Bienvenue à l’Ecole belge de Casablanca

Mise en ligne: 20 mai 2016

Il y a cinq écoles belges à l’étranger. Le qualificatif est devenu un gage de qualité plus que de coopération, par Tito Dupret

Imaginez l’Atlantique se dodelinant largement le long de la côte marocaine, à quinze kilomètres au sud-est du centre de Casablanca. Là, une imposante école flambant neuve est sortie du sable, juste passée la plage. Elle a ouvert en septembre 2014. Le succès y est immédiat et elle accueille cette année 672 élèves de la maternelle au secondaire inférieur. Avec l’océan pour perspective à 180 degrés et une étendue d’eau claire à l’arrière des bâtiments, tous les rêves solaires d’épanouissements scolaires sont permis. Bienvenue à l’Ecole belge de Casablanca.

Cet idyllique paragraphe m’est inspiré par les images-satellites accessibles sur internet et par les propos de Josiane Martin, présidente de l’Association des écoles à programme belge à l’étranger (AEBE), qui m’accueille à son domicile bruxellois, siège de l’association. L’initiative de cette école est celle du consul de Belgique à Casablanca, soucieux d’inscrire son enfant au Lycée français dont il apprend qu’il est envahi par les demandes d’inscription belges. A tel point qu’il est invité par son interlocuteur, peut-être par boutade, à lui-même ouvrir une école. Alors le germe a trouvé son sol humifère.

La diplomatie se lance dans une coopération entre la Belgique et le Maroc. Rapidement celui-ci demande la participation d’une association à la fois internationale et dédiée à l’éducation. C’est ainsi que Wallonie-Bruxelles International (WBI) identifie l’AEBE pour entrer au pouvoir organisateur de la nouvelle école. C’est un changement de taille pour la petite organisation. Jusqu’alors, elle était un relais pour les subsides de WBI, une aide au recrutement d’enseignants et une « boîte aux lettres » au service de quatre autres écoles belges : une au Burundi, deux en République Démocratique du Congo et une au Rwanda qui enseignent ensemble à 2 684 élèves.

Josiane Martin, longtemps professeur de mathématiques en région bruxelloise, a elle-même été, suite à un appel à candidatures, chef d’établissement à Bujumbura. Elle y a terminé sa carrière et est rentrée en Belgique pour honorer la naissance de sa première petite-fille. Cependant, nul ne revient émotionnellement indemne d’Afrique et présider l’AEBE est pour elle garder à la fois un lien fort et un rôle actif. Depuis, l’aventure au Maroc est devenue un très grand défi qui impose régulièrement sa présence sur place. Ce n’est pas le cas avec les écoles d’Afrique centrale. Chacune est gérée de façon autonome par les parents d’élèves.

Ces écoles sont nées au moment de l’indépendance des anciennes colonies belges en vue d’assurer la scolarité des familles expatriées. Massivement soutenues par l’aide à la coopération au début, les subsides ne représentent aujourd’hui plus qu’une dizaine de pour-cents des budgets. Le reste est obtenu par le minerval des élèves. Cette situation alimente un problème d’élitisme sur place et un blocage administratif ici. En effet, la priorité est d’assurer un enseignement et un diplôme équivalents à ceux offerts en Belgique. Pour ceci, l’AEBE organise notamment l’envoi d’inspecteurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles tous les deux ans dans toutes les écoles pour s’assurer des niveaux et superviser certains examens.

Cependant la Fédération Wallonie-Bruxelles ne participe pas aux subsides, condamnant à des frais d’inscription élevés, inaccessibles à presque tous, et assimilant ainsi ces écoles à un enseignement privé. C’est d’ailleurs le raisonnement tenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles pour ne pas subsidier : financer un réseau privé éveillerait l’appétit de tous les autres. Le terme école « belge » est donc une attribution abusive, mais elle est issue de l’histoire de la Belgique. Avec le temps, le qualificatif est en fait devenu un gage de qualité plus que de coopération. A ce propos, le public de ces écoles est effectivement privilégié et le but poursuivi par les parents est que l’enfant puisse accéder plus tard au réseau de l’enseignement supérieur en Belgique et en Europe. Soit une coopération qui peut avoir pour conséquence ce qu’on appelle « la fuite des cerveaux » pour les pays d’accueil de ces écoles. Est-ce le cas ? Une étude mériterait de se poser la question. Il y va du développement-même de ces pays.

Malgré tout, l’idéal universel d’une éducation gratuite pour tous n’est pas tout à fait perdu. S’il n’y a pas d’exemple ni perspective pour l’instant dans les pays historiques de la coopération belge, Josiane Martin explique que l’Ecole belge de Casablanca reçoit cinq élèves en collaboration avec SOS Villages d’enfants au Maroc pour y remplir toute leur scolarité. Un projet similaire prend forme avec une autre association d’aide à des familles pauvres. Parions que ce genre d’effort et leur multiplication convaincront la Fédération Wallonie-Bruxelles de s’investir davantage, pas seulement en validant des diplômes certifiant une sortie du pays, mais en valorisant sur place l’enseignement pour tous.