Deux ou trois questions tragiludiques sur le Nord-Sud et les ONG

Mise en ligne: 14 mai 2014

Les milieux nantis, culturellement et socialement, prédisposent-ils à l’engagement, à l’ouverture ?, par Bernard Duterme

1. Globalement… quelle est l’identité sociale des « antimondialistes », jeunes et plus âgés ? Pourquoi le profil socioculturel des militants de la solidarité internationale est-il à ce point prévisible ? Faut-il être « bien né » pour devenir un humaniste sans frontières ? Pourquoi les altruistes intergalactiques sont-ils pour la plupart des « héritiers » ? Et pourquoi en parle-t-on si peu ? Combien de fils de famille rurale-ouvrière-apolitique dans les ONG, dans les observatoires Nord-Sud ? Quelles sont les sources sociales et culturelles de l’engagement, radical ou modéré ? La posture flamboyante de la contestation est-elle située ? Pourquoi les chrétiens aisés se sentent- ils souvent « interpellés » par le Sud, pourquoi « notre grand fils qui a choisi la photographie » est-il forcément doué pour les gros plans de pêcheurs philippins et de gosses burkinabés, pourquoi les « belles âmes » du Nord ont-elles régulièrement besoin d’aller « se ressourcer sur le terrain » ? Faut-il être de l’élite pour être cosmopolite, « de la haute » pour s’intéresser au « bas », ingénu pour devenir « citoyen du monde » ? Les milieux nantis, culturellement et socialement, prédisposent-ils à l’engagement, à l’ouverture ?

2. Plus particulièrement… les inconditionnels européens du sous-commandant Marcos, les « zapatisants » sont-ils tous des jeunes de bonne famille, des enfants gâtés par l’existence, en rupture de ban ? A quelles conditions la rébellion des indigènes du Chiapas a-t-elle pu être consacrée « premier soulèvement contre la mondialisation néolibérale » : grâce à ces réseaux de n é o r é v o l u t i o n n a i r e s bourlingueurs ou grâce à Marcos, lui-même universitaire urbain bien né ? Comment un paysan indien finit-il par se retrouver en poster à l’ULB ou à la Sorbonne ? Et pourquoi ce même paysan maya préfère- t-il, lui, les photos de Schumacher et de Madonna ? Le Chiapas mérite-t-il cette résonance dans les cocons alternatifs du Nord instruit ? Et ces « zapatisants », de quel droit vont-ils si volontiers – en juillet et août surtout - laver leur linge au ruisseau avec les femmes indigènes ? « Sympathiser avec les victimes du capitalisme » ?

3. Plus personnellement… comment un fils de maçon ardennais peut-il se sentir à l’aise dans un milieu qui n’est pas le sien ? Se mouvoir aisément dans l’altruisme professionnel ou militant quand les horizons viennent à peine de s’ouvrir ? S’écarter du destin « nouveau riche » des modestes en phase d’ascension sociale ? Comment peut-on lire et écrire dans Le Monde diplomatique lorsqu’on n’a pas touché à un journal avant l’âge de vingt ans ? Parler dans un micro quand on est issu des « sans opinion » ? Oser cacher ses faiblesses derrière ses origines sociales ?! Comment peut-on être mobile et désinvolte lorsqu’on a appris la stabilité, disert lorsqu’on transpire la componction, cosmopolite lorsque les attaches pèsent, rêver de changer le monde quand on négocie un changement de classe, étudier les rapports Nord-Sud lorsque ta maman te demande de lui réexpliquer lentement « le métier que tu fais », parce qu’elle n’a pas bien compris ?