On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut tromper tout le peuple tout le temps, disait Sankara. Presque trente ans plus tard le peuple lui donne raison, par Aminata Wanga
15 octobre 1987, il est environ 18h, je suis à la cuisine avec mes sœurs quand, soudain, nous entendons des coups de feu. Un grand silence règne pendant des longues minutes. Une transpiration de peur nous dégouline dans le dos. Quelqu’un arrive et nous annonce que le capitaine Thomas Sankara est mort. Il annonce aussi le couvre feu suivant lequel nous ne pouvons plus sortir après une certaine heure. J’ai alors huit ans.
Ce sont les seuls vagues souvenirs que j’ai de ce soir là, de ce jour fatidique qui a plongé le peuple burkinabé dans une tristesse profonde, dans une rage encore non calmée aujourd’hui.
Faisons un peu d’histoire. Connu sous le nom de Pays des hommes intègres, le Burkina Faso, jadis Haute Volta est situé en Afrique de l’ouest. C’est Sankara qui a donné le nom de Burkina Faso à cette patrie. Pour lui, le nom de Haute Volta n’avait aucun sens pour le peuple burkinabé puisqu’il avait été imposé par les colons, le peuple ne se reconnaissait pas dans cet appellation. Ce changement de nom a aidé le peuple à prendre conscience que la culture coloniale n’est pas la sienne.
Thomas Sankara, au pouvoir depuis seulement quatre ans avant les faits de mon introduction était un homme imprévisible avec un grand esprit de panafricanisme, anti-impérialiste et proche du peuple. Avec toute sa personnalité et ses convictions, il a fait beaucoup de bien au peuple : il a œuvré pour la valorisation de la culture traditionnelle, il a réveillé la population par ses actions, il a secoué les fonctionnaires. Il a essayé d’enseigner au peuple un changement dans l’image d’eux-mêmes par rapport à l’esprit colonialiste qui leur avait été inculqué pendant de nombreuses années. En quatre ans, Sankara a élevé le niveau de vie de la population et le Burkina a atteint l’auto suffisance alimentaire. Sankara était un président accessible, il connaissait bien son peuple car il se déplaçait dans tous les villages. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes s’identifient à lui, Il est devenu un modèle, une référence, un exemple.
Mes activités à Bruxelles m’emmènent à cotoyer beaucoup de gens, surtout dans la communauté africaine. Chaque fois que j’annonce que je suis Burkinabée, je reçois comme réponse : « Ah, tu es une fille de Sankara… ». Sankara nous apporté un sentiment national fort et beaucoup de fierté.
L’assassinat de Sankara était prévisible. Il ne s’en laissait pas compter et son franc parler dérangeait beaucoup les dirigeants occidentaux. Il mourra en révolutionnaire à cause du coup d’état de son ami Blaise Compaoré, fortement soutenu par des puissances étrangères. Tout le début du règne de Compaoré est marqué par la peur des Burkinabés qui se mue par la suite en protestation. Tous ses faits et gestes avaient pour finalité de consolider son pouvoir sur toutes les couches de la société.
Contrairement à son prédécesseur, Blaise Campaoré est un président inaccessible. On le voit plus dans les télévisions des pays voisins que dans son propre pays, il jouit d’une grande popularité …à l’extérieur de son pays. De ce fait, il devient médiateur dans plusieurs crises de la sous région. Contrairement à Sankara qui a œuvré pour rendre le Burkina aussi autonome que possible, Campaoré a œuvré pour que ses proches soient à l’abri, ce qui a provoqué beaucoup d’injustices et crée un climat malsain.
Ceux qui voulaient de la transparence dans la gestion de l’Etat se voyaient mettre des bâtons dans les roues, au point de démissionner ou quitter le pays. Les artistes qui osaient critiquer la mal gouvernance étaient aussi dans le collimateur de Blaise Compaoré. C’est le cas d’Alpha Blondy, artiste ivoirien qui s’est vu coller l’étiquette de persona non grata lorsqu’il a chanté à Ouagadougou pour l’ouverture du Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou, en 1999.
Un autre exemple est celui de Black So Man. Il a eu moins de chance, car il a été mystérieusement tué dans un accident quelques mois après la sortie d’un album dans lequel il dénonçait la mauvaise gestion du gouvernement. Les étudiants n’étaient pas non plus épargnés. Il régnait un affreux climat de peur au Burkina : des étudiants protestataires ont même disparu et leurs familles n’ont même pas eu droit à recevoir leurs corps pour pouvoir faire son deuil.
Dans cette injustice flagrante, accentuée par le silence complice de la communauté internationale, un ras-le-bol va toucher tout le people, des érudits aux moins instruits. C’est dans cette ambiance que naîtront plusieurs associations, des partis politiques ainsi que des organisations de la société civile.
Parlons plus particulièrement du Balai citoyen, au centre de la lutte pour un changement démocratique. Il a été créé par deux artistes musiciens, l’un rappeur, Smokey, et l’autre reggaeman Sams K Le Jah. Ces deux artistes oeuvrent pour amener les citoyens burkinabés à reconsidérer leur rôle dans la marche de la société comme l’a fait Sankara.
La création de leur mouvement fait suite au projet de Blaise Compaoré de créer un sénat qui lui aurait permis notamment d’abroger la limite des mandats, le sien en particulier. Pour lui, quitter le pouvoir revenait à perdre son immunité, à être considéré comme un simple citoyen et à renoncer à tous les avantages qu’il s’était octroyé. Malgré plusieurs mises en garde du peuple, il s’est entêté à vouloir modifier la constitution.
Comme l’a dit Sankara : « On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut tromper tout le peuple tout le temps ».
Poussé par sa jeunesse, le peuple s’est enflammé refusant le vote de l’article 37 qui devait changer la constitution et permettre ainsi à Campaoré de rester indéfiniment au pouvoir.
Abandonner son fauteuil presidential revenait à dire qu’il devrait répondre des crimes commis depuis 1987, notamment celui de Sankara et du journaliste Norbert Zongo, assassiné le 13 décembre 1998 : un crime odieux qui avait mis le pays tout entier en ébullition. A travers tout le territoire national, des marches, des meetings, des sit-in ont été organisés pour revendiquer vérité et justice sur cette affaire que d’aucuns ont qualifié de crime d’Etat contre un journaliste.
Le 30 et 31 octobre 2014, le Balai citoyen ainsi que les différentes organisations de la société civile sont parvenus à mobiliser le peuple burkinabé, qui est descendu dans la rue en une marche qualifiée de Révolution noire, suivie par presque tous les Burkinabés qui vivent à l’extérieur grâce aux réseaux sociaux, ce qui a été mon cas.
Ce mouvement populaire a ainsi mis fin à 27 ans de dictature et à faire fuir Blaise Compaoré hors du Burkina. La plupart des jeunes qui ont participé à ces actions étaient de très jeunes enfants au moment où Campaoré prenait le pourvoir et d’autres n’étaient pas encore nés.
Le soulèvement, je l’ai vécu à Bruxelles, loin de Ouagadougou, de mes amis, de ma famille. Je vivais tous les instants grâce aux vidéos que les amis postaient sur les réseaux sociaux et d’autres qu’on m’envoyait sur mon téléphone. Et au moment où l’on voit tout un peuple debout, ensemble, et qui ne fait qu’un, cela donne des frissons. Ce me fut dur de ne pas être sur place et de participer à ce changement de manière différée. Lorsqu’il y a eu la révolution arabe, j’ai souhaité que mon pays la vive, mais en même temps, je ne voulais pas de bain de sang.
Malheureusement, l’on sait qu’il n’y a pas de révolution sans victimes. Au moment de l’insurrection populaire, l’armée burkinabée s’est finalement rendu compte que la situation était intenable pour elle. Elle a eu une réaction très molle dans le sens que les militaires ne se sont pas opposés à l’assaut des jeunes sur les bâtiments publics. Cela a eu pour conséquence d’éviter un bain de sang. Notons néanmoins que 19 personnes ont perdu la vie.
Le colonel Zida, qui avait été proclamé président par intérima le lendemain de l’insurrection populaire, a tenu sa parole en remettant le pouvoir aux civils, car c’est à eux que revient la victoire. Un gouvernement de transition a donc été mis en place pour préparer les élections de 2015. Pour beaucoup de Burkinabés, une page a été tournée.
Ce soulèvement populaire ne laisse penser qu’une chose : les Burkinabés sont devenus encore plus vigilants sur leurs dirigeants car ils se sont enracinés dans la démocratie. Comme si le destin même se dressait contre l’ancien président, les choses se sont passées un mois d’octobre, ce même mois qui avait vu Blaise Compaoré accéder au pouvoir par la force, en faisant couler le sang. Que les âmes des victimes de l’insurrection reposent en paix et vive mon Faso !