Si la déontologie décrit les bonnes pratiques, l’éthique renvoie à la qualité du questionnement qui est le fait de chaque formateur, par Claire Frédéric
Tout au long de mon trajet professionnel, j’ai été particulièrement vigilante, exaspérée, révoltée face aux malveillances, aux abus, aux dérapages, touchant à l’intimité des personnes. Ainsi dans les années nonante, en prémisse au Code de déontologie de l’aide à la jeunesse, je me suis attelée avec d’autres à des questions d’éthique et de déontologie propres à ce secteur.
Récemment arrivée dans le champ socioculturel, j’ai été surprise, déconcertée de découvrir des professionnels, qui au quotidien, placent l’homme, l’humain au cœur de leur métier sans cadre ni balises.
Les enjeux actuels relatifs à la formation pour adultes pourraient engendrer des prises de position fortes et des résistances à la confrontation, au débat. Or œuvrer dans un métier de service nécessite qu’un débat ait lieu, celui des fondements éthiques, des règles déontologiques de ce métier.
Nous avons tous à un moment donné dû nous débrouiller avec des questions aussi complexes que « que faire avec la confidence de ce professionnel dans une situation de maltraitance », « que faire avec ce formateur qui cumule des casquettes de formateur, d’administrateur, de membre de jury » « comment je me débrouille avec mon rapport au pouvoir, au savoir ? », « comment garantir un climat de confiance et éviter les fuites d’information ? ». Au pire on se débrouille en colloque singulier, au mieux on fait appel à l’équipe. Mais au-delà de ces stratégies de débrouille, chacun reconnaît assez facilement la nécessité d’avoir quelques repères.
La formation est un (méta-) métier émergeant avec une reconnaissance récente dans certains secteurs, l’aide à la jeunesse, l’éducation permanente, l’insertion socioprofessionnelle. L’exercice du métier de formateur y est, en outre, balisé par des conventions collectives de travail avec des définitions de fonctions et de barèmes. Toutefois, l’absence d’un champ professionnel précis, organisé en ordre de formateurs susceptible d’opposer une force suffisante à décourager toute velléité d’abus ou de dérapage nécessite qu’on définisse un cadre de travail.
Ce cadre de travail est balisé entre autres par des fondements éthiques, des règles déontologiques voire même par une esthétique de la formation reconnaissant là l’existence d’un corps professionnel. Un code de bonne conduite voire un code de déontologie ne nous démarquerait pas fondamentalement d’un code de déontologie des formateurs issus du secteur marchand. Par contre, parler d’une éthique spécifique serait là une des sources de légitimité de notre action et une ligne de démarcation.
Nous devrons faire avec la fin d’une mystification, celle qui consiste à croire et à laisser penser que la profession toute entière partage les mêmes valeurs.
Se retrouvent donc autour de la table des professionnels susceptibles d’œuvrer tant dans le social que dans le socioculturel, le médical, les secteurs du non-marchand, voire pour certains d’exercer ce métier dans le secteur marchand. Nous devrons nous mettre d’accord sur les distinctions que nous opérons, les spécificités auxquelles nous tenons ou partir d’un postulat, la formation transcende les logiques fondatrices, les enjeux, les pratiques de ces différents secteurs. Elle est le signe de l’émergence d’un champ nouveau.
Il s’agit en tous cas de s’attaquer à des logiques parfois antagonistes, contradictoires, de métiers voire de professions.
Quoi qu’il en soit, à ce stade-ci, nous pourrons nous tirer d’affaire avec le cumul des textes. En effet, bon nombre de formateurs sont par ailleurs assistants sociaux ou psychologues de profession initiale. Ils ont donc une déontologie propre. D’autres interviennent dans le secteur de l’aide à la jeunesse et composent avec le code de déontologie de ce secteur. Quel sera le texte qui fera loi ? Une existence à titre subsidiaire ? A terme, il s’agira donc d’opérer un choix, de préciser le champ et les modalités d’application.
