Comme il est impossible de réussir sans tricher, trois voies de salut sont explorées : le marabout, l’église et les fuites, par Tito Dupret
République Démocratique du Congo, Kisangani dans le centre nord du pays, le film documentaire de Dieudo Hamadi ouvre avec cette image : des élèves repoussent, avec de petits balais de branches, les détritus flottant sur les dernières pluies ayant débordé dans les classes. Telle est également le premier commentaire du film : « Athénée Royal, tu parles. Athėnée-poubelle, oui ». L’uniforme des élèves, chemise blanche et robe ou pantalon bleus, sont le seul lien avec la rationalité que l’on verra dans le récit. La caméra ne dit rien, elle suit simplement et sobrement l’improvisation des choses !
Ils sont en terminale et en retard de paiement depuis Pâques. Les voilà écartés des cours, c’est sans recours. Les enseignants sortent de grèves à répétition, le programme scolaire n’aura pas été vu. Prochaine échéance, l’examen d’Etat pour couronner leurs études secondaires. Afin de se donner une chance, la vingtaine d’exclus se rassemble dans une villa en construction. L’idée est de préparer l’épreuve ensemble. Des personnes forcent au burin le cadenas qui barre l’accès et louent l’espace à condition que personne ne touche à l’électricité dont les fils dépassent.
Tout le monde s’installe et un semblant d’horaire se met en place. La direction de l’école est invitée à constater et encourager l’initiative. D’anciens candidats à l’examen sont invités. Ils sont catégoriques : il est impossible de réussir sans tricher. Les questions sont trop difficiles.
Pour palier aux difficultés, trois voies de salut sont explorées : le marabout, l’église et les fuites pendant l’examen. Le premier mêle des petites feuilles écrasées à l’eau, exprime une série de formules ésotériques et invite le candidat à monter sur une chaise pour se purifier le corps en se lavant avec le seau de potion.
De son côté, l’église organise des cérémonies sur mesure. Séance d’exorcisme comprise si besoin est. Les bics des élèves sont bénis car ce sont ceux-là qui vont matérialiser l’intelligence et la pensée en de bonnes réponses aux questions d’examen. Et c’est Dieu qui va dicter les solutions dans l’esprit des élèves.
Enfin, il y a les fuites. Dès la veille de l’ouverture des copies venues de la capitale sous scellés, les séries de questions et réponses sont envoyées par textos et tous les élèves recopient sur des copions. La première journée d’examen se passe mal, on veut être remboursé. La seconde est un succès, le leader du groupe est porté en triomphe à la sortie de l’établissement.
Lorsque j’ai demandé au réalisateur si son film ne mettait pas les élèves en danger d’être poursuivis pour avoir triché, Dieudo Hamadi raconte qu’avant la fin du montage, il leur a bien demandé s’ils étaient d’accord avec le film et ne craignaient pas pour leur réputation. La réponse de l’un est admirable et sans ambiguïté : la situation est trop grave pour se soucier de réputation. Et puis s’il y a poursuite, c’est tout le système et la responsabilité de l’État qui sont exposés.
À propos de l’absence d’avis des enseignants dans son film, Dieudo Hamadi explique que c’est un parti pris qui s’est imposé pendant le tournage. Il lui a fallu entre quinze et vingt autorisations pour tourner dans l’enceinte de l’école mais aucun professeur n’a voulu participer. Leur position est impossible, ils sont coincés entre l’absence de salaire régulier et leur charge au milieu de difficultés exacerbées par un devoir de réserve. Du coup je demande si ce film n’en appelle pas un autre avec eux au centre. Sans doute, mais par un autre réalisateur, me répond-il. Lui est en train de terminer un documentaire sur les violences sexuelles à Bukavu.
Remerciant alors le réalisateur, je me sens malgré tout heureux de cet échange car il confirme un sentiment resté après le visionnement du film. Au-delà de la réussite technique car il a cadré et pris le son tout seul, au-delà de la qualité esthétique de son travail de tournage et de montage, il me semble avoir rencontré un cinéaste en plein devenir, auquel nous devrions nous montrer attentifs. Car son approche, pour personnelle qu’elle soit, est avant tout sincère.
La simplicité de sa démarche cinématographique et l’honnêteté de son message invitent à l’écouter. Et son message est limpide : il y a un grave problème avec l’examen d’Etat et à travers lui, avec l’enseignement en RDC. Ce film est un appel à en débattre. Malheureusement, si le succès est au rendez-vous dans les festivals internationaux, c’est aux Congolais de voir ce film. Mais pour l’instant il n’y a eu que deux projections officielles aux centres culturels français de Kinshasa et de Kisangani. Et il n’existe pas réseau de projection dans le pays.
Puisse ce document être mis sur internet et rester accessible pour servir un système éducatif à s’interroger à fond et pour renseigner les futurs candidats à l’examen d’Etat. Ne fut-ce que pour les aider à en relativiser l’enjeu et l’importance. Démesurée, celle-ci génère manifestement un grand malentendu entre l’obtention du diplôme et son effet sur des lendemains qui chantent. C’est une crise que nous connaissons aussi par ailleurs. Pour indispensables qu’ils soient, les diplômes ne garantissent plus l’avenir de grand monde.