. Comment dépasser les échanges descriptifs des expériences pour arriver à la production d’un savoir conceptuel sur les apprentissages ?

  • Il faut définir des critères et des catégories pour identifier l’information clé qu’il est intéressant de soulever.
  • D’un point de vue politique, il faut se questionner sur notre rôle et notre perspective de changement (participation, renforcement des capacités, conditions pour le changement)
  • Du point de vue culturel, il faut se demander ce qui va changer et ce qui ne va pas changer.
  • A partir d’une perspective pédagogique, il faut comprendre le processus dans le cadre des rapports sociaux déterminés par le pouvoir, à l’intérieur desquels le dialogue et l’échange des savoirs devient possible ou non.
  • Considérer dans l’analyse critique le contexte régional, national, mondial, en tenant compte du défi politique et autres apports théoriques pour faire l’analyse critique. En d’autres termes, répondre à la question : comment la systématisation se rapporte aux questions globales et aux défis politiques ?
  • Mener à bien la démarche technique de systématiser l’information clé en analysant de manière critique les résultats des évaluations et autres informations. Une manière d’analyser de manière critique est de le faire à travers des questions suggestives pour la lecture et l’interprétation du processus vécu, en prenant en considération les dimensions économique, sociale et politique.

6. Comment les aspects méthodologiques et politiques sont-ils en rapport avec les processus d’évaluation et de systématisation d’expériences ?

  • La méthodologie est au service de la matérialisation d’un projet politique.
  • Dans le choix de la méthode, il y a toujours une intentionnalité politique.
  • La méthodologie est la gestion du pouvoir dans un espace déterminé.
  • Les options méthodologiques ont une influence sur le traitement et l’interprétation de l’information.
  • Il est dès lors important que l’option politique et la méthodologie soient cohérentes l’une vis-à-vis de l’autre.
  • La méthodologie permet de garder la cohérence entre les défis politiques et les moyens pour les relever, en intégrant en cours de route les éléments nouveaux venant du contexte d’une manière dialectique.
  • La systématisation est une méthode de transformation politique et pédagogique qui vise le renforcement des capacités.
  • Les éléments qui composent la conception politique de l’éducation populaire s’expriment à travers des propositions méthodologiques retenues.

Ont participé à l’atelier :
Marcelo Olimpo et Nalu Faria,
du Brésil ; Pablo Fernández, de
Venezuela ; Anna Bickel, Yaël
Clec’h et Anne Kaboré, de
France ; Boris Urquiza, de Bolivie
 ; Jairo Muñoz, de Colombie ;
Fernando Pacheco, d’Angola ;
Benoît Rossens, de Belgique ;
Marlen Eyzaguirre et Silvia Roque,
d’Espagne ; Ana Isabel
Castinheira, de Portugal ; Ana
Mireya Valverde, de Costa Rica ;
et Ramiro Azevedo, du Cap Vert.

L’atelier fut animé par Waneska
Bonfim, d’Etapas, au Brésil, et
Namur Corral et Adélie Miguel
Sierra, d’ITECO, en Belgique. Oscar
Jara, du réseau d’éducation
populaire en Amérique Centrale
Alforja, basé au Costa Rica, a
renforcé l’équipe pédagogique
par son expertise sur les concepts,
les méthodes et les pratiques
en systématisation et ses
qualités d’animation. Cet atelier
a privilégié le portugais et l’espagnol
comme langues de communication.