Les mouvements sociaux et la défense de la démocratie

Mise en ligne: 15 décembre 2024

Au Guatemala, la dynamique propre aux Mouvements Sociaux a influencé leurs principales revendications et donc leurs luttes. Aujourd’hui, on retrouve des groupes structurés devenus mouvements sociaux, tels que des collectifs, groupes multisectoriels, ONG, syndicats, coordinations, organisations rurales ou de soutien. Au gré des circonstances, ils émergent et se réactivent ou bien disparaissent et limitent leurs activités.

Les entités politiques que sont les mouvements sociaux ont joué un rôle important de contrepoids dans l’histoire sociopolitique Guatémaltèque. Les luttes défendent le respect des Droits Humains, de la vie et du territoire, des droits collectifs, sans oublier les revendications sociales et politiques et la défense de la démocratie elle-même, telle que portée par les peuples autochtones en 2023 avec les organisations et mouvements sociaux.

Historiquement, les mouvements sociaux surgissent des secteurs ou groupes les plus touchés ou défavorisés par l’État, les gouvernements ou le modèle économique. Mais c’est surtout l’exclusion qui permet d’expliquer l’action du mouvement social. Il suffit pour le vérifier de se pencher sur le système politique, pensé pour garantir les intérêts de groupes détenteurs du pouvoir politique, économique, culturel et social.

Ce sont les peuples autochtones eux-mêmes qui dès le 19e siècle prennent la tête des premiers mouvements sociaux. Ils le font juste avant “l’indépendance” de 1821 et ces peuples envahis, colonisés, n’en seront pas signataires. L’écrivain et historien Severo Martínez Pelaéz retrace dans ses œuvres La patria del Criollo et Motines de indios les révoltes des peuples contre l’esclavage, les pillages et la brutalité perpétrés par le pouvoir. L’envahisseur accompagnait ces violences de racisme et de discriminations. Les rebellions de l’époque menacèrent les intérêts des colons et de la couronne espagnole. Si les peuples autochtones ne revendiquent pas encore formellement leur indépendance, ils semblent petit à petit en prendre le chemin. Ils allaient concrétiser cette revendication lors de l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne, obtenue le 15 septembre 1821.

Le gouvernement de José Manuel Estrada Cabrera débute en 1898 et prendra fin en 1920. Sous son régime commence la mobilisation étudiante Huelga de Dolores, à l’initiative des étudiants de l’Université San Carlos, encore active aujourd’hui. Les crimes politiques, exécutions et tortures perpétrées contre les opposants par ce gouvernement et s’abattant sur le peuple donnèrent naissance à ces luttes des étudiants et des peuples autochtones, luttes ayant duré tout au long du mandat d’Estrada Cabrera.

En 1925 éclate une grève d’aux moins cent travailleuses du café. Ces femmes travaillant à la récolte et à la sélection du café dirigèrent la contestation du régime de domination, lors de ce qui fut la première grève des ouvrières.
En 1944, la population mécontente s’organise contre le gouvernement militaire de Jorge Ubico, au pouvoir depuis 10 ans. Son autoritarisme soude et unit le peuple, ce qui aboutira à la révolution du 20 octobre.

Dix ans de gouvernements révolutionnaires se déroulent avant que la paysannerie commence à se mobiliser. Les paysans avaient bénéficié de la réforme agraire du décret 900, mais allaient être contraints par la démission du président Arbenz de rendre les terres dont ils avaient bénéficié. On retrouve parmi les organisations qui allaient apparaitre des années plus tard le Comité d’Unité Paysanne.

Après les manœuvres menant à la chute du président Jacobo Arbenz Guzman, appuyées par les États-Unis, s’ouvre une période contre-révolutionnaire. De 1960 à 1996 le pays vit un soulèvement armé auxquels participent hommes comme femmes, étudiants, paysans, syndicalistes, autochtones, universitaires, etc. La guerre durera 36 ans ; les forces sociales liées aux guérillas cherchèrent à prendre le pouvoir pour répondre notamment à ces grands besoins : lutte contre la pauvreté et l’extrême pauvreté, contre les inégalités et la concentration foncière.

