L’idée que nous aidons l’Afrique comporte de sérieuses erreurs

Mise en ligne: 12 décembre 2014

La combinaison de politiques inéquitables, disparités dans la distribution du pouvoir et activités criminelles soutenues par les élites maintient l’Afrique dans la pauvreté, d’après un rapport commandé par des ONG britanniques et africaines

Le budget de l’aide internationale du Royaume-Uni [Rapport commandé par des ONG britanniques et africaines et publiée en 2014. Vous pouvez le trouver sur de nombreux sites en tapant « Honest Accounts ? The true story of Africa’s billion dollar losses ».] est l’objet d’attaques de ceux qui disent que, pendant une période d’austérité, notre générosité à l’égard des régions les plus pauvres du monde est quelque chose que nous ne pouvons plus nous permettre. Tous les leaders des principaux partis politiques ont défendu fièrement le bilan du Royaume-Uni en tant que donateur. Et le secteur des ONG internationales applaudit publiquement…. C’est un dialogue malhonnête qui renforce dans l’esprit du public que l’Afrique est un problème qui nous coûte de l’argent. Il cache la vérité suivante : nous prenons beaucoup plus que nous donnons.

Si les politiciens veulent vraiment se surpasser les uns les autres pour démontrer leur volonté de lutter contre la pauvreté mondiale alors ils doivent admettre qu’ils font partie de ceux qui la perpétuent et s’engager à réformer ces systèmes internationaux qui coûtent des ressources à l’Afrique. Et le secteur des ONG de développement du Royaume-Uni doit faire pression sur eux pour qu’ils le fassent.

La réalité c’est que l’Afrique est drainée de ses ressources par le reste du monde. Chaque année, ce continent perd beaucoup plus qu’il ne reçoit. Si 134 milliards de dollars entrent sur le continent chaque année, principalement sous forme de prêts, d’investissements étrangers et d’aide, 192 milliards de dollars sortent du continent, principalement dans les bénéfices réalisés par les entreprises étrangères, l’évasion fiscale et les coûts de l’adaptation au changement climatique. Le résultat est que l’Afrique subit une perte nette de 58 milliards de dollars par an. En tant que telle, l’idée que nous aidons l’Afrique est erronée ; c’est l’Afrique qui aide le reste du monde. Alors que nous sommes amenés à croire que « l’aide » du Royaume-Uni et d’autres pays riches pour le continent africain est une marque de notre générosité, notre recherche montre que c’est une tromperie. Les pays riches, y compris le Royaume-Uni, bénéficient des pertes de l’Afrique. Alors que l’aide à l’Afrique s’élève à moins de 30 milliards de dollars par an, le continent perd chaque année 192 milliards de dollars en raison de ressources qui fluent principalement vers les mêmes pays qui fournissent cette aide. Cela signifie que chaque année les citoyens africains perdent presque six fois et demi ce que leurs pays reçoivent de l’aide au développement. Pour 100 euros d’aide au développement, 640 euros reviennent aux pays donateurs. Cela exige que nous repensions notre rôle dans la lutte contre la pauvreté en Afrique.

192 milliards de dollars, c’est plus qu’il n’en faut chaque année pour éliminer la faim, assurer l’éducation primaire universelle, améliorer l’accès à l’éducation secondaire, offrir une couverture santé accessible à un grand nombre de maladies, des installations sanitaires et de l’eau potable ainsi que de l’énergie durable pour tous dans le monde – et pas seulement en Afrique.

Notre recherche est, nous le croyons, la première tentative d’une comparaison exhaustive de l’ensemble des flux de ressources vers et hors de l’Afrique. Nous avons calculé les montants qui quittent l’Afrique chaque année et les comparons aux ressources qui circulent vers le continent. Notre recherche montre que l’Afrique perd :
• 46.3 milliards de dollars bénéfices réalisés par les entreprises multinationales.
• 21 milliards de dollars en paiements de la dette, souvent à la suite de prêts irresponsables.
• 35,3 milliards de flux financiers illicites facilités par le réseau mondial des paradis fiscaux.
• 23,4 milliards de dollars de réserves de devises étrangères apparaissent comme des prêts à d’autres gouvernements.
• 17 milliards de dollars en exploitation forestière illégale.
• 1,3 milliard de dollars par la pêche illégale.
• 6 milliards en raison de la migration de travailleurs qualifiés de l’Afrique.
En plus de ces flux de ressources l’Afrique est contrainte de payer :
• 10,6 milliards pour s’adapter aux effets du changement climatique qu’elle n’a pas causé.
• 26 milliards de dollars pour promouvoir une croissance économique faible en carbone.

