Chronique d’une révolution au goût d’inachevé

Mise en ligne: 12 décembre 2014

Le Burkina Faso retient son souffle, avec une situation sociopolitique volatile, une transition mi-civile, mi-militaire et des autorités sous forte pression populaire, par Boureima Ouédraogo, depuis Ouagadougou

Depuis le 31 octobre 2014, une ère nouvelle s’est ouverte au Burkina Faso. En effet, après fait 27 ans et 16 jours à la tête de ce pays, Blaise Compaoré a été contraint de démissionner et de fuir vers la Côte d’ivoire. Le peuple burkinabé, provoqué et défié, a décidé d’écrire une nouvelle page de son histoire. Depuis le Maroc où il a finalement trouvé refuge après la Côte d’Ivoire, il prie sans doute pour ne pas rejoindre l’ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo, à la Cour pénale internationale.

Vendredi 31 octobre 2014, jour de gloire du peuple burkinabé. C’est désormais la date que la génération actuelle a inscrite en lettres d’or dans les annales de l’histoire. C’est surtout le jour où le peuple a retrouvé sa dignité face à un clan et une famille qui s’étaient accaparés de tous les pouvoirs. Ce jour-là, le peuple mobilisé, depuis la veille a contraint le président Blaise Compaoré à la fuite. Ironie du sort, ce dernier voulait encore opérer une révision constitutionnelle pour se maintenir au pouvoir après la fin de son ultime mandat en novembre 2015. Mais il ne pourra même pas terminer ce mandat. Exfiltrés et héliportés par la France, lui et les siens ont ainsi été contraints de fuir. Comme à son accession au pouvoir en octobre 1987, Blaise Compaoré a dû recourir à l’aide de la France pour fuir la colère de son peuple.

Des scènes de liesse éclatent dans presque toutes les grandes villes du Burkina. Des pillages aussi ! Le peuple burkinabé venait de réaliser sa révolution contre celui qui avait 27 ans plus tôt rectifié mortellement la révolution sankariste. Encore une ironie du sort, c’est aux cris de « La patrie ou la mort, nous vaincrons », la devise du Burkina Faso révolutionnaire, que le rectificateur a été dégagé. Cela faisait déjà plus d’un an que des jeunes, sous la conduite de divers mouvements sociaux et de l’opposition politique scandaient dans la rue : « Blaise, salaud ! Le peuple aura ta peau ».

Les choses sont allées trop vite en ce mois d’octobre 2014. Il était écrit qu’il s’en irait comme il est venu et au mois d’octobre. En dix jours, ils ont eu sa peau. La révolution a finalement été accélérée par le gouvernement lui-même. En effet, le 21 octobre 2014, défiant toute logique, le gouvernement, réuni en conseil extraordinaire des ministres, adopte le projet de loi qui modifi les articles 37 et 165 de la constitution. Au terme de ce projet de loi, l’article 37 de la constitution devrait stipuler que : « le Président du Faso est élu pour un mandat de cinq ans au suffrage universel direct, égal et secret. Il est rééligible deux fois » contre une seule fois dans la version antérieure au projet de loi. En ce qui concerne l’article 165, il s’agissait dans le projet de révision d’inscrire l’article 37 parmi les clauses non révisables de la constitution. En somme Blaise Compaoré avait décidé de déverrouiller l’article 37 pour lui-même et de le verrouiller définitivement pour ses successeurs.

Ce projet de loi a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Après avoir essuyé un refus catégorique des principaux acteurs de la vie politique de lui accorder une rallonge pour une période transitoire de deux ans après 2015, Compaoré décide de s’octroyer une possibilité de rester encore 15 ans à la tête de l’Etat. L’une des particularités de cette révision est qu’elle a inscrit dans ses exposés de motifs la mention expresse que Compaoré devait en être bénéficiaire. Le projet de loi est vite transmis à l’assemblée dès le lendemain 22 octobre. L’assemblée à son tour l’a rapidement inscrit à l’agenda de la session en cours. Mieux, dès le 30 octobre.

En tous les cas, ce fut la provocation de trop qui exigeait une réaction appropriée. Ce fut surtout le départ d’une semaine mouvementée, d’échauffement, avec des manifestations sporadiques dans les principales villes du pays dont la capitale Ouagadougou. Face à la réaction de la rue et à la décision de l’opposition de faire échec à l’adoption de ce projet funeste, le pouvoir décide d’interner les 99 députés de la majorité à l’Hôtel Indépendance qui est mitoyen avec l’Assemblée nationale à partir du 29 octobre.

L’opposition de son côté, lance une campagne de désobéissance civile à partir du 28 octobre 2014. Ce jour-là, des centaines de milliers, voire des millions de Burkinabés, à l’appel de l’opposition politique, descendent dans les rues des principales villes du pays pour exprimer leur rejet du projet de loi portant modification de la constitution. Cette mobilisation extraordinaire fut le signe de l’imminence de la révolution.

Les jeunes et les nouveaux mouvement sociaux (Balai citoyen, Collectif anti-référendum, Mouvement Ça suffit ; Front de résistance citoyenne, M21...) étaient sûrs de leur fait. Ils espéraient aussi pouvoir compter sur le patriotisme des forces de l’ordre, notamment de la police et de la gendarmerie. Depuis sa tour d’ivoire de Kossyam, Compaoré s’était déjà coupé des réalités du pays, incapable de lire la situation explosive.

Le 30 octobre devait être une journée funeste pour la démocratie et pour la dignité du peuple burkinabé. Mais c’était sans compter avec la soif de changement qui rongeait la jeunesse burkinabé et certains ainés qui ont décidé de faire échec à ce projet de Compaoré. Ce 30 octobre donc, par milliers, les manifestants, à motos et à pied ont convergé vers le centre de Ouagadougou. Les barrières n’ont pas résisté à la détermination de la foule. Les mains levées, les manifestants avançaient. Peu avant 10h, heure à laquelle devait débuter la séance qui devait réviser la constitution, les barrières sont tombées. L’Assemblée tombe également aux mains des insurgés qui l’ont pillée et mise à feu. Les députés sont exfiltrés et mis en sécurité.

Ce fut une folle journée. Après la chute de l’Assemblée, le cap est mis sur les résidences des dignitaires et sur le palais présidentiel de Kossyam. Les forces de l’ordre ont immédiatement évacué le centre ville, abandonné aux manifestants. Toute la journée, la capitale du Burkina est livrée aux insurgés qui paradent à motos et en voiture. Seuls le palais présidentiel où s’était retranché Compaoré, protégé par sa garde prétorienne, et la résidence de son frère cadet, François, ont résisté aux assauts des manifestants. Les résidences de certains ministres et députés de la majorité ont été incendiées. Chez François Compaoré, les éléments de la sécurité ont tiré sur la foule pour l’empêcher de prendre d’assaut sa résidence. C’est là que sont tombés les premiers morts (trois selon des témoins). Plus loin au Sud de la capitale, à quelques encablures du palais présidentiel, les éléments du même régiment sécurité présidentielle ont également tiré sur la foule, faisant au moins deux morts. Certains parlaient de chiffres effroyables de plusieurs dizaines. Mais jusque-là, le bilan officiel dément ces chiffres.

Dès le lendemain, 31 octobre, la place de la Nation rebaptisée place de la Révolution est prise d’assaut par des milliers de manifestants prêts à terminer ce qu’ils avaient commencé la veille. C’est-à-dire, chasser le vieux capitaine du palais de Kossyam. L’armée est appelée à prendre ses responsabilités pour achever le boulot. Un nom est scandé en chœur par les manifestants : celui du Général à la retraite, Kwamé Lougué. Mais son nom ne passe pas à l’Etat-major général des armées. Etant à la retraite, il ne ferait plus partie des effectifs de l’armée nationale, dit-on du côté des officiers réunis à l’état-major. Mais la rue presse. L’Etat-major désigne un porte-parole pour s’adresser à la foule. Un lieutenant-colonel parfaitement inconnu du grand public escorté par les leaders du Balai citoyen, du Collectif anti-référendum et bien d’autres jeunes, a été désigné pour aller annoncer au peuple. Il s’agit du colonel Yacouba Zida, deuxième de la garde présidentielle. Quelques instants après, on apprend que Campaoré a donné sa démission et a pris la fuite vers le Ghana.

C’est le début d’une confusion totale qui allait durer 48 heures. D’abord, c’est le chef d’état-major général des armées, le général Traoré qui s’autoproclame chef d’Etat. Puis, le colonel Zida. Mais le premier a fini par se ranger derrière le second. L’opposition politique et une partie de la société civile, refusant de reconnaître le pouvoir militaire, appelle à un meeting de clarification, le 2 novembre à la place de la Révolution. Et l’on a frôlé le pire en cette journée pour finalement terminer dans le dialogue entre l’opposition et les militaires.

Depuis ce dimanche 2 novembre, la transition a effectivement débuté sous la houlette du colonel Zida. Elle a abouti, trois semaines plus tard, à l’adoption d’une charte de transition, la désignation d’un président (Michel Kafando) et à la mise en place d’un Gouvernement et d’un Conseil national de transition, réunissant l’ensemble des forces vives de la nation y compris les forces armées. Cette transition doit durer douze mois avec pour principale mission d’organiser des élections générales pour choisir un pouvoir démocratique.

Techniquement, toutes les conditions sont désormais réunies pour un démarrage sans accroc de la transition. Le pays peut donc rendre hommage à ses martyrs. 24 personnes ont trouvé la mort dans cette insurrection à travers le pays. Certaines victimes avaient déjà été enterrées. On a décidé, sur recommandation des organisations de la société civile et des partis politiques, de rendre hommage aux martyrs. Le 2 décembre, six de ces jeunes tombés sur le champ d’honneur ont été inhumés après un cérémonial d’hommage national en présence de toutes les autorités de transition et d’une foule immense.

Le Burkina revient de loin. Il a frôlé la catastrophe. Il reprend lentement ses marques. Mais la transition s’annonce plus compliquée qu’elle ne le paraît. Le pouvoir bicéphale à la tête de l’Etat entre un premier ministre militaire dont l’agenda n’est pas très lisible et qui fait preuve d’un populisme parfois exagéré et un président aux allures de sage mais très ferme dans ses prises de position, il est à craindre que la machine ne se grippe. En outre, 90 parmi les membres du Conseil national de transition qui fait office de parlement transitoire, il y a très peu d’hommes et de femmes connus pour leurs compétences et leurs expériences au service de l’intérêt général. En fin de compte et en attendant de voir ce que réservent les prochaines semaines ou prochains mois, la révolution burkinabé a un goût d’inachevé.