Entre prises de pouvoir et changements sociaux

Mise en ligne: 12 décembre 2014

De la Haute-Volta à la révolte populaire du 31 octobre 2014, un panorama historique du Burkina Faso, par Olivier de Halleux

La révolte populaire burkinabée du 31 octobre 2014, en réponse à l’intention de Blaise Compaoré de réviser la constitution, relance les attentes politiques de toute une nation. Certes, la désignation du président intérimaire Michel Kafando a été mis en cause. Kafando a, en effet, représenté le gouvernement de Compaoré aux Nations-Unies de 1998 à 2001. Le politologue burkinabé Siaka Coulibaly ajoute que le président intérimaire surfe sur les thèmes qui touchent le peuple [1]. Notamment en promettant d’exhumer et d’identifier la dépouille de Thomas Sankara, ex-président tué lors du putsch de Blaise Compaoré en 1987. Les habitants du Burkina Faso ont donc peur de revoir la même stratégie politique se remettre en place. C’est-à-dire une prise du pouvoir calculée, sans plus.

Les tensions et les doutes sont par conséquent persistants quant au futur du gouvernement post-révolte. Il est clair que les défis sont de taille et que la transition doit suivre les échéances souhaitées, à savoir des élections courant 2015. A ce stade, le Burkina Faso est dans une inconnue malgré la désignation récente des 26 ministres. En effet, comment garder la stabilité et la sécurité territoriale intérieure atteintes par Compaoré, après 27 ans de pouvoir, tout en se détachant de sa politique autoritaire ? La tâche sera difficile mais le Burkina a le mérite d’être un des rares pays de l’Afrique Noire a s’être soulevé face aux injustices sans tomber dans le piège de la guerre. Dans le sillage des révolutions du Nord de l’Afrique, l’espoir est immense.

Défis actuels et futurs

Le mot Burkina vient du moiré, première langue du pays, et signifie honneur, intégrité, tandis que Faso en dioula (deuxième langue nationale) veut dire territoire, terre des ancêtres, patrie [2]. Ce nom a été choisi un an après le coup d’État de Thomas Sankara, soit le 4 août 1984. La révolution sankariste avait la volonté de rendre aux Burkinabés ce qui leur appartenaient.

Trente ans plus tard, les difficultés sont multiples. Une justice bancale loin d’être indépendante, une corruption profonde, une inégale répartition des richesses et une main mise sur les moyens de production par des grandes familles. Malgré les avancées économiques et sociales, une large partie de la population est dans une situation de pauvreté alarmante [3]. « Selon un rapport du Programme des Nations unies pour le développement, publié en 2003, la part du revenu national appartenant aux 10 % les plus pauvres était de 1,8 % contre 60,7 % pour les 10 % les plus riches » [4].

Dans l’immédiat et à la suite de l’insurrection, il convient de stabiliser et de conserver la gestion collective territoriale instituée par la Constitution de 1991 [5]. La dissolution du gouvernement, et par conséquent celle de la Constitution, ne doit pas porter préjudice aux acquis de la décentralisation. L’enjeu étant de pérenniser l’essor économique et social tout en participant à la transition politique. Trois cas de figures sont possibles. Soit les acteurs locaux sont écartés, car liés à l’ancienne législature, mais l’État perdrait alors vingt années de travail en la matière. Soit ils sont maintenus avec l’incertitude de la continuité des activités suite à la transition. Soit des élections anticipées sont organisées mais difficilement faisables dans un climat socio-politique tendu. C’est donc un défi de plus qui attend le gouvernement Kafando.

Au-delà de ces éléments, ce sont les consciences et les esprits qui sont empoisonnés par une vision d’une politique clientéliste et d’un pouvoir total. Le plus grand défi du pays est peut-être d’impulser une nouvelle vision des plus hautes instances loin de ses excès et ses déboires. L’objectif étant de donner la chance à une jeunesse en demande d’un renouveau du fondement politique burkinabé. C’est par un changement politique profond que la situation sociale et économique pourra s’améliorer et viser la majorité.

Tradition de luttes sociales

Pourquoi la révolte populaire s’est-elle manifestée, avec réussite, au Burkina au contraire d’autres pays d’Afrique noire ? Et comment le Burkina Faso est-il arrivé à un bilan sociétal préoccupant malgré les avancées ? En replaçant les événements dans l’histoire du pays, on remarquera sa tendance à être en proie à la contestation sociale tant civile que politico-militaire. C’est d’ailleurs cette double concordance qui a certainement précipité la chute de Blaise Compaoré car il n’a pas pu calmer les deux oppositions dans le même temps. Reprenons trois faits marquants qui peuvent expliquer cette prégnance à la révolte avant de détailler la mise en place et le fonctionnement de l’ère Compaoré qui explicitera la complexité de la conjoncture actuelle.

Le Burkina Faso était anciennement nommé la Haute-Volta [6]. Elle fait référence à la découverte des Portugais de ce territoire au 15ème siècle. Ils ont appelé le cours d’eau principal Rio da Volta ou Fleuve du Retour. A la fin du 19ème siècle, la France conquit la Haute-Volta qui fut érigée en territoire militaire de 1896 à 1904, puis intégrée à la colonie du Haut-Sénégal-Niger de 1904 à 1919. C’est le 1er mars 1919 qu’un décret est signé afin de détacher la Haute-Volta du Haut-Sénégal-Niger. Le Ministre des Colonies de l’époque, Henri Simon, argumente ce choix auprès du Président Poincaré en mentionnant l’éloignement du territoire du chef-lieu Bamako qui ne permet pas une régularité de son contrôle. L’intérêt est donc politique et à celui-ci s’ajoute l’économique. En effet, les ressources naturelles sont nombreuses et la forte densité de population permet une bonne production et gagne à être autonome. Les chiffres le prouvent. De 1920 à 1932, les recettes de la colonie sont passées de 5 a 36 millions de francs français.

Malgré cette croissance, la France décide en 1932 de supprimer la Haute-Volta pour des raisons économiques. Les dépenses de l’Afrique occidentale française sont trop lourdes et les finances se portent mal. C’est dans ce contexte que les premières revendications d’un peuple vont naître. La haute hiérarchie du pays mossi, représentée par Mogho Naaba Koom, va plaider pour un maintient de la colonie en envoyant une série de lettres aux responsables français. En vain, la colonie est démantelée et les chefs mossis doivent se résigner à l’évidence.

Il faut attendre la fin de la Deuxième guerre mondiale pour que la cause du rétablissement de la Haute-Volta refasse surface. En septembre 1947, les mossis sont entendus et un nouveau décret vient réhabiliter la Haute-Volta. Il s’agit du premier combat gagné par la population burkinabée.

Indépendance autoritaire

De cette réussite, va naître un sentiment fort d’appartenance à un territoire et à une nation. Il permettra d’arriver à l’indépendance du pays le 5 août 1960 dans un climat pacifique. C’est Maurice Yaméogo, issu des cadres intégrés de l’administration coloniale, qui devient le premier président de la Haute-Volta. Il installe une politique autoritaire sous le joug d’un parti unique, le Rassemblement démocratique africain. S’ensuit l’élimination des principaux concurrents politiques conjuguée à des mesures économiques impopulaires et à une forte corruption. Il n’en faut pas plus pour que la révolte générale, menée notamment par les chefs coutumiers, peu à peu écartés, éclate et met au tapis Yaméogo le 3 janvier 1966. A partir de cette date et jusqu’au 21 novembre 2014, date de l’investiture de Kafando, le pays sera dirigé par des présidents issus de l’armée nationale. Cette dernière aura sans cesse canalisé la voix du peuple en l’absence d’une opposition politique faible. S’installe alors un système étatique qui ne se modifiera que très partiellement lors des différentes tentatives de mise en place de constitutions.

Dans cet environnement politique instable, dans lequel la population n’a plus confiance, une gauche révolutionnaire se construit sur une minorité syndicaliste et étudiante ainsi que sur une armée divisée. Par deux fois, en 1980 et 1982, les gauchistes renversent le régime militaire mais aucun gouvernement n’arrivera réellement à émerger.

Le mythe Sankara

Le 4 août 1983, le capitaine révolutionnaire Thomas Sankara [8], appuyé par son ami Blaise Compaoré, s’empare du pouvoir. Encore une fois, c’est l’armée qui est garante de la sécurité et de la stabilité de l’État. La Haute-Volta, qui prend le nom de Burkina Faso un an plus tard, est alors un pays paradoxal. C’est un des plus ruraux et conservateurs de l’époque, mais il ira au bout de la logique révolutionnaire. Il suit également toujours l’ordre établi tout en étant contestataire au moment nécessaire et cela sans guerre. Une dynamique et une particularité burkinabée ancrées définitivement par le charisme de Sankara.

Durant sa présidence, celui qu’on a appelé le Che africain veut réformer complètement l’État en réaction aux « 23 années de néo-colonisation », comme il les appelle. Il souhaite édifier un « État de démocratie populaire » [9]. Le nouveau pouvoir est d’inspiration marxiste-léniniste et dominé par le Conseil national de la révolution (CNR) présidé par Sankara. Aucun contre-pouvoir n’est toléré et les anciens hommes politiques n’auront plus le droit de participer à la vie politique.

On retiendra de la politique sankariste un engagement sans précédent dans l’histoire du Burkina-Faso. Une grande réforme agraire fut lancée, des campagnes de vaccination d’alphabétisation furent déployées ainsi que des accès aux soins et aux logements. La révolution transforme le pays en donnant plus d’espace de liberté aux femmes et aux enfants tout en la reprenant à d’autres. La force de Sankara était sa sincérité. En vivant de manière austère, loin des palaces présidentiels, et en prônant le made in Burkina, il a pu avoir la confiance du peuple pour redorer l’image du pays sur le plan international.

Pourtant, les querelles internes du parti et les abus du régime mèneront au coup d’État de 1987 et à l’assassinat de Thomas Sankara conduits par Blaise Compaoré. En agissant de la sorte, ce dernier fait de Sankara un martyr et un héros qui deviendra par après presqu’un mythe. Celui du sauveur d’un peuple qui aurait pu être le chef de file de toute l’Afrique.

Les trois clés du pouvoir de Campaoré

Le 15 octobre 1987, Thomas Sankara est tué avec treize autres personnes par un groupe de proches du futur président [10]. A l’heure actuelle les circonstances exactes du meurtre sont toujours inconnues.

Une fois aux manettes, Blaise Compaoré installe un régime autoritaire et assassine rapidement ses opposants et frères d’armes révolutionnaires, Henri Zongo et Jean-Baptiste Lingani. Il va ensuite s’ouvrir aux chefs coutumiers et aux syndicats oubliés volontairement par Sankara. L’objectif étant bien de construire les fondations de son pouvoir. Durant ses 27 années à la présidence, il va réussir à instaurer une stabilité politique (qu’aucun de ses prédécesseurs n’a atteint) qui de surcroît va lui laisser l’emprise sur l’échiquier étatique. En centralisant le pouvoir, il a accentué la politique basée sur la peur afin d’être omnipotent. Son engagement dans le règlement des crises et conflits des pays frontaliers (la guerre au Mali, par exemple) lui a donné également l’image du diplomate capable d’apaiser les tensions de la région. Sur la scène internationale, il est apprécié pour ses qualités de médiateur et obtient les louanges de nombreux présidents étrangers. Il en a d’autant plus gagné en légitimité dans l’exercice de ses fonctions de chef d’Etat.

L’hégémonie et la richesse monétaire du parti unique, alors que le multipartisme est autorisé, sont totales. L’ex-président écrase ou soudoie ses adversaires. Par conséquent, Compaoré détient et domine tous les dispositifs du pouvoir. Il va également nettoyer l’armée de ses opposants sankaristes afin de la contrôler et de s’en protéger. Compaoré n’hésitera pas à se créer une milice composée de commandos sur-entraînés et bien plus équipés que le reste des militaires. C’est encore une autre tactique qui lui permet d’asseoir un peu plus son autorité.

La troisième clé du pouvoir est la réhabilitation de la chefferie traditionnelle. Compaoré désire calmer les frustrations de la révolution mais surtout profiter de l’implantation et de la puissance des chefs coutumiers dans le monde rural. Aussi appelés Bonnets rouges en référence à leur couvre-chef, ils sont très respectés par les habitants et jouent un rôle important dans les conflits locaux. Ils deviennent les meilleurs représentants du parti de Campaoré en donnant des consignes de vote aux Burkinabés qui n’hésitent pas à écouter la parole de la tradition.

Le système est donc savamment construit et géré mais n’arrive pas à contrôler ses excès. Par deux fois, avant l’insurrection populaire d’octobre 2014, il aura vacillé et à chaque reprise dans des affaires meurtrières planifiées et impunies. La première s’est déroulée en 1998. Le journaliste Norbert Zongo est assassiné alors qu’il enquête sur le meurtre de David Ouédraogo, le chauffeur de François Compaoré, frère cadet et conseiller spécial du président. Zongo gêne la famille Compaoré car il s’avère que l’assassinat du chauffeur les mettait en cause. Le journaliste est donc également éliminé et son décès présenté comme un accident par le pouvoir. La population, représentée par l’opposition et la société civile, réagira et se révoltera face à la lenteur de l’enquête et aux carences de la justice contrôlée par le pouvoir. Afin de calmer les esprits, des coupables seront finalement désignés dans l’affaire du chauffeur et il y aura un non-lieu dans celle de Zongo. La disparition du journaliste a profondément choqué les Burkinabés et elle a encore des répercussions aujourd’hui. Sous la pression de la société civile, le ministre de la Culture du gouvernement intérimaire, Adama Sagnon, a d’ailleurs démissionné suite à son implication dans cette affaire [11].
Suite à la révolte de soutien à Norbert Zongo, Compaoré fera des promesses sans les tenir. Une autre crise frappera alors le pays. Dans la nuit du 19 au 20 février 2011, Justin Zongo (aucun lien de parenté avec le journaliste) décède après un passage à tabac de la police. Les autorités répondront que la mort de l’étudiant est due à une méningite. La population ne supporte pas ce mensonge et manifeste dans tout les pays. Blaise Compaoré doit faire face à des révoltes multiples sans représentants officiels. Il décide alors de déployer l’armée dans les rues mais certains soldats commettent des exactions. La population les verra comme les preuves d’une perte du contrôle de l’armée qui est en réalité une miniature de la société inégalitaire burkinabée. Après les mouvements, le président réformera complètement l’armée afin de maximiser son pouvoir. Il aura confirmé encore un peu plus sa volonté d’être le tout puissant en manipulant toutes les franges de la société.

Vers la situation actuelle

On comprend mieux maintenant pourquoi les dernières émeutes ont eu lieu au Burkina Faso. Ce pays a en effet une longue tradition de revendications et de révoltes. On aperçoit également comment le système autoritaire de Compaoré a pourri le pays. Il a creusé un fossé profond entre les riches et les pauvres durant 27 années. En présentant des avancées chiffrées trompeuses, l’ex-président s’est servi dans la marmite du pays du Faso et son appétit insatiable du pouvoir aura eu raison de lui.

Le point positif est que le Burkina, avec ses nombreuses crises, n’a jamais connu la guerre et a su toujours se redresser après les moments de doute. Comme à l’image du mouvement Balais citoyen12 d’octobre 2014 qui, après avoir balayé le président Compaoré, s’est activé à brosser et nettoyer les rues de Ouagadougou. Mais le peuple ne doit pas encore se laisser endormir. La question reste par conséquent posée : comment amorcer une nouvelle politique juste et égalitaire tout en gardant la stabilité ? De plus, comment s’écarter des politiques révolues avec des ministres qui ont connu deux générations de présidents ? Certains accusent Michel Kafando d’être la marionnette de l’ex-lieutenant colonel Yacouba Zida, maintenant premier ministre. L’armée serait-elle donc encore au pouvoir ? [13].

Seule une nation déterminée permettra de faire de cette insurrection une réussite politique. Mais les enjeux ne sont pas centrés seulement dans le pays. Dans le contexte de la mondialisation, les pressions de l’Occident et institutions internationales sont fortes. Le Burkina Faso devra alors jouer avec ces directives afin d’imposer une nouvelle politique propre à son africanité.

[1] Jeune Afrique, Le Burkina attend son gouvernement, le poids du président intérimaire en question, 22 novembre 2014
[2] Trésor Kibangula, Dix choses que vous ne savez pas sur l’origine des noms des pays africains, Jeune Afrique, 10 octobre 2014
[3] « L’espérance de vie est passée de 48,3 ans en 1994 à 54,07 ans en 2012. Le taux brut de scolarisation primaire était de 57 pour cent en 2005 et 77,6 pour cent en 2011. Un fort taux de croissance économique est à noter, qui était de 5,5 pour cent entre 1997 et 2007, et qui est passé à 7 pour cent en 2012. Ceci-dit, 46 pour cent de Burkinabés vivent toujours sous le seuil de pauvreté ce qui en fait un des Etats les plus pauvres du monde. » Banque mondiale et The World Factbook, 2013.
[4] International Crisis Group, Burkina Faso : avec ou sans Compaoré, le temps des incertitudes, 22 juillet 2013, p.13.
[5] Raogo Antoine Sawadogo, Les collectivités territoriales dans la transition politique en cours au Burkina-Faso : Point de vue du Laboratoire citoyennetés, 7 novembre 2014
[6] Roger Bila Kaboré, Histoire politique du BurkinaFaso, 1919-2000, L’Harmattan, 2002, pp. 11 à 20.
[7] Op.cit., International Crisis Group, pp. 3 à 4.
[8] Ibidem, pp. 6 à 9.
[9] Discours prononcé par Thomas Sankara le 2 octobre 1983, le Discours d’orientation politique ou « DOP »dans International Crisis Group, Burkina Faso : avec ou sans Compaoré, le temps des incertitudes, 22 juillet 2013, p.6.
[10] Ibidem, pp. 9 à 36.
[11] RFI, Burkina-Faso : mis en cause, le ministre de la culture démissionne, 25 novembre 2014.
[12] Rakotomalala, Après avoir chassé le Président, le « Balai citoyen » du Burkina nettoie les rues de Ouagadougou, Rue 89, 3 novembre 2014.
[13] Benjamin Roger, Burkina-Faso : les civils au garde-à-vous ?, Jeune Afrique, 26 novembre 2014.