Si ces flux financiers et les coûts sont comparés avec les entrées en Afrique, le résultat est une perte nette annuelle de 58,2 milliards de dollars. C’est plus d’une fois et demie le montant supplémentaire nécessaire pour fournir des soins de santé abordables pour tous dans le monde. Si le reste du monde continue à piller l’Afrique au même rythme que maintenant, 580 milliards de dollars seront pris aux peuples africains au cours des dix prochaines années.

Pourtant, cette fuite des ressources de l’Afrique est ignorée de manière à maintenir la propagande de l’aide. Alors que la Grande-Bretagne et d’autres gouvernements riches sentimentalisent sur leur généreuse aide au développement, et que de nombreuses ONG continuent à collecter des fonds, les citoyens des pays donateurs qui sont touchés eux-mêmes par les mesures d’austérité, demandent pourquoi nous distribuons si généreusement de l’argent pour l’Afrique. Pendant tout ce temps chaque citoyen africain donne de sa poche 62 dollars chaque année pour le reste du monde.

Le gouvernement britannique a été largement salué pour sa capacité à satisfaire son engagement dans l’aide au développement ; mais, en même temps il préside sur le plus grand réseau de paradis fiscaux au monde qui permet de voler à l’Afrique des milliards de dollars chaque année.

Un écran de fumée s’est étendu sur l’aide au développement et cache une réalité perverse dans laquelle le Royaume-Uni et d’autres gouvernements riches font état de leur générosité tout en aidant simultanément leurs entreprises à drainer les ressources de l’Afrique. Les entreprises étalent leur « responsabilité d’entreprise » tout en faisant circuler leurs bénéfices par des paradis fiscaux ; de riches philanthropes donnent de l’argent alors que leurs entreprises esquivent l’impôt ; et les stratégies de collecte de fonds à court terme risquent de rendre les ONG coupables de faire croire que la pauvreté peut être résolue si nous donnons quelques sous, tout en ignorant le vol à grande échelle qui se déroule sous notre nez.

En comparant l’argent qui sort de l’Afrique avec ce qui entre (aide au développement et autres apports) on voit que l’Afrique perd annuellement 58 milliards de dollars, et quand on compare uniquement avec l’aide gouvernementale la différence s’élève à 162 milliards de dollars.

L’Afrique n’est pas pauvre ; mais la combinaison de politiques inéquitables, les disparités dans la distribution du pouvoir et les activités criminelles perpétrées et soutenues par les élites riches à l’intérieur et en dehors du continent maintiennent ses peuples dans la pauvreté. Le Royaume-Uni et d’autres gouvernements des pays riches sont au cœur de cette spoliation.
Aider l’Afrique à faire face à ses problèmes de développement signifie rendre visible l’écran de fumée de l’aide, et changer les politiques gouvernementales qui le maintiennent.

Si nous continuons à perpétuer ce récit de l’aide malhonnête, nous risquons des dommages à long terme pour le développement. Pendant des années, le public britannique a été invité à donner de l’argent à l’Afrique, mais la fin de la pauvreté n’est nulle part en vue. Les vraies raisons de cet échec sont fortement cachées. À une époque d’austérité mondiale ce besoin, apparemment incessant d’« aide » suscite naturellement des questions sur le rôle que jouent le gouvernement et le public britannique en Afrique, et sert directement ceux qui souhaitent saper la solidarité internationale pour en tirer un gain politique.

Il est grand temps pour le gouvernement britannique, les politiciens, les médias et nous les ONG de mettre fin à cette vision déformée de notre « générosité » pour prendre des mesures afin de s’attaquer aux causes réelles de la pauvreté. Cela comprend l’urgence pour le gouvernement (britannique) de mettre fin au réseau des paradis fiscaux du Royaume-Uni, un terme au pillage des ressources africaines par des sociétés multinationales, un terme à « l’aide » comme des prêts. Cela demande également de développer une plus grande transparence ainsi que de la « redevabilité » dans tous les autres accords de prêt, et des objectifs ambitieux de grande envergure en termes de changement climatique///.

Traduction de Brigitte Gaiffe