Pratiques pour le bon exercice des droits collectifs des peuples autochtones.
Écrit par Rossi Ix Jab Morales Calel, jeune maya poqomchi’, militante pour la terre et les jeunesses autochtones et paysannes, membre du conseil des jeunesses autochtones et paysannes de l’UVOC. Membre du réseau des éducateurs et éducatrices RED KAT. Étudiante universitaire en Sciences Juridiques et Sociales à l’université Rafael Landivar.
La jeunesse a depuis toujours formé partie intégrante de la société, jouant un rôle lors de nombreux évènements historiques. Au Guatemala l’évènement marquant le plus récent est la défense de la démocratie et de l’état de droit lors des élections générales de 2024-2025 (élections présidentielles et législatives). Celle-ci s’articule en deux temps : tout d’abord la bataille par les urnes et pour garantir l’exercice du droit constitutionnel qu’est le suffrage universel ; ensuite la lutte et les manifestations dans les rues ayant duré plus de 100 jours et principalement menée par les peuples autochtones et la jeunesse.
Cet évènement historique démontre clairement l’ampleur de la participation des jeunes, particulièrement des jeunes autochtones. Le Guatemala traverse actuellement une phase de « Bonus démographique ». En effet la politique nationale de la jeunesse estime que la population totale de 14 636 487 habitants comporte 33% de « jeunes » - de 19 à 29 ans – dont 33 à 40% de jeunes autochtones [1]. Le tribunal suprême électoral et ses chiffres démontrent aussi une participation importante des jeunes puisque parmi les 9 274 455 inscrits sur liste électorale [2], 4 861 347 sont âgés de 18 à 35 ans, ce qui est considérable.
Les jeunes et les peuples autochtones ont donc bel et bien défendu la démocratie Guatémaltèque. Il faut cependant préciser qu’il ne s’agit que d’un exemple récent parmi beaucoup d’autres dans l’histoire du rôle crucial des jeunes au sein des espaces de lutte, de prise de décision, d’échange, de participation et de proposition.
Dans l’histoire des peuples autochtones la jeunesse est au cœur de la vie sociale, politique et culturelle. Dans le Popol Vuh la jeunesse incarne la force, le courage et la bravoure mais aussi la capacité à trouver des solutions et stratégies créatives puis à les exécuter. Les jumeaux Hunajpu et Ixbalanque sont les avatars mêmes de la jeunesse et de qu’elle représente.
Cependant être jeune aujourd’hui signifie faire partie d’un groupe vulnérable et exclu des véritables espaces décisionnaires, ce qui est d’autant plus vrai pour les jeunes autochtones. Cet état de fait s’explique par des trois pillages subis au Guatemala :
Tout d’abord « l’invasion et les interminables guerres entre les peuples autochtones et l’armée espagnole ; la création de la colonie et l’usurpation des territoires des peuples, le pillage de l’or et de l’argent, le travail forcé et l’esclavage. » [3]
Ensuite, l’arrivée des conservateurs et libéraux à la tête du Guatemala, caractérisée par l’appropriation des terres communautaires autochtones pour y cultiver du café et par la réforme libérale visant à garantir l’accumulation de capital et de richesses par la défense du libre marché reposant sur « les principes suivants : propriété privée, liberté d’entreprise et de choix, maximisation de l’intérêt personnel, concurrence libre et non faussée, liberté des prix et du marché, rôle réduit du gouvernement et maximisation des bénéfices, croissance et accumulation du capital. »
Enfin, phénomène encore bien visible aujourd’hui, l’arrivée – invasion- des multinationales chargées d’accaparer les territoires et leur biodiversité. Elle repose sur « l’appropriation, exploitation et marchandisation accélérée des biens nécessaires à la vie tels que l’eau, les forêts, jungles et minéraux. » [4] Les traités de libre-échange ne font qu’aggraver ce phénomène, facilitant l’arrivée de capitaux, équipements et machines.
Ainsi émerge une conflictualité agraire (ainsi que d’autres problèmes sociaux structurels). Nous parlons ici de la répartition profondément injuste des terres née du premier pillage subi par les peuples autochtones, qui réclament aujourd’hui leurs terres ancestrales.
Le rapport intitulé Quatre Exemples de l’action Collective sur la Conflictualité Agraire, établi par deux organisations paysannes - systématisation du mouvement paysan guatémaltèque - montre que « l’accaparement des terres au Guatemala remet 70% des terres arables aux mains de 2% de producteurs. 80% des agriculteurs et agricultrices sont pauvres. Et 80% de la force de travail paysanne opère dans l’économie « informelle », n’ouvrant aucun droit à des prestations sociales. » [5] Ces chiffres illustrent les conséquences des grands pillages, autrement dit les inégalités d’accès à la terre, sources d’inégalités politiques, sociales, environnementales et spatiales.
Voilà pourquoi émergent les luttes et résistances des peuples autochtones et des paysans, pas simplement parce qu’ils subissent des violations cumulées de droits humains – ce qui n’est pas négligeable - mais aussi parce que cela s’oppose à la vision cosmogonique des peuples autochtones. Pour les peuples mayas le territoire n’est pas simplement une « Portion de l’espace terrestre dépendant d’un État, d’une ville, d’une juridiction » [6] ou un simple terrain. Pour ces peuples autochtones et pour les paysans, le territoire permet un sentiment d’appartenance, une territorialité et un lien spirituel avec la terre elle-même.
Erik Espinoza décrit parfaitement ce lien lorsqu’il écrit : « la terre fait donc partie de la grande extension du ciel et est le produit de celle-ci, ensemble ils engendrent la vie […] la vie serait donc ce grand tout, ce bruit, ce qui s’agite et se meut dans l’univers […] seule l’énergie cosmique unie à l’énergie de la terre permet la vie[…] » [7] Et même si l’auteur fait plutôt référence à la création de la planète terre, il décrit précisément ce que vivent et ressentent les peuples autochtones lorsque l’on parle de terre, c’est-à-dire de l’espace où naissent l’existence et la vie, mais surtout de cette idée que nous sommes tous et toutes la vie et donc que nous formons un tout.
Revenons aux raisons de la vulnérabilité de la jeunesse dans la société. Elle est due au fait que les trois pillages ont imposé des manières de vivre contrevenant à celles des peuples indigènes, imposant des systèmes économiques, politiques, sociaux et culturels et des normes et pratiques adulto-centrées, machistes, racistes, discriminatoires, misogynes et totalement excluantes. Et ce à tel point que ces pratiques sont aujourd’hui normalisées aussi bien dans les cercles privés (la famille par exemple) que dans les groupes sociaux (notamment les mouvements sociaux prétendant défendre les droits humains).
L’accès à la terre pour la jeunesse paysanne est un exemple flagrant. Il faut en effet remplir certains critères pour y accéder comme « être analphabète » ou « être marié ou avoir une famille », ce qui fait obstacle aux jeunes. De nombreux jeunes gens ont d’autres rêves, aspirations et objectifs que de fonder une famille, et voudraient s’instruire davantage tout en travaillant la terre – ce qui ne devrait être contradictoire. Ces pratiques et critères imposés pour l’accès à la terre contreviennent aux droits humains tels que « le droit à l’éducation » [8] ou à « la liberté et l’égalité » [9].
Comme nous l’écrivions, la jeunesse a toujours joué un rôle prépondérant au sein des luttes historiques, luttes ayant permis certaines avancées – et il reste beaucoup à faire – en matière de droits collectifs des peuples autochtones, de leur identité et de leurs territoires. On peut même remarquer que ce sont les jeunes qui ont mené les luttes et ont été en première ligne dans la bataille, ce sont également eux qui seront chargés de transmettre l’histoire et les connaissances ancestrales aux nouvelles générations, permettant aux peuples autochtones de continuer à défendre leurs territoires et leur savoir ancestral malgré les cinq siècles de violence et spoliations à leur encontre.
Les jeunes ont donc pu sauvegarder le savoir et la mémoire ancestrale des peuples à travers ce principe crucial des peuples mayas du « dialogue ». Il s’agit ici tout simplement d’échanger mots, connaissances et sagesse pour répondre aux besoins spécifiques de différents contextes, surtout pour résoudre des conflits ou bâtir de nouvelles connaissances. Le Popol Vuh dit « Et ils parlèrent : alors ils se consultèrent et méditèrent. Ils se comprirent ; ils joignirent leurs paroles et leurs avis. » [10] Ces quelques mots d’un des livres sacrés décrivent la bonne manière de trouver des solutions ou bâtir des connaissances. Il ne faut pas oublier le rôle de la transmission intergénérationnelle, chaque génération ayant un rôle à jouer, les plus âgés transmettant expérience et sagesse, les jeunes les recevant pour bâtir de nouvelles connaissances et solutions novatrices.
Ainsi les droits des peuples autochtones – peu nombreux – existent grâce à ces pratiques vertueuses des peuples et au rôle clef des jeunes. Si la majorité des luttes sont aujourd’hui isolées – particulièrement celles des jeunes – cela s’explique par les pratiques imposées aux peuples au fil du temps – l’adultocentrisme en est un très bon exemple – qui sapent les luttes et leur ampleur.
Il faut donc renouer avec la pratique du dialogue intergénérationnel, particulièrement dans les espaces de lutte et de résistance, les luttes devant être liées les unes aux autres pour regagner le poids qu’elles méritent.
La jeunesse est un groupe particulièrement vulnérable puisqu’elle est à l’intersection de différentes violences et sa participation ne doit donc pas être de façade, même si l’on débat de sujets importants -bien au contraire. Les jeunes doivent être en mesure de formuler leurs propres demandes et de chercher des solutions en communauté. Voilà quelle est l’importance cruciale du dialogue intergénérationnel pour un plein exercice des droits humains, plus particulièrement dans notre analyse pour « les droits collectifs des peuples autochtones ».
[1] Consejo Nacional de la Juventud. (2012). Política Nacional de la Juventud -2012 à 2020-.
[2] TSE-. (22 août 2024). Estadísticas de ciudadanos guatemaltecos empadronados. Tribunal Supremo Electoral -TSE-
[3] Serjus, Capitalismo, explotación e injusticia -una historia permanente de despojos, colonialismo y patriarcados- 4ta edición (Guatemala : Serjus, 2021), 17
[4] Serjus, Capitalismo, explotación e injusticia -una historia permanente de despojos, colonialismo y patriarcados-4ta edición (Guatemala : Serjus, 2021), 44.
[5] Universidad de San Carlos de Guatemala, Dirección General de Investigación, Programa Universitario de Investigación En Historia de Guatemala. (2014). Cuatro Ejemplos de la Acción Colectiva sobre la Conflictividad Agraria, liderada por dos Organizaciones Campesinas –Sistematización del Movimiento Campesino guatemalteco-.
[6] Définition de territoire, petit Larousse 2023.
[7] Erik Espinoza, Rejqalem Ri Wa´ix Dimesión Cero -Filosfía maya, etnomedicina y física moderna-, 2a Edición (Guatemala : Editorial Cholsamaj , 2014), 40.
[8] Asamblea Nacional Constituyente, 1986, Constitución Política de la República de Guatemala, 14 de enero de 1986.
[9] ibidem.
[10] Adrián Recinos, Clásicos centroamericanos POPOL VUH las antiguas historias del Quiché (Guatemala : Piedra Santa, 1992), pág. 13.