Cinq gouvernements se succèdent aux rênes du pays à la suite des accords de paix en 1996. La Commission Internationale Contre l’Impunité au Guatemala (CICIG), dont est détaillé le mandat dans les accords de paix, est mise sur pieds. Elle doit se charger de lutter contre les Corps Illégaux et Appareils Clandestins de Sécurité (CIACS). En 2015, la CICIG dévoile des cas de corruption dans lesquels trempent de nombreux hauts fonctionnaires, dont la vice-présidente Roxana Baldetti et le président Otto Pérez Molina. La population se mobilise donc pour exiger leur démission, et l’obtient.

Après le deuxième tour des élections présidentielles (le 2 octobre 2023), les peuples autochtones et leur divers organes représentatifs tels que : autorités ancestrales, conseils des principaux, Ajq’ijs (« compteurs de jours »), sage-femmes, autorités communautaires, organisations et mouvements sociaux se réunissent et dénoncent ensemble un coup d’État. Les partis traditionnels de droite refusent en effet la victoire du mouvement SEMILLA et veulent utiliser la justice pour empêcher le binôme Arévalo-Herrera de prendre la tête de l’exécutif, alors même qu’ils viennent de gagner les élections.

Le rôle des mouvements sociaux dans l’histoire du pays a été de continuer à défendre les revendications de ces luttes qui s’inscrivent dans un temps de long de plus de 500 ans, puisque les différentes formes d’actions, résistances, révoltes, soulèvements, mobilisations etc. ont été léguées à toutes les générations. Leur objectif étant de limiter et de s’opposer par la lutte et la résistance à la domination totale d’une élite. Quels que soient les noms qu’on leur donne, ces formes variées de luttes et de négociation collective ont été le vecteur de l’opposition à d’un nouvel État, certes différent du précédent mais tout aussi agressif, et s’imposant de plus en plus violemment.

Les peuples autochtones et mouvements sociaux ont toujours été pris dans une constante et âpre négociation avec le nouvel État qui leur a proposé de travailler sur leurs terres spoliées, d’accepter des traitements dégradants et des salaires dérisoires. Il ne leur a évidemment pas été proposé l’indépendance du territoire qui leur avait été dérobé mais pour maintenir son hégémonie l’État devait offrir une indépendance de façade, qui n’offrirait à ces populations qu’un semblant de liberté. L’État ou la nouvelle république allait ensuite proposer des programmes, feuilles de routes, projets et politiques visant à asseoir le contrôle de ces territoires et de leurs peuples. Tout ceci dans un contexte de tensions et de résistance des peuples qui ont cherché à protéger leur identité par diverses mobilisations et résistances.

A la fin du 20e siècle et après 36 ans de guerre interne sont créés des espaces de dialogue. Afin de mettre fin à la guerre des espaces de dialogues au sein desquels l’Assemblée Nationale de la Société Civile est intégrée par divers acteurs, notamment les peuples autochtones. On réussit à y établir que le Guatemala est un pays multiethnique, multilingue et multiculturel. On cherche en s’appuyant sur ces conclusions à négocier avec l’État pour adopter une série de mécanismes d’inclusion profonds et pas simplement réactifs. Cela se solde par un échec et du temps perdu.

La démocratie a été menacée par les partis de droite et pouvoirs ENQUISTADOS, qui ont été battus dans les urnes lors du premier et du second tour des élections les 25 juin et 20 août 2023. Le Ministère Public dirigé par Consuelo Porras confisque les urnes avec la complicité de Rafael Curruchiche, une première dans l’histoire du pays. En effet selon le droit électoral seuls le Tribunal Supreme Électoral et les comités responsables sont habilités à s’emparer des urnes ou à les consulter. Ces agissements permettent au Ministère Public d’annoncer lors d’une conférence de presse l’annulation des élections, provoquant la colère de la population.

Il y eut un avant, un pendant et un après la résistance des 106 jours. Avant le 02 octobre les organisations échangent, se réunissent et décident de leur ordre de bataille pour faire pression sur le Procureur Général. La lutte dure pendant 106 jours. Pour ce qui est de l’après, il faut souligner le moral au plus haut des peuples autochtones. Mais l’acquisition d’un véritable statut politique constitue pour eux le véritable progrès.

Il faut préciser que s’ajoute à la mobilisation des peuples et communautés celle des organisations de la société civile et mouvements sociaux les soutenant la lutte et respectant le crédit que se sont forgé dans la contestation sociale les 48 cantons de Totonicapán, les autorités ancestrales Ixiles mais aussi les autorités autochtones de Sololá, Palín Escuintla, et autres localités à l’initiative de la résistance.

On peut remarquer que les peuples et mouvements sociaux ont toujours résisté jusqu’à réussir à participer pleinement à la contestation. Mais la vraie question est de savoir comment ou dans quelle mesure ils décident de leur évolution collective et quels espaces représentatifs le leur permettent.

Les unités spéciales et commissions présidentielles pour les peuples prévues par les accords de paix ont été immédiatement et intentionnellement affaiblies, finissant par disparaître. Citons l’exemple de La Commission Présidentielle Contre le Racisme (CODISRA), graduellement privée de financements et occupée par des membres des gouvernements au pouvoir. La Commission de Défense des femmes autochtones ainsi que le Fond de Développement Autochtone Guatémaltèque se retrouvent politisées, affaiblies et accusées de corruption. Pourtant sous la présidence d’Arévalo a été récemment rédigée une convention sur les politiques agricoles, signée par les organisations paysannes. Elle institue un dialogue entre la présidence et ces organisations qui vise à répondre aux demandes des travailleurs agricoles et à garantir une croissance durable du secteur.

Les autorités ancestrales ont en outre signé un accord pour le développement de la région du triangle Ixil avec le gouvernement Arévalo.

Quels sont les défis restants ?

Changer les récits est fondamental pour permettre une véritable décolonisation politique des peuples autochtones et des mouvements sociaux. Il faut cesser de parler de populations « pauvres », « vulnérables », « marginalisées », « oubliées » ou « exclues ». Utiliser ces termes est contreproductif et les dépossède comme sujets politiques.

Il faut remettre à l’ordre du jour les demandes formulées par les peuples autochtones dans les accords de paix, comme l’avaient fait à l’époque les autorités du peuple Ixil dans le département du Quiché.

De plus, l’État doit mettre fin aux monocultures et aux industries extractivistes exploitant les territoires arrachés aux peuples autochtones. (Centrales hydroélectriques, entreprises minières et monocultures ont envahi ces territoires et y ont précarisé les conditions d’existence, provoquant pauvreté, faim et migration forcée). Ce processus doit permettre dialogue et négociation avec les élites économiques et de débattre ouvertement du modèle de développement mais également de l’accumulation des richesses volées.
Des politiques de lutte contre le racisme et les discriminations doivent être déployées immédiatement pour endiguer ces fléaux historiques qui créent les conditions de l’extermination des peuples. Il faut donc mettre un terme à toute criminalisation de ceux qui défendent les droits des peuples autochtones, aujourd’hui encore harcelés et assassinés.

Il faudra utiliser aux mieux les recettes issues du tourisme communautaire, pour nourrir non pas le consumérisme et les capitaux externes mais le développement collectif et concrétiser le Utz Kaslemal.

L’articulation et l’organisation des peuples et du mouvement social est fondamental pour définir collectivement un nouvel État en rupture avec l’État colonial.

Le moment est venu pour les mouvement sociaux et peuples autochtones de battre de leurs propres ailes et de se transcender en sujets politiques autonomes. Ils sont en effet passés à l’échelle supérieure dans leurs luttes historiques acharnées. Il faut enfin assurer un suivi du respect des accords signés avec l’exécutif et l’État, pour ne pas s’écarter de cette feuille de route.