Enfin, rappelons qu’un code de déontologie doit, pour avoir une valeur, être assorti de sanctions administratives, disciplinaires ou pénales et de garanties données aux professionnels ; ces garanties faisant l’objet habituellement du dialogue social : employeurs, syndicats et associations professionnelles …Associations professionnelles ?
[1]
L’absence d’un champ professionnel nécessite qu’on précise ce qu’est un formateur, un bon formateur, une bonne formation. Il n’existe pas aujourd’hui de code de déontologie spécifique au métier de formateur en Communauté française si ce n’est un code de déontologie régissant les relations professionnelles au sein d’une association des métiers de la formation constituée en asbl depuis le 19 juin 1997, Epsilon.
Le champ de la formation, si champ il y a, est occupé par au moins deux corps professionnels détenteurs d’un code de déontologie, les assistants sociaux et les psychologues. Ces codes peuvent constituer une référence par défaut.
L’absence d’un ordre ou d’une commission de déontologie ne permet pas d’avoir de recours en cas d’abus ou de dérapage. Seule la loi sur les contrats de travail et la jurisprudence peuvent semble-t-il faire référence. Rappelons que le formateur a donc une responsabilité professionnelle.
Des règles juridiques, déontologiques ne se suffisent pas à elles-mêmes si elles ne sont pas assorties d’un questionnement éthique. Christian Vigouroux [2] suggère dès lors d’ouvrir régulièrement le débat. Les formateurs y puiseront des éléments si pas de réponse au moins de questionnement. Nous devons donc nous attaquer aux valeurs qui fondent notre intervention, aux représentations que nous avons du formé, à notre posture professionnelle, à nos secrets de fabrication. Ce détour à la fois par le pourquoi, le pour quoi et pas seulement par le comment permet de clarifier davantage la nature, les limites, les finalités d’une intervention et de s’entendre ou non sur ce qu’est ce métier de formateur.
Aux côtés de la nécessité de cet espace de débat, il existe aussi, pour les professionnels, cet espace de construction de textes pouvant faire référence, en témoigne l’expérience des assistants sociaux et plus récemment des travailleurs du secteur de l’aide à la jeunesse.
Il est vrai que ces balises naissent bien souvent de situations d’urgence professionnelle. Pour rappel, les travaux des professionnels de l’aide à la jeunesse ont débuté sur l’indignation de certains quant à des perquisitions musclées et la saisie abusive de dossiers de suivis de jeunes par des policiers bruxellois, début des années nonante, violant l’intimité des jeunes au risque de mettre à mal la relation de confiance établie avec les travailleurs sociaux. Ces travaux ont été les prémisses du code de déontologie adopté quelques années plus tard par le gouvernement de la Communauté française.
Le chantier est vaste. J’en conviens. Je reviendrai ici à une démarche raisonnable, donner quelques repères utiles.
Christian Vigouroux [3] insiste sur la nécessité pour le formateur d’être au clair sur son positionnement professionnel. « L’éthique correspond à la recherche d’une juste manière d’être, à la sagesse dans l’action. L’éthique relève du facultatif alors que la déontologie est, sinon toujours obligatoire, du moins sanctionnable. L’éthique mène à l’interrogation identitaire d’une personne et aussi d’un métier. La déontologie est sociale, pratique et appuyée par le disciplinaire collectif ».
Si cette définition a le mérite de baliser la réflexion, elle ne peut nous satisfaire. En effet, l’éthique du formateur n’est pas facultative dans les métiers qui ont à voir avec l’humain. Le formateur a à s’interroger notamment sur les rapports de pouvoir qui existent en situation de transmission d’un savoir, sur sa responsabilité dans l’accompagnement d’une équipe de professionnels de l’action sociale.
Par ailleurs, la déontologie suppose un corps social organisé susceptible d’avoir les moyens de donner un caractère obligatoire. Retenons cependant que « la déontologie décrit les bonnes pratiques définissant même corrélativement la (supervision) formation. L’éthique renvoie à la qualité du questionnement qui est le fait de chaque (superviseur) formateur… Un code de déontologie définit l’ensemble des pratiques recommandées et acceptables. On détermine ainsi les contours de ce qu’est (la supervision collective) la formation et ce qui ne l’est pas. Cela détermine aussi les engagements respectifs qu’ont à prendre les acteurs impliqués dans (la supervision) la formation. En ce sens, il s’agit d’un code de déontologie de (la supervision) la formation auquel les opérateurs de formation ou les formateurs auraient à adhérer. Autre chose est l’éthique du (superviseur) formateur. Celle-ci renvoie à une exigence dans l’exercice de la fonction de (superviseur) formateur. En ce sens, il s’agit davantage de l’identification de bonnes questions [4] en regard de l’exercice de la fonction » [5].
« La complexité de la tâche tient aussi aux multiples niveaux qu’il s’agit de prendre en compte. Prenons pour exemple la pratique observée dans le chef des (superviseurs) formateurs de contractualiser les engagements respectifs des acteurs concernés par la (supervision) formation.
Au plan normatif, presque méthodologique, un guide des bonnes pratiques peut affirmer l’obligation de contractualiser les engagements et obligations. On peut aller jusqu’à identifier les chapitres que devrait comporter un tel (voire de tels) contrat(s). Au plan déontologique ou éthique, il s’agirait de questionner cette pratique de contractualisation, afin de mettre au jour les fondements mêmes au nom desquels on tient cette forme pour une nécessité. Au titre des distinctions, on soulignera aussi les obligations qui relèvent de la déontologie de tout travailleur social, des services où il est susceptible de travailler et des obligations qui sont les siennes dès lors qu’il est formateur (superviseur) et dans l’exercice de cette fonction. On aura aussi à distinguer, au moins, les aspects déontologiques, éthiques et juridiques » [6].
L’absence d’un champ professionnel précis, organisé en ordre de formateurs nécessite qu’on définisse un cadre de travail balisé entre autres par des fondements éthiques, des règles déontologiques assorties de références juridiques, voire par une esthétique de la formation.
Un code de bonne conduite, voire un code de déontologie, ne nous démarquerait pas fondamentalement d’un code de déontologie des formateurs issus du monde marchand. Par contre, parler d’une éthique spécifique serait là une des sources de notre légitimité et une ligne de démarcation.
Si un secteur tel que celui de l’éducation permanente était amené à définir des règles déontologiques, il y aura au moins un premier choix à faire : soit les lier à une profession, et elles seraient dès lors applicables aux personnes, soit à un secteur et dès lors, elles seraient applicables à des services.
Un code de déontologie doit, pour avoir une valeur, être assorti de sanctions administratives, disciplinaires ou pénales et de garanties données aux professionnels d’exercer leur métier, ces garanties devant faire l’objet du dialogue social. Quoi qu’il en soit, à ce stade-ci, nous pouvons nous référer aux textes pour ceux qui peuvent faire référence à une déontologie propre.
Enfin, retenons que si la déontologie décrit les bonnes pratiques, l’éthique renvoie à la qualité du questionnement qui est le fait de chaque formateur.
Dès lors, nous pourrons tout au plus donner quelques repères utiles sur le respect de l’intimité, l’œuvre de formation dans un processus de formation réciproque et de création collective et enfin sur le paradoxe de l’écrit rendant lisibles les pratiques et mettant en péril le secret.
Reproduit du site du Cesep
[1] Récolte de données auprès de formateurs issus de secteurs et ayant eu des parcours professionnels différents, le Centre de formation des cadres culturels du Cesep, la Confédération compagnonnique des métiers de services.
[2] Ethique et formation, dans Actualité de la formation permanente, sept-oct. 1997.
[3] Ibidem.
[4] Et non d’une liste de réponses, « la réponse étant le malheur de la question », d’après Maurice Blanchot.
[5] Idées maîtresses issues d’un groupe de travail initié par l’APEF sur l’éthique de la supervision collective en juin 2006.
[6] Ibidem.