Propos de Neide Silva, d’Etapas, à Recife, au Brésil, recueillis par Antonio de la Fuente
Education populaire, pour quoi faire ?
L’éducation populaire a une longue histoire en Amérique latine. Au Brésil elle a pris de l’ampleur surtout pendant la période de fermeture politique des années soixante et septante. L’éducation formelle servait juste à reproduire l’ordre social et ne répondait pas aux besoins des classes travailleuses. L’Etat tout entier était voué à servir d’autres intérêts. L’éducation populaire, par contre, s’est identifiée aux secteurs populaires et s’est enracinée dans leur réalité pour essayer de répondre aux carences de ces populations. Elle visait, et vise toujours, la formation d’une conscience politique qui se transforme en exigence des droits fondamentaux des populations, le droit à la santé, à l’éducation… Si le Brésil a changé et a pu dépasser la dictature et retrouver la démocratie, c’est en partie grâce au travail d’éducation populaire. La nouvelle constitution brésilienne, de 1988, par exemple, ouvre des espaces d’interlocution entre la société civile et les pouvoirs publics à travers des Conseils des politiques publiques ou à travers la réalisation des referendums.
Et l’éducation au développement ?
L’éducation au développement et l’éducation populaire ont des origines et des objectifs différents et sont portées par des acteurs tout aussi différents. L’éducation au développement surgit dans l’effort de travailler avec des groupes locaux du premier monde pour créer une base d’appui à l’éducation populaire dans le tiers monde. Dans le premier monde, vous avez des Etats providence bien installés, des Etats qui anticipent la demande sociale si bien que l’exclusion sociale existe mais de manière réduite. Dans notre cas, la situation est tout autre. Nous vivons dans des véritables sociétés d’exclusion. Sans Etat providence, ce sont les problèmes sociaux qui anticipent les réponses de l’Etat.
Historiquement, la solidarité internationale a été très importante dans l’appui aux processus de démocratisation de nos sociétés. De la même manière, éducateurs au développement et éducateurs populaires, nous avons intérêt à échanger des expériences et des savoirs pour stimuler la participation populaire. A la fin d’une activité de diffusion du réseau Polygone, à Bruxelles, par exemple, des personnes sont venues me demander comment on fait pour mobiliser les personnes dans le cadre du budget participatif. Je pense que nous pouvons aller au-delà de l’échange d’expériences pour arriver à créer des thèmes qui nous sont communs. La lutte contre la guerre, par exemple, rassemble Nord et Sud dans une perspective de création de sociétés ayant des intérêts planétaires.
Et la systématisation d’expériences, pour quoi faire ?
Il existe différentes conceptions de la systématisation. Je suis de ceux qui croient que systématiser est beaucoup plus que de mettre nos pratiques en récit. Il nous faut mettre ces pratiques en rapport à un référentiel théorique pour les réorienter. Réfléchir sur ce que nous faisons, oui, mais pour l’améliorer. Au jour le jour, néanmoins, les associations ont beaucoup de difficultés pour s’arrêter et réfléchir sur leur pratique. Nous sommes contraints à devoir toujours faire, de plus en plus.
Quel est ton sentiment par rapport au moment que vit le Brésil avec l’arrivée de Lula au pouvoir ?
Nous avons beaucoup d’espoir et nous sommes confiants. Même lorsque, par le passé, le peuple brésilien a voté de manière erronée il l’a fait avec beaucoup d’espoir. Cette fois-ci la population n’a plus eu peur des épouvantails qu’on a agités par le passé, celui de la non gouvernance, celui du manque de capacités techniques d’un gouvernement dirigé par Lula, et a choisi la voie des changements en profondeur. Malgré l’environnement international défavorable (primauté de la logique de l’Etat minimal, menaces de guerre) il y a à présent une inversion des priorités, ce sont les exclus qui deviennent prioritaires. Je pense que le Brésil peut étendre cet esprit à l’ensemble de l’Amérique latine et à partir de là établir un autre dialogue sur la scène internationale. Je suis optimiste.
Publié dans Antipodes n° 160, juin 